Ressources humaines
En lançant Parlons Energies le 23 janvier, l'électricien part à l'écoute de ses 100 000 salariés pour appuyer son plan stratégique de transition énergétique sur une dimension participative.

Le 23 janvier, le président d'EDF, Jean-Bernard Lévy, a lancé à Cournon-d'Auvergne la première de « Parlons Énergies », une vaste opération de consultation des 100 000 salariés du groupe organisée jusqu'en avril avec l'aide de l'agence Bluenove. « Un échange sans tabou, hors hiérarchie et pour tous les salariés », constate Philippe Méchet, conseiller du président, qui rappelle que la SNCF a mené une initiative similaire mais circonscrite à ses seuls cadres. L'originalité de Parlons Énergies repose donc sur son dimensionnement et son ambition d'ouvrir un dialogue avec l'ensemble du personnel. Pour cela, soixante sessions de 3 h 30 sont prévues sur une trentaine de lieux en France. 163 « dialogueurs » sont spécialement formés pour recueillir la parole des collaborateurs volontaires à travers un forum et quatre ateliers thématiques : la transition énergétique, les villes intelligentes par la prise en compte des territoires, les innovations à travers les technologies et les services et, enfin, le développement du business des énergies décarbonnées.

Appui des salariés

Alors que l'objectif de 50 % d'électricité d'origine nucléaire a été fixé par l'État en 2025, le but de cette démarche participative est clairement affiché : « Dans le grand débat sur la transformation énergétique, explique Philippe Méchet, il nous faut une vision de la direction où l'on va et comment on y va. Nous avons besoin de nous appuyer sur les salariés pour savoir comment on peut y arriver ». L'idée n'est pas de bâtir une stratégie à partir de la base mais plutôt de « l'enrichir » par l'expérience d'acteurs tenus à l'écart de la réflexion sur la transition énergétique en 2013-2014. Pour aboutir à 30 ou 35 % d'énergies renouvelables, il importe par exemple, rappelle-t-il, de bien prendre en compte les impératifs du terrain sachant que l'installation d'éoliennes est gourmande en territoires, fait face à des oppositions locales et demande, au final, sept ans avant la mise en route. De même, il s'agit de répondre aux interrogations internes sur les limites de l'hydrogène (10 à 12 % à terme contre 60 % dans les années 1960), sur le désir de mobilité électrique ou sur le potentiel de nouveaux métiers comme le bâtiment du fait de l'implication d'EDF dans les travaux d'isolation. « On observe déjà la demande d'une vraie école de formation au sein d'EDF », note Philippe Méchet.

Un kit organisationnel est fourni pour l'ensemble des sessions, avec ses 600 forums et ses 1800 ateliers : « il nous faut 700 m2 à chaque fois, constate le conseiller, on ne voulait pas être sur nos sites de production, car c'est un biais ». Un lieu neutre ne risque pas, en effet, d'orienter les débats suivant les métiers ou les filières en place. Onze personnes choisies par le comex, qualifiées de « sponsors », veillent au bon déroulement des rencontres. Parallèlement, une plateforme digitale contribue à favoriser le dialogue via Internet. Elle complète le dispositif physique conçu pour recevoir 10 000 salariés. Le jour du lancement, 12 000 personnes étaient déjà inscrites sur www.parlonsenergies.fr.

Les syndicats mobilisés

Ce parcours se fait bien sûr en lien avec le DRH, Christophe Carval, qui doit préparer les esprits à l'idée qu’un retrait du nucléaire implique une transformation des métiers, donc un gros effort de formation. Les syndicats semblent bien accueillir l'initiative comme en témoigne Éric Lemaire, délégué à la CFDT : « C'est l'intelligence d'une entreprise que de confronter différents regards et ne pas imposer une seule vision, dit-il. On espère que nos réflexions seront retenues ». Son syndicat travaille depuis un an sur les défis de la transition énergétique et vient de formuler ses propositions en ce sens à travers une synthèse d'une quarantaine de pages. La CGT, de son côté, y voit aussi une opportunité à condition d'aborder tous les paramètres sociaux: « Parler énergie “ok”, mais il faut que le personnel puisse aussi parler emploi (statutaire) et reconnaissance, deux leviers grippés à EDF », a souligné Philippe Page Le Merour, délégué central.

Les organisations syndicales sont donc mobilisées dans ce vaste débat interne, à condition que ce ne soit pas un « grand-messe de la com ». La restitution par la direction, prévue en juin-juillet, sera capitale. « On ne peut pas tricher avec des milliers de salariés qui veulent participer », prévient Éric Lemaire. Politiquement, l'objectif de Jean-Bernard Lévy est sans doute de peser davantage face au gouvernement en apportant une contribution participative à la programmation pluriannuelle de l'énergie pour 2019-2023 et 2023-2028. Ce qui fait sourire cet expert de la communication des entreprises publiques : « La calinothérapie vis-à-vis des salariés entretient l'espérance de garder le parc nucléaire. Jusqu'à présent, le renouvelable est surtout à l'étranger. Et c'est sur pression de Nicolas Hulot que Lévy a présenté un plan solaire qui n'avait même pas été soumis à son conseil d'administration ». Entre Flamanville, Fessenheim et Hinkley Point, les éléments d'incertitude sont nombreux. Et les choix stratégiques dépendent surtout des arbitrages souverains de L'Élysée et de Matignon.

Il n'empêche, l'opération #ParlonsEnergies a le mérite de faire comprendre à l'ensemble d'un corps social que le temps du changement est arrivé. « Un mot qui revient à chaque fois, c'est que l'entreprise doit être plus agile, relève Philippe Méchet, que la boîte doit se bouger et se transformer. » Bref, il ne suffira pas de parler énergie : il en faudra aussi beaucoup à chacun des salariés.

Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH

« Un projet commun ambitieux »

 

«C'est la première fois qu'une grande entreprise réalise une consultation de cette ampleur, qui plus est portant sur le plan stratégique et non pas sur des aspects annexes. Le levier digital montre la capacité d'EDF à utiliser le numérique comme outil de dialogue. Il s'agit d'une initiative formidable à condition de toucher tous les métiers et toutes les couches de l'entreprise. Pour l'instant, Parlons Énergies vient d'être lancé et il y a encore sur le terrain des gens qui en ont peu entendu parler. On va devoir les informer ! Mais cela va faire du bien à EDF de travailler sur un projet commun ambitieux. Depuis quelques mois, j'y vois le dynamisme de ses équipes RH. Les syndicats demandent une redéfinition du pacte social, avec une vraie volonté de voir abordées les questions d'emplois, de rémunération, de sécurité... Il est possible que soient soulevées des interrogations non prévues mais je pense qu'ils sont prêts à y faire face. Cela aura une répercussion sur le dialogue social et c'est une belle preuve d'avancée que de vouloir s'y confronter. L'énergie est un enjeu de souverainté. Il est normal que l'État joue son rôle. Mais à travers Parlons Énergies, EDF va proposer une feuille de route qui inclut les différents enjeux. L'entreprise sera ainsi plus entendue que si elle attend qu'on lui impose un plan. Sa santé financière passe par son implication dans son avenir tout en prenant en compte le caractère stratégique de l'énergie en France. »

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