Expatriation
Continent aux multiples opportunités, l’Afrique suscite des convoitises mais aussi des déconvenues. Bien des tentatives n’aboutissent pas. Pour maximiser ses chances de réussite, cinq conseils pour éviter les erreurs.

Après un trou d’air de sa croissance en 2020 (-3,1 %), pour cause de crise sanitaire, selon la Banque africaine de développement, l'Afrique garde toutes ses promesses. Le continent, ou tout au moins les pays les plus dynamiques (Djibouti, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Côte d'Ivoire...), offrent déjà de belles opportunités à ceux qui choisissent d'y investir. « En 2050, le produit intérieur brut de l'Afrique sera identique à celui de l’Europe aujourd’hui », commente Étienne Giros, ancien directeur Afrique du groupe Bolloré, aujourd’hui président délégué du Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique). Mais la recette du succès occidental n’est pas transposable telle quelle en Afrique. Même avec un très bon business plan, nombre d’entrepreneurs s’y sont « cassé les dents » et ont dû s’y reprendre à plusieurs fois pour concrétiser leurs projets. Cinq conseils pour éviter l'impair qui ne pardonne pas.



1/ Penser cultures plutôt que continent.

« La première erreur – la plus fréquente, y compris par des institutions - est de parler de l’Afrique, d’un seul tenant, souligne Adrien Cusinberche, fondateur de l’agence Blue Lions, agence de communication spécialisée sur les marchés africains, quand il y a 54 pays. Avec leurs différences. L’Afrique de l’Ouest se distingue de l’Afrique Centrale ou de celle du Nord, l’anglophone, de la francophone. Le raccourci est facile, mais maladroit. » Il n’y a pas une réalité africaine.

Pour reprendre l’expression de Pedro Novo, directeur exécutif en charge de l’export à Bpifrance, « à chaque fois, c’est une balle neuve. Il y a une recette par pays. Et le monde anglophone ne nous attend pas. Il faut être encore meilleur. » En France, l’Histoire pousse à regarder en direction de l’Afrique de l’Ouest. Mais le Sénégal ou bien encore la Côte d’Ivoire ne résument pas l’Afrique. « Annoncer faire une campagne de publicité en Afrique a aussi peu de sens que de le dire pour l’Asie, insiste Adrien Cusinberche. Un grand nom du tourisme français avait développé le même message, la même campagne au Ghana et au Nigéria, or les codes sont bien différents. Cela a été un flop. » La connaissance fine du continent passe par des voyages sur place.



2/ Tenir compte de la situation de chaque pays.

À commencer par l'environnement climatique. Six mois de pluie en continu ou 37 ° affichés à midi, avec 50 km à parcourir dans la brousse, peuvent avoir raison des entrepreneurs les plus motivés. Autre élément essentiel, la robustesse des autorités étatiques. Le continent connait des scénarii politiques diversifiés. « Ne pas répartir ces risques géographiques peut coûter cher, analyse Étienne Giros. Avec le risque d’avoir un ou deux pays instables, ou dans lequel le business ne fonctionne pas, s’appuyer sur un troisième pays permet de compenser. »

 

3/  Avoir un budget souple.

« Un voyage de préparation était prévu ? Peut-être en faudra-t-il deux ou trois, note Patrick Aplogan, agent commercial qui œuvre entre l’Hexagone et l’Afrique. Des petits budgets sont nécessaires pour huiler la machine, tout le temps, tous les jours. Un problème de container ? Un dossier en dessous de la pile ? L’agent d’une administration qui change, et sans continuité de service public ? Des petits gestes peuvent aider. Des petits dépassements qui peuvent conduire à voir le prix de revient multiplié par deux. » Pour rappel, 80 % de l’économie est informelle.



4/ Créer des liens.

Y aller seul, sans partenaire local ? Ou sans compter des capitaux africains dans le montage financier ? Une folie ! Quel que soit le secteur d’activité, cette posture est proscrite. De leur odyssée managériale qui les a conduits dans huit pays, dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal, Thibaud Huriez et Romain Thievenaz  - étudiants de l’EM (École de management de Lyon) - ont retenu le poids de l’expression wolof « nio far ». Soit « pas de problème, on est ensemble. » Concrètement, cela revient à rencontrer le référent du quartier, prendre le temps de visiter les villages voisins du lieu d’implantation, saluer leurs chefs, découvrir les us et coutumes… Le lien ne peut être que pécuniaire, la relation humaine compte beaucoup. « Un cador d’HEC peut vite s’épuiser s’il ne connait pas l’environnement », insiste Patrick Aplogan. La prospection à distance est à bannir. La logique de réseau est un ingrédient indispensable.



5/ Prendre le temps.

« L’entrepreneur doit faire la démonstration de la valeur qu’il va créer sur place », souligne Etienne Giros.  On parle du « local content », à ne pas confondre avec le modèle ancien de l’aide apportée sur ces territoires. Et Philippe Perdrix, directeur général et cofondateur de 35° Nord, agence de communication et d’influence consacrée à l'Afrique, qui compte une trentaine de collaborateurs à Abidjan, Kinshasa, Maurice et Paris, de détailler : « Lors des appels d’offres, des indicateurs viennent mesurer le "local content" des projets avancés. Les Africains ne supportent plus la situation de domination, ni les "one shotʺ. » Les effets d’opportunisme sont très mal perçus. Pedro Novo recommande d’y aller crescendo, par étapes, d’abord avec une succursale pour incarner l’entreprise. « C’est la théorie du temps long qui prime. On ne se déploie pas sans patience. » « La réticence à l’égard du management appris dans les livres, selon la méthode top-down, est palpable, confirme Beringer Gloglo, fondateur du Cercle des jeunes économistes pour l’Afrique. Les idées doivent venir d’elles-mêmes. »

« Les États africains font attention »

 

Trois questions à Hugues de La Forge, avocat à la cour, fondateur d’un réseau d’indépendants Junction, qui s’adresse aux acteurs internationaux en Europe, Moyen-Orient et en Afrique

 

Sur le terrain africain, quelles formes revêtent les différentes normes de l'entreprise ?

Hugues de la Forge. La traduction varie selon les pays, entre réglementation et incitation. Avec une responsabilité protéiforme, par rapport au personnel, aux clients, à l’État hôte, avec des transferts de technologies aussi… Il est demandé par exemple de recourir à de la main d’œuvre locale. Ces principes se sont beaucoup développés dans les industries extractives. Depuis, ils ont irrigué toutes les activités en Afrique, qui est redécouverte comme le dernier continent où il fera bon faire du business. Il peut aussi y avoir une exigence de participation capitalistique de partenaires locaux.

 



Ces principes s’imposent-ils aux contrats dans le secteur privé ?

Cette opposabilité vaut pour les contrats publics, mais sous la pression de la classe moyenne, mue par des revendications sociales, les États africains font attention. 

 

 

La notion de « local content » est-elle récente ?

Ce terme est apparu depuis une trentaine d’années maintenant. Il s’inscrit dans la constellation des ESG (Environnemental, social et de gouvernance) et autres CSR (corporate social responsability), sigles qui constituent un équivalent à ce que l’on appelle en France la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). On peut parler également des Objectifs de développement durable (ODD) publiés par la Banque mondiale en 2020. C’est une lame de fond. La notation des entreprises devient incontournable. 





 

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