Medias
Dans les grands médias, la tendance est à la fusion du pôle Web avec la rédaction traditionnelle. Une transition qui demande aux journalistes une véritable réorganisation de leur travail.

«Rapprochement», «fusion»... Ces mots reviennent souvent chez les rédacteurs en chef  lorsqu'ils évoquent les rapports entre le pôle Web et le reste de la rédaction. C'est en effet l'évolution de fond: il s'agit de favoriser des journalistes totalement multimédias, capables de produire des contenus pour tous les supports. Et cela commence par un rapprochement physique des deux pôles.

Europe 1 s'est ainsi réorganisée il y a un an et demi. Parmi les 24 journalistes du pôle Web, 20 ont été répartis dans les services de la rédaction de la station. «Pour moi l'important c'était que les journalistes du Web ne soient pas considérés comme des geeks, des journalistes mystérieux toujours planqués derrière leur ordinateur», explique Jean-Philippe Balasse, adjoint de la rédaction d'Europe 1. Il souhaitait ainsi «encourager les journalistes radio à faire du Web et inversement».

C'est aussi le projet à long terme de Fabrice Jouhaud, directeur de la rédaction de L'Equipe. Pour lui, «l'idéal serait qu'il n'y ait plus de rédaction print, ni de rédaction Web, uniquement des journalistes bimédias». Pour le moment, le desk Web de L'Equipe est séparé de la rédaction, mais il existe un pôle reporters multimédias, qui produit pour les deux supports, sans distinction.

Depuis quatre ans, Le Monde a également choisi de rapprocher ses journalistes. Cela a commencé en 2009 lorsque le Monde interactif, instance séparée juridiquement du journal, a rejoint l'immeuble boulevard Blanqui occupé par le reste de la rédaction. A l'occasion de la présidentielle de 2012, la «newsroom» a réuni des journalistes politiques des deux supports. Depuis mars 2013, les bureaux des chefs se sont rapprochés de la rédaction Web et un adjoint au «temps réel», chargé de la coordination avec le site, a été nommé dans chaque service.

Même logique à France Info, où la rédaction Web n'est désormais plus séparée que par un couloir des rédacteurs en chef. «Symboliquement, nous mettons le numérique au cœur de la rédaction», assure Erik Kervellec, directeur de la rédaction de France Info, qui réfléchit également à une «plus grande imbrication» des pôles.

Le symbole suffit-il ? Selon les directions de ces médias, ces changements ont reçu des accueils bienveillants et ont renforcé les relations entre les journalistes des deux supports. Mais, de l'avis de Jean-Philippe Balasse d'Europe 1, «il ne suffit pas de changer les gens de place pour que les automatismes se créent».

Pour encourager les collaborations, la première étape est de convaincre les journalistes traditionnels de penser systématiquement au Web et, si les réticences sont de moins en moins nombreuses, ce n'est pas toujours évident. «Il y a encore des journalistes radio qui ne voient aucun intérêt au Web, confie un ancien journaliste du Web de France Info. Il faut parfois les appeler trois fois pour qu'ils envoient leur texte et qu'on puisse mettre leur son en ligne, d'autres ne nous appellent pas quand ils ont une info en exclusivité.»

Contrats et salaires non modifiés

«Ce n'est pas totalement illogique qu'un reporter ne saute pas de joie à l'idée de produire, en plus de son travail habituel, des vidéos, des sons et des photos pour le site», analyse Fabrice Jouhaud, de L'Equipe. D'autant que ni les contrats, ni les salaires, n'ont été modifiés avec ce passage au multimédia.

Aucun rédacteur en chef ne souhaite donc forcer ses journalistes à publier sur le Web. Pour les encourager à le faire, Jean-Philippe Balasse d'Europe 1 utilise, lui, la technique des «poissons pilotes»: «J'encourage à fond les quelques personnes dans la rédaction qui ont envie de naviguer entre la radio, le Web et la vidéo et elles entraînent les autres à le faire».

Autre facteur de rapprochement, les projets en commun. France Info, Europe 1 et Le Monde prévoient ainsi des contenus multimédias pour couvrir les municipales. L'Equipe enverra des journalistes Web et print aux JO de Sotchi et au Mondial de foot de Rio. «C'est beaucoup plus simple de faire travailler les journalistes ensemble sur des événements que dans la routine d'une journée», observe Fabrice Jouhaud.

Reste que sur ces événements, les journalistes venus de la rédaction traditionnelle sont systématiquement plus nombreux que ceux du Web. Un seul journaliste Web de L'Equipe, par exemple, aura droit au déplacement au Brésil parmi la dizaine d'envoyés spéciaux pour la Coupe du monde de foot. Si les «geeks» du Web se rapprochent de leurs confrères, ils s'éloignent toujours rarement de leur ordinateur.

 

Sous-papier

Journaliste Web, un métier à part entière

 

Au Monde, a débuté une réorganisation de la rédaction qui passe par le transfert de vingt postes du print vers le Web. «Nous allons favoriser le maximum de mobilité interne», assure Vincent Giret, directeur délégué des rédactions. Si certains journalistes et éditeurs sont volontaires, il n'en va pas de même pour tous. Le passage d'un support à l'autre est un véritable changement de métier. «Depuis que je suis au Web, j'ai l'impression de ne jamais lever la tête de mon écran», témoigne Cyril Destracque, devenu rédacteur en chef adjoint de Franceinfo.fr après quinze ans de radio.

Pour lui, les plus grands changements sont le rapport au public, «beaucoup plus direct», et les outils. «Tout est à inventer», résume-t-il. Alexis Delcambre, journaliste bimédia du Monde et reponsable de son pôle Techno-Médias, note lui un «rapport au temps différent» entre les deux supports. «Sur le Web, on travaille sans repère temporel, on peut à tout moment mettre à jour le post, tandis que sur le print on est dans l'anticipation», explique-t-il. Autre différence notable: les relations avec certaines sources. «Certains interlocuteurs, surtout les institutionnels, accordent une charge symbolique plus forte au journal et répondent plus volontiers pour un sujet print que Web», observe-t-il. C'est encore la rareté qui fait la valeur...

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