Ressources humaines
Une étude auprès des professionnels RH montre que si bon nombre d’entre eux ignorent encore ce qu’est un chatbot, une majorité pensent qu’il va se généraliser dans les années futures. Jusqu’à devenir indispensable pour le recrutement ?

[Cet article est issu du n°1953 de Stratégies, daté du 7 juin 2018]

 

C’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Selon une étude (1) réalisée auprès de 300 professionnels des ressources humaines pour le compte de Do You Dream Up, qui édite un logiciel de reconnaissance du langage naturel, 43 % d’entre eux ignorent ce qu’est un chatbot. Au delà du chemin qui reste à accomplir, les partisans de ces agents conversationnels salueront les 22 % déjà au fait de la chose et placeront leurs espoirs dans les 35 % qui en ont déjà vaguement entendu parler. Certes, si l’on compare avec une étude similaire commandée par le même éditeur auprès des marketeurs, le gap est saisissant : 72 % d'entre eux savent ce qu’est un chatbot. « Les directions marketing sont plus au fait des technologies, avance Thomas Dufermont, marketing manager de Do You Dream Up. Ils sont en première ligne dans le cadre de la relation client. Les RH sont davantage centrées sur l’interne, dans un métier qui a peu évolué ces dernières années et avec des outils souvent basés sur des technologies archaïques ». Cela n’empêche toutefois pas la profession de faire preuve de clairvoyance. 68 % des responsables RH pensent que les chatbots vont à l’avenir se généraliser dans les ressources humaines.

Contre les « usines à gaz »

Dans les faits, le chatbot commence déjà à entrer dans les pratiques du secteur. 23 % des professionnels RH en ont déjà mis en place ou en ont le projet. « Ils sortent du bois, explique Thomas Dufermont, parce que l’on parle beaucoup de marque-employeur. Ils sont obligés d’y venir, c’est une question d’image. » Do You Dream Up revendique quelques belles références, comme Solvay, BNP Paribas ou Société Générale, et travaillerait avec plus d’une centaine d’entreprises, principalement des grands groupes. Chez Aéroports de Paris, où les congés payés font figure « d’usine à gaz », son chatbot permet à un nouvel arrivant de se familiariser avec le système. « Il n’a plus besoin de se palucher toutes les pages d’un intranet, il a directement accès à l’information qui le concerne, sans avoir à la chercher », plaide Thomas Dufermont, en vantant aussi les capacités d’évolution des chatbots qui apprennent au fur et à mesure. Chez PSA, en quatre ans, le chatbot a ainsi étendu son périmètre à la comptabilité, à la gestion des congés et aux fiches de paye. Les missions RH ne représentent toutefois que 30 % de l’activité de Do You Dream Up, contre 60% pour la relation client et 10% pour le marketing.

Pour le chatbot, la partie n’est pas gagnée d’avance. « J’ai l’intuition que le chatbot va tuer les applis et les sites web, c’est un nouveau canal de communication, on le voit déjà avec les FAQ qui sont délaissées », veut croire Thomas Dufermont. Mais les praticiens, comme Richard Verglas, ancien consultant aujourd’hui à la direction générale de l’agence Mazarine, tempère son enthousiasme (lire ci-dessous). La question de l’humain, notamment, est au centre des préoccupations, un argument que balaye Thomas Dufermont : « Les chatbots vont justement permettre aux RH de se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée, les dossiers chauds et compliqués qui nécessitent de l’empathie ». Le chatbot permettrait ainsi, en déchargeant les ressources humaines des questions simples et récurrentes, de se concentrer sur des tâches nobles.

Recrutement virtuel

Reste un point crucial, le recrutement. Si les responsables RH pensent à 67 % que les chatbots, à l’avenir, valoriseront l’image des marques, à 65 %, qu’ils seront un atout pour la marque employeur, et à 62%, qu’ils remplaceront les intranets, ils ne sont plus que 44 % à estimer qu’il seront un outil indispensable pour le recrutement et à 30 % qu’ils pourront mieux gérer un recrutement qu’un humain. Thomas Dufermont en convient : « un robot ne pourra jamais déceler une intention ironique dans les paroles de quelqu’un ».

Pourtant, des entreprises testent déjà le recrutement virtuel. Manpower a ainsi présenté lors du récent salon VivaTech à Paris une « digital room » qui permet de faire passer le premier entretien d’embauche en immersion avec un recruteur virtuel. Baptisé Zara, cet avatar féminin, grâce à son algorithme, est capable d’analyser l’attitude du candidat en situation d’entretien, sa connaissance du métier recherché et ses capacités d’adaptation. « L’objectif de cette innovation, c’était de raccourcir le processus d’entretien d’embauche, qui peut durer une demi-journée avec un consultant, à seulement 15 minutes avec ce recruteur virtuel », explique Raoul Mattei, directeur général d’Experis, la filiale de Manpower qui a développé cette « digital room ». Après un an de développement, ce recruteur virtuel, disponible aussi en version web - le candidat passe l’entretien à domicile depuis son ordinateur en branchant sa caméra et son micro - est utilisé par Manpower pour sélectionner des alternants et des stagiaires, mais pas encore des intérimaires. La reconnaissance du langage permet de classer les candidats selon qu’ils sont ignorants, sachants ou experts du domaine. Couplée à l’analyse de la sonorité de la voix, la reconnaissance faciale permet, elle, de mesurer le niveau d’empathie. « On n’en est qu’au début, mais il est certain que l’intelligence artificielle permettra, grâce à sa capacité d’apprentissage, de mieux qualifier les candidats », estime Raoul Mattei. 

« Le chatbot entre en concurrence avec d’autres outils »

 

Richard Verglas, COO de l'agence Mazarine



Utilisez-vous les chatbots dans la relation avec les 350 collaborateurs que vous avez sous votre responsabilité ?

Non, pas encore, mais on y réfléchit. On cherche ce qui est le plus pertinent et le chatbot est en concurrence avec d’autres outils, comme les applis. Ce qui est certain, c’est qu’on ne pourra pas tout avoir, car ces technologies ont un coût. Et aujourd’hui, ce sont les applis qui offrent, à mon sens, les fonctionnalités les plus intéressantes. Il en existe de très performantes, par exemple pour les notes de frais. Vous entrez dans l’appli, vous prenez une photo de votre note de restaurant, vous inscrivez le montant, et c’est enregistré. On réfléchit aussi à une appli pour récupérer les demandes de congés payés.

 

En quoi le chatbot peut-il vous être utile ?

Plus la question posée est simple et récurrente, plus il sera pertinent. Cela permettra de ne pas perturber le service RH. Donc, typiquement, le type de questions, c’est : « combien me reste-t-il de jours de congés à prendre ? », « Comment puis-je poser un RTT, un arrêt maladie ? », « Quelle est la politique de l’entreprise en matière de télétravail ? »… Autant d’informations qu’on pourrait aussi avoir sur un intranet. Mais qui, aujourd’hui, y va encore ?



Quels freins voyez-vous à son développement ?

Il y a le coût, ce qui est déterminant, car avec une formule d’abonnement, cela peut revenir très cher. L’autre souci que je vois, c’est la déshumanisation. Les gens veulent quand même de l’humain. C’est comme pour les mails. On croit qu’on a fait son boulot parce qu’on a envoyé un mail, mais ce n’est pas suffisant. Il est important aussi que les premières expérimentations soient pertinentes, sinon les gens vont se lasser très vite de ne pas obtenir de réponses.

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