Ressources humaines
Certaines entreprises n'ont pas attendu l'évolution de la loi et l'adoption du mariage pour tous pour œuvrer à l'égalité des droits des salariés. Enquête.

Parent pour son entreprise, mais pas pour la société. Voilà le paradoxe auquel a été confrontée Nathalie*, à la naissance de son premier enfant, en décembre dernier. Cette salariée du service client de SFR, âgée de quarante-trois ans, est homosexuelle et c'est sa compagne qui a porté l'enfant. «A l'extérieur, en plein débat sur le mariage pour tous, je n'arrêtais pas d'entendre que mon petit allait être malheureux à cause de nous. Puis il y a eu l'étape de la déclaration de naissance: je n'ai bien sûr pas pu apposer mon nom sur l'acte», regrette Nathalie. Au travail, à l'inverse, la salariée bénéficie des congés de naissance (3 jours) et de… paternité (11 jours), de la prime de la mutuelle et, comme elle est en confiance, organise un petit pot pour l'arrivée du bébé, au cours duquel elle reçoit de nombreux présents.

Paradoxe, l'entreprise, souvent accusée de tous les maux (discrimination, univers de violence entre les individus…), a été dans ce cas plus accueillante et, surtout, lui a accordé, en reconnaissant son rôle de parent, davantage de droits que la société. Un cas isolé? L'égalité des droits réclamée par les homosexuels a-t-elle vraiment cours au bureau?

Une nuance importante

En réalité, SFR fait partie de la quinzaine de grandes entreprises (L'Oréal, IBM, Vinci…), qui ont assoupli les règles au profit des parents homosexuels. Chez l'opérateur télécoms, l'initiative n'est pas venue de l'employeur. «Il a fallu un peu batailler avant d'obtenir gain de cause l'été dernier, explique Sylvie Fondacci, présidente de l'association HomoSFèRe de SFR. D'autant que les syndicats n'ont pas appuyé nos revendications, ils ne voyaient pas ce que cela pouvait leur apporter.» Cela a abouti à un accord très souple: «Le service ressources humaines ne demande pas le certificat de Pacs, mais seulement de fournir un justificatif de vie commune et l'acte naissance», poursuit Sylvie Fondacci. Les autres entreprises ayant adapté leurs règles se sont bien souvent contentées d'aligner les droits des couples mariés aux pacsés. C'est le cas par exemple chez BETC et Monoprix. Avant SFR, seul le service municipal Eau de Paris était allé aussi loin: «L'accord sur l'équilibre vie privée/vie professionnelle adopté en 2007 prévoit que le congé de paternité est ouvert à tout collaborateur en situation d'homo ou d'hétéro-parentalité», détaille Catherine Tripon, porte-parole de L'Autre Cercle, fédération nationale d'associations d'homosexuels et d'homosexuelles luttant contre les discriminations.

Une politique volontariste de la part de ces groupes,  en avance par rapport à la loi, qui ont pris en charge le coût des congés de naissance-paternité, normalement en grande partie financé par la Sécurité Sociale.

La loi a évolué en octobre 2012: aujourd'hui, le congé de paternité est devenu un «congé de paternité et d'accueil de l'enfant», une nuance importante puisqu'il s'ouvre à la personne vivant maritalement avec la mère, indépendamment de son lien de filiation avec le nouveau-né. Il peut s'agir du conjoint de la mère, du partenaire ayant conclu un Pacs avec elle ou de son concubin. Cette évolution et l'adoption - probable - du mariage pour tous devraient conduire les grands groupes à adapter leurs conventions.

Environnement et visibilité

Dans le secteur de la publicité, de source patronale, des négociations pourraient s'ouvrir d'ici à la fin de l'année afin de revoir l'ensemble des conventions évoquant les droits et congés familiaux. «Pour l'instant, SFR et Eau de Paris sont toujours en avance sur le législateur puisque les congés pourraient bénéficier à un couple d'hommes, juge Caroline Mecary, avocate et coprésidente de la Fondation Copernic. D'ailleurs, une entreprise a toujours la possibilité d'offrir plus de droits.»

Pour parvenir à une totale égalité des droits des parents salariés, il faut aussi revoir les règles des comités d'entreprise (CE). «Actuellement, on travaille avec le CE pour que tout le monde bénéficie des mêmes cadeaux de naissance», poursuit Sylvie Fondacci (SFR). Le combat continue car la vie professionnelle des salariés homosexuels n'est pas encore un long fleuve tranquille. «La bataille par rapport à l'égalité des droits vis-à-vis de l'accueil de l'enfant est mieux comprise par les Français que le mariage pour tous, constate Catherine Tripon, de L'Autre Cercle. Mais la loi passera, même dans sa version minimaliste. Cela ne sert à rien d'avoir une loi égalitaire si elle ne change pas l'environnement. Les homosexuels seront obligés de se déclarer dans l'entreprise pour faire valoir leurs nouveaux droits induits par le mariage. Mais il ne faut pas qu'un environnement plus serein pour se rendre visible…»

Pour gagner la bataille des mentalités et prévenir les discriminations, L'Autre cercle a fait signer début janvier une charte d'engagement LGBT aux dirigeants de grandes sociétés (Casino, Alcatel-Lucent, Orange, IBM, Accenture, Eau de Paris…). Au programme, la sensibilisation du personnel, la lutte contre les discriminations, la mise en place d'indicateurs, notamment. «Bref, reconnaître les homos, lesbiennes et transsexuels comme des salariés normaux», résume Catherine Tripon.

D'autres entreprises devraient s'engager le 17 avril prochain. Quand l'une d'entre elles adapte ses droits ou que le PDG s'engage sur ce sujet, c'est bien entendu un signal fort adressé à l'ensemble du management et aux salariés homosexuels eux-mêmes. Un début de reconnaissance qui autorise à «s'afficher», comme dit Nathalie: «Je suis plutôt une personne discrète, je n'aurai probablement pas organisé ce pot de naissance si SFR n'avait pas mis en œuvre cette politique.»

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