communication interne
Dans un contexte de crise et de défiance vis-à-vis des dirigeants, une étude décrypte les attentes des collaborateurs en termes de prise de parole.

Bruno Scaramuzzino, directeur associé de l'agence Meanings, a publié avant l'été «Parole», aux éditions L'Harmattan (collection «Horizons anthropologiques»). Il vient également de mener une étude avec Harris Interactive, avec pour thème «la Parole en entreprise, le point de vue des salariés». Il a ausculté cette problématique, source de nombreux blocages et perte de productivité.

 

En temps de crise, le dirigeant a-t-il une responsabilité particulière en termes de prise de parole?

Bruno Scaramuzzino. Oui, dans une période comme celle-là, où les salariés sont parfois désemparés ou désorientés, prendre la parole est un acte de gouvernance. D'autant plus que notre enquête montre qu'il y a une corrélation très forte entre la prise de parole du PDG et la confiance qu'on lui accorde. Quand il ne prend jamais la parole, seuls 30% des répondants affirment lui faire confiance, alors que s'il s'exprime souvent, ils sont 70% à la lui accorder. L'impact de la prise de parole s'avère donc primordial.

 

Et pourtant, votre étude montre que les dirigeants prennent peu le micro...

BS. En effet. Nous avons demandé aux salariés quels sont les acteurs qui s'expriment le plus sur les grands sujets internes et externes de leur entreprise (actualités, projets, ressources humaines, etc.), et le PDG/DG n'arrive qu'en cinquième position (42%), derrière le manager direct (79%), les collègues (71%), le directeur d'unité ou de branche (61%), les syndicats ou représentants du personnel (52%). A noter que le directeur de la communication arrive en fin de classement (30%)!

 

Pourquoi une telle réserve des dirigeants?

BS. Prendre davantage la parole en temps de crise, c'est compliqué pour un dirigeant et cela demande du courage. Pourtant, le silence sera perçu comme suspect à plusieurs titres. Et il risque de déclencher des interrogations chez les collaborateurs, du type: «Qu'a-t-il à me cacher?», voire des questions les concernant directement, comme «Je ne compte pas pour lui?».

 

Quel crédit les salariés accordent-ils à la parole de leur patron?

BS. Seuls 49% d'entre eux ont confiance dans la parole de leur président. Ceux qui croient le plus le discours du dirigeant sont les cadres, les jeunes (25-34 ans) et les nouveaux arrivants (de 2 à 5 ans). A l'inverse, le scepticisme est plus fort chez les employés, les ouvriers et les salariés les plus anciens (notamment chez ceux ayant plus de 20 ans d'ancienneté). Ils ont bien plus confiance dans la parole de leurs collègues (77%), directeur d'unité ou syndicats (59%).

 

Quand le patron prend la parole, les salariés veulent-ils avant tout qu'il leur parle d'eux?

BS. Oui. Quand nous interrogeons les collaborateurs sur les trois sujets qu'ils voudraient voir aborder par leur PDG, ils citent les ressources humaines (salaires, formation, évolution professionnelle...) à 48%, puis les conditions de travail (47%) et des informations sur leur avenir au sein de l'entreprise. La parole du chef est donc surtout attendue sur des thèmes les touchant directement.

 

Quels sont les moyens de communication plébiscités?

BS. Dans leur grande majorité, les salariés veulent du live (77%) et de l'oralité, sous la forme de visites sur le lieu de travail et de séminaires internes. D'ailleurs, d'après notre étude, les salariés accorderont davantage de crédit au discours du dirigeant, si celui s'exprime lors de séminaires, réunions informelles organisés sur le lieu de travail, que lors de grands rendez-vous: présentation des résultats ou du rapport annuel. Même si les prises de parole du patron doivent être sacralisées et ritualisées, souvenons-nous de l'importance des "cases à palabres" et du chêne de Saint Louis. Ces rites vont contribuer à fonder le pacte social, faire prendre conscience des enjeux.

 

La magie du digital n'opère-t-elle pas dans la communication interne?

BS. Cette communication via intranet, les mails ou les réseaux sociaux ne recueille que 58% des suffrages des salariés. Et la communication interactive - via un forum ou des questions-réponses - arrive en queue de peloton avec 14% de fans seulement. On a cru résoudre des problèmes de partage et de vivre ensemble en créant des communautés Facebook: en fait, les collaborateurs veulent voir et entendre leur dirigeant. D'ailleurs, seulement 5% des répondants attendent de leur patron qu'il communique sur les réseaux sociaux de l'entreprise. Le Web et les réseaux sociaux n'enterreront pas la parole en entreprise. C'est la même histoire avec les magazines d'entreprise: certains avaient prédit leur disparition totale. Aujourd'hui, certains groupes qui les avaient abandonnés, les relancent.

 

Dans ce contexte, quel est le rôle des managers?

BS. Ce sont eux qui parlent le plus et auxquels les salariés accordent le plus de crédit. Les directeurs de la communication devraient outiller davantage ces «missi dominici» de la parole. Ils doivent être armés pour communiquer à la fois en termes d'enjeux et de contenus. Mais il faut aussi que ces managers soient eux-mêmes convaincus de ce qu'ils disent.

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