Ressources humaines
Devant la recrudescence des conflits personnels entre salariés, les grandes comme les petites entreprises recourent de plus en plus fréquemment à des processus de médiation.

Souvent considérés comme anecdotiques, les conflits entre salariés, qu’ils soient collaborateurs ou managers, peuvent mettre en danger la capacité d’une entreprise à fournir des services, parfois critiques, à ses clients. Le Service d'Assainissement Marseille Métropole (Seramm) peut en témoigner. Avec 435 collaborateurs, cette filiale de Suez gère chaque année 150 millions de m3 d’eaux usées et pluviales. Le service chargé des relations avec les industriels qui rejettent des effluents occupe une place cruciale dans ce dispositif. Ses deux membres sont de fins connaisseurs, aussi bien des installations et des procédés des usines environnantes, que de leurs dirigeants. C’est précisément dans ce service qu’a fini par surgir un conflit entre deux cadres… «Ils en sont arrivés au point où ils n’arrivaient plus à se parler», résume Yves Fagherazzi, directeur général du Seramm. Or, impossible de séparer ces deux responsables sans entraver la bonne marche du service: «J’aurais dû trouver une nouvelle personne et la former afin qu’elle connaisse tous les industriels avec qui nous travaillons ainsi que leurs procédés», complète le directeur général. Heureusement, le Seramm dispose depuis 2015 d’un dispositif de médiation professionnelle. «La source du problème était le décalage existant entre leurs visions respectives de leurs missions et des moyens à mettre en œuvre», explique Yves Fagherazzi.

Retour de l'individu

Dans les grandes entreprises, traiter de façon personnalisée chaque cas pose un défi d’autant plus épineux que les mentalités évoluent, souligne François Rubichon, médiateur pour la vie au travail du groupe La Poste (260 000 salariés): «Les grandes organisations ont besoin de règles et de hiérarchie, or, on observe depuis quelques années un retour de l’individu. La médiation se développe du fait de la reconnaissance du fait individuel.»

La Poste en a pris acte en créant en 2012 un dispositif de médiation que chaque salarié peut saisir directement sans passer par sa hiérarchie. Le nombre de cas traités, même s’il reste modeste en chiffres absolus (230 en 2017), a malgré tout enregistré un bond de 30 % entre 2016 et 2017. La méthode utilisée [lire encadré] permet d’aboutir à un résultat positif dans 90 % des cas et produit des effets qui dépassent l’enceinte de l’entreprise, estime François Rubichon: «Toutes les populations de l’entreprise, quels que soient la branche, l’âge ou le statut, sont sensibles à la reconnaissance du fait individuel induit par le processus de médiation et cela contribue à la qualité de la marque employeur.»

Clients sous tension

Si peu de secteurs sont à l’abri d’un conflit entre collaborateurs et managers, certains sont d’autant plus exposés qu’ils gèrent au quotidien des situations difficiles. C’est le cas des syndics chargés de gérer les copropriétés. «Elles sont une source inépuisable de conflits, confirme Gilles Delestrade, dirigeant de D4 Immobilier, une structure comptant une vingtaine de salariés. Dès qu’il y a un différend entre voisins, le syndic est mobilisé, comme le serait un juge. Il y aussi le cas de copropriétaires qui entrent en conflit avec nous pour des motifs variés.» Inévitablement, ce contexte impacte le quotidien des salariés de ce type de structure. «Un gestionnaire de biens peut être sollicité jusqu’à soixante fois par jour, par mail, tél, etc, et il doit gérer au moins un échange difficile au quotidien», témoigne Sébastien Lallemand. Ce médiateur connaît d’autant mieux la situation qu’il a occupé un poste de gestionnaire de biens chez D4 Immobilier avant de revenir en 2017 à sa première expertise, toujours pour D4 Immobilier, mais cette fois en tant que consultant extérieur. 

L’entreprise traversait alors une passe difficile qui s’est soldée par deux burn-outs et un taux de turn-over important résultant d’une croissance soutenue qui avait pour corollaire une charge de travail importante. «Les collaborateurs étaient irrités, abattus et les relations avec les clients sous tension», se souvient Gilles Delestrade. Missionné pour améliorer les relations internes, Sébastien Lallemand a déployé un dispositif fléché sur deux objectifs: permettre aux gestionnaires d’identifier, puis d’éviter, les comportements qui dégradent une relation et apaiser les relations problématiques avec les clients grâce à un accompagnement individuel. Les résultats sont au rendez-vous, selon Gilles Delestrade: «Depuis 2018, la perte de clients et salariés est très contenue, probablement grâce à notre volonté de traiter chaque relation problématique.»



3 questions à…

« Le travail n'est pas qu'instrumental »

Pierre Maclouf, sociologue à l'université Paris-Dauphine, dévoile les ressorts du développement de la médiation et les critères pour évaluer la qualité des relations entre collaborateurs.



À quoi tient le développement de la médiation en entreprise ?

On assiste à une « psychologisation » croissante des relations de travail. D'où le développement de la médiation, à côté des structures traditionnelles de négociation avec les syndicats, qui ne parviennent pas à porter ces problèmes personnels. Les dispositifs de médiation essaient de réintroduire de la relation entre managers et collaborateurs, mais aussi, souvent, entre collaborateurs.

Quels critères permettent d’apprécier la qualité des relations entre collaborateurs ?

Le premier, c’est l’implication. Le travail n’est pas qu’instrumental, il doit avoir du sens pour les salariés. En étant toujours plus instruits et avec un accès immédiat à l’information, ils veulent saisir la portée de leur travail. Le second critère est l’autorité et surtout le mode sur lequel elle est exercée. Si elle est trop disjointe, c’est-à-dire si elle ne réclame que de l’obéissance, elle ne va pas susciter d’adhésion, or, l’engagement suppose que dirigeants et salariés aient un but commun. Le troisième critère est la confiance, basée sur une connaissance réciproque et qui doit conduire à l’assurance que l’autre tiendra parole.

Quels sont les avantages de bonnes relations ?

Pour les personnes, c’est d’abord la satisfaction, voire l’envie d’aller travailler. Les managers peuvent espérer une implication avec pour finalité un travail bien fait qui dépasse l’horizon de la productivité. Le déploiement des normes ISO et autres, même s’il est généralisé, ne peut pas garantir la bonne exécution des tâches. Ce qui le garantit, c’est l’implication des salariés qui dépend lui-même, in fine, du degré de satisfaction.







Encadré

Les étapes de la médiation de La Poste

Depuis 2012, les 260 000 salariés du groupe La Poste peuvent saisir un service de quatre médiateurs. « La médiation ne peut s’engager qu’à condition d’avoir un libre consentement des différentes parties prenantes », assure François Rubichon, médiateur pour la vie au travail du groupe. Un entretien individuel est alors organisé, puis une ou plusieurs rencontres plénières d’une durée de trois heures environ. « Dès que le cœur du conflit apparaît, la solution est plus facile à trouver et les personnes sont porteurs de la solution », explique l'expert. Au terme du processus, les protagonistes signent un constat d’accord qui fixe leurs engagements réciproques selon les situations. Le service assure ensuite un suivi pour favoriser la bonne mise en œuvre des objectifs fixés. Pour l’heure, la médiation rencontre un taux de succès important : « Cela fonctionne dans 90 % des cas et les personnes deviennent des prescriptrices du processus de médiation. »

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