La réforme de l'assurance-chômage, prévue pour entrer en vigueur au 1er juillet, est suspendue par le Premier ministre Gabriel Attal après les résultats du premier tour des législatives. Tour d’horizon des impacts massifs sur le secteur de la communication et des médias que pourrait avoir cette réforme.
La réforme de l’assurance-chômage, qui devait intervenir par décret avant le 1er juillet, est désormais suspendue par Gabriel Attal après les résultats du premier tour des législatives. Le 16 juin, le président du RN Jordan Bardella, avait déclaré qu’il la supprimerait s’il arrivait au pouvoir : « J’en ai assez qu’on demande systématiquement des efforts toujours aux mêmes », a-t-il lâché sur France 3. Quant au nouveau Front populaire, il promet d’abroger « les réformes de l’assurance-chômage » dans les quinze premiers jours en cas de victoire.
Les règles sont censées entrer en vigueur le 1er décembre. Elles prévoient l’indemnisation à partir de huit mois de travail sur une période de vingt mois pour une durée maximale de 15 mois, au lieu de 18. Seuls les plus de 57 ans (et non 53 ans) y dérogent avec une indemnité passant de 27 à 22,5 mois. Pourtant, le doute s’est immiscé jusque dans le patronat. En février, sur BFMTV, Patrick Martin, le président du Medef, estimait qu’une nouvelle réforme « fera probablement revenir à l’emploi 100 000 à 150 000 chômeurs » mais que cela « ne suffira pas ». En avril, après l’échec des négociations sur le « pacte de vie au travail » qui avait achoppé sur la question des seniors, il se montrait dubitatif : « je ne sais pas si cette réforme a un degré d’urgence. La réforme la plus urgente, c’est la dynamique économique ».
Pression inflationniste
Les agences ont-elles à y gagner ? Pas sûr, estime Marie-Pierre Bordet, fondatrice d'Arguendo Conseil et ex-vice-présidente déléguée générale de l’AACC : « Le turn-over dans les agences est important, aux alentours des 30 %. Toute mesure qui durcit les conditions de prise en charge des chômeurs va inciter les salariés à la prudence. » Avec des conséquences sérieuses : « Si on réduit le turn-over, à moyen terme, on va avoir un effet inflationniste sur la masse salariale. Plus les gens restent, plus les agences devront les augmenter, potentiellement. Or la masse salariale est le premier poste de coût d’une agence. Elle peut représenter jusqu’à 65 % des coûts. » L’ancienne vice-présidente de l’AACC estime que cette « pression inflationniste due à la réduction du turn-over aura forcément un impact à moyen terme sur la rentabilité des agences ».
Côté syndical, un membre de la direction d’Info'Com-CGT estime que « la réforme pourrait inciter les salariés à réfléchir avant de quitter un emploi stable ». Il rappelle que la généralisation du statut cadre et du forfait jour, s’il dispense les agences de payer les heures supplémentaires, augmente la charge de travail : « Dans les expertises sur la politique sociale des entreprises du secteur, des salariés déclarent régulièrement dans leurs feuilles de temps plus de 48 heures, voire 60 heures de travail hebdomadaire. Un salarié a même déclaré 105 heures et près d’un tiers des effectifs dépasse au moins une journée dans l’année la limite légale de 13h de travail quotidien. »
Une réduction du turn-over serait, selon lui, préjudiciable aux entreprises. « Faute de pouvoir partir, les salariés finiront plutôt en arrêt maladie. Sans étude d’impact, il se pourrait que cette réforme déplace juste le paiement de la charge. »
Dégradations de l'indemnisation
Certains salariés saisonniers vont aussi subir une double peine. C’est le cas des 5 000 salariés des festivals de cinéma, estime Camille Chevalier, membre du collectif « Sous les écrans la dèche » : « Avec la précédente réforme, actée en 2019 et entrée en vigueur après la crise sanitaire, nous estimons que les salariés des festivals de cinéma ont perdu entre 600 et 300 euros mensuels sur leur indemnité chômage, ce qui est considérable. »
La responsable estime que certains de ses collègues ont constaté une réduction de 50 % de leur indemnité chômage. Le phénomène se manifeste avec retard du fait de la saisonnalité de l’activité, les périodes d’inactivité commençant en novembre. Les nouveaux modes de calcul prévus par la nouvelle réforme devraient encore réduire en moyenne de 30 % les droits de ces salariés. « Il faut rappeler la hauteur modeste des salaires, indique Camille Chevalier. Le salaire moyen se situe à 1 600 euros net. »
Pour le collectif, la dégradation de l’indemnisation risque de faire partir ces salariés vers d’autres secteurs et menace la qualité, voire la réalisation des festivals. « Les jeunes générations n’acceptent pas les conditions de travail que nous avons pu accepter depuis 20 ans, en particulier les charges de travail très concentrées », souligne Camille Chevalier dont l’organisation a demandé au ministère du Travail de placer les salariés concernés sous le régime de l’intermittence, comme c’était le cas jusqu’en 2003.
Pour Guillaume Commenge, secrétaire fédéral du SNPEP-FO, cette réforme « conduit à un changement de modèle social puisque le gouvernement utilise l’indemnisation du chômage non pas comme une logique assurantielle des revenus professionnels mais comme un outil de politique de l’emploi en essayant de modifier le nombre de chômeurs à travers des mesures financières. »
Au-delà de la réforme, Christophe Pauly, secrétaire nationale de la F3C (CFDT) interroge l’attitude des entreprises à l’égard des seniors : « Il y a dans certains groupes la volonté de procéder à des coupes dans les masses salariales afin d’obtenir des courbes d’augmentation de salaires à court, et éventuellement moyen terme, moins prononcées que celles qui seraient obtenues si l’entreprise gardait des seniors à partir de 40, 50 ans. Il y a une forme de contradiction entre le discours et l’action : d’un côté, on dit qu’on veut garder les gens mais, de l’autre, non parce que ça coûte cher. »
Trois questions à Bruno Coquet, président d’Uno Études & Conseil et chercheur associé à l’OFCE.
Quelles seront les conséquences de cette réforme ?
Devoir prouver qu’on a travaillé 8 mois, au lieu de 6 auparavant, sur une période plus courte, 20 mois au lieu de 24, va évidemment impacter les personnes qui ont des contrats courts, et en particulier les jeunes et les étudiants qui ont aussi souvent des contrats saisonniers. Tous les intérimaires ne seront pas impactés, a priori pas ceux qui sont bien insérés sur le marché de l’emploi et dont les périodes inter-contrats sont très brèves.
Quid des autres salariés ?
L’augmentation de la durée de travail, exigée sur une période plus courte, va impacter l’ensemble des actifs. Il faudra avoir une intensité d’emploi sur la période de référence plus forte. Du coup, moins de gens devraient obtenir les droits d’indemnisation maximaux, qui vont aussi être réduits. Désormais, la durée d’indemnisation se situera entre 8 et 15 mois alors qu’auparavant, elle pouvait varier de 6 à 18 mois. Pour les actifs de 53 à 57 ans, la durée maximale d’indemnisation passe de 22,5 mois à 15 mois. C’est une réduction d’un tiers. C’est sur les seniors que l’impact de la réforme est le plus important. Une partie de ces chômeurs, qui ne seront plus couverts, vont se retrouver au RSA.
Pourquoi les seniors sont-ils les grands perdants ?
L’impact est d’autant plus fort pour eux que leurs chances de retrouver un emploi sont plus faibles du fait de la forte discrimination à l’embauche qu’ils subissent. S’ils ont la chance qu’un emploi leur soit proposé, ils sont contraints de faire de fortes concessions sur cet emploi. Ces deux facteurs vont se répercuter sur le niveau de rémunération.