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Normalien, fondateur de la société Or et H Conseil, spécialisée dans le conseil en communication et stratégies d'influence, David Brunat est l’auteur d'Histoires de la mafia (Fetjaine-La Martinière, mai 2012). Il met au jour les liens qui unissent et séparent l’organisation mafieuse et l’entreprise.

La mafia appartient-elle au monde économique?

David Brunat. Oui, car elle est constituée d'entreprises criminelles à but lucratif. On estime que 30% du PIB mondial est d'origine criminelle et que le trafic de drogue pèse plus lourd que le pétrole. L'erreur serait de penser qu'il y a d'un côté des entreprises illégales et de l'autre des sociétés propres. En réalité, il y des ponts entre l'économie souterraine et les activités légales. La mafia est très présente dans le BTP, la santé, les déchets, l'énergie, les finances, les clubs de foot, les paris sportifs, voire la sphère publique en Italie… Son mode d'action premier est le crime, mais son rayon d'action inclut l'évasion fiscale, la fraude ou l'arnaque comptable. Parallèlement, certaines entreprises n'ont pas beaucoup de freins de nature morale quand elles font appel à des sociétés-écrans dans des paradis fiscaux.


Est-elle efficace en tant que système d'organisation?

D.B. La mafia est un fantasme de l'économie capitaliste. Elle emploie des méthodes auxquelles cette société n'ose pas recourir, mais qui démontrent depuis longtemps leur efficacité en termes d'accumulation de richesses, de défiscalisation et même, d'une certaine façon, de redistribution, quand on songe aux enveloppes réservées aux familles en cas d'incarcération. On y trouve de la fierté d'entreprise et une grande emprise du chef. C'est une organisation hiérarchisée redoutablement profitable, qui n'hésite pas à éliminer la concurrence et qui fonctionne avec un code d'honneur. Comme l'a montré Roberto Saviano [journaliste-écrivain, auteur entre autres du livre Gomorra], elle est loin de se limiter à des activités marginales. Ses réseaux prennent appui sur des quartiers, mais agissent de façon très globalisée. Elle est en cela la porte avancée du capitalisme moderne. Peut-être pas son avenir, mais son hypertrophie.


Que nous dit du management l'antimodèle du chef mafieux?

D.B. Si l'on fait fi de la morale, il obtient de bons résultats en ayant un droit de vie et de mort sur ses collaborateurs. Le management par la peur ou le stress dans un système très pyramidal et autoritaire n'est pas très loin des codes de la mafia. A cette différence près que lorsque les ordres ne sont pas exécutés dans l'entreprise, on n'est pas physiquement éliminé. La peur a ses avantages: les individus donnent le meilleur d'eux-mêmes. Mais pour avoir la productivité de la mafia, il faut aller jusqu'au bout. Le système fonctionne parce qu'il n'y a pas de mobilité, qu'il s'agit d'un engagement à vie: quand un mafieux sort de la famille, c'est pour se livrer à la justice ou les pieds devant.


Les affreux sont donc plus à leur place dans la mafia que dans l'entreprise?

D.B. Il y a deux modèles de manager si l'on recherche la productivité maximale: le méchant par le stress qu'il suscite et le gentil par ce qu'il obtient en termes d'engagement. Si l'on n'est pas un vrai méchant, mieux vaut être gentil ou faire semblant de l'être. Le bien-être et la fierté d'appartenance à l'entreprise sont des leviers de performance individuelle et collective. Quand il s'agit de fidéliser des équipes et de retenir des talents, il ne faut pas rendre les gens malheureux.


Comment expliquez-vous que la mafia ait une image assez positive?

D.B. Avec pizza, c'est le mot italien en cinq lettres qui est le plus répandu sur la planète. C'est une marque mondiale qui a eu sa légende dorée, avec sa mythologie et ses histoires incroyables autour du pouvoir, du sexe, de l'argent et de la mort, ce qui a toujours fait fantasmer l'humanité. Il s'agit là d'un modèle absolu de «storytelling». Grâce à Hollywood, où elle était très présente, la mafia a fait du cinéma un outil de propagande. Sa communication est paradoxale: le chef mafieux est un taiseux, au pouvoir occulte, il est d'autant plus puissant qu'il est dans l'ombre, mais le mot-valise de mafia occupe constamment la scène médiatique, que ce soit en Corse ou à l'UMP.

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