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Le 30 mars, les prud'hommes de Nanterre ont débouté 22 ex-participants à des émissions de télé-réalité de M6. Une décision à contre-courant de la jurisprudence.

Requis pour visionner des séquences de l'émission Pékin express sur un grand écran, installé dans la salle d'audience, les conseillers prud'homaux sont restés enfermés pendant sept heures… Maître Laurent Carrié, l'avocat de Studio 89, la filiale de production de M6, n'avait pas craint de recréer ainsi des conditions dignes d'une émission de télé-réalité. Et ça a marché. Le conseil des prud'hommes de Nanterre a débouté 22 candidats issus des émissions Pékin express, Les Colocataires et The Bachelor qui réclamaient la requalification de leur participation à ces programmes en contrat de travail.

Pour emporter la décision, rendue le 30 mars, l'avocat (cabinet Deprez-Guignot & associés), a mis en avant la spécificité de Pékin express, jeu dans lequel les candidats courent d'une ville à l'autre et ont beaucoup d'autonomie pour organiser leurs déplacements. Il a également insisté sur la chance qu'avaient les plaignants de participer à un tel périple pour démontrer qu'il ne s'agissait surtout pas d'un travail.

Mais cette victoire pourrait n'être que de courte durée. En effet la jurisprudence est constante à ce sujet, avec une ligne claire: comme il y a un lien de subordination au producteur, tous les candidats à ces émissions doivent être salariés. Un arrêt du 3 juin 2009 de la Cour de cassation a enfoncé le clou: le contrat de participants de L'Ile de la tentation, diffusée sur TF1, a été requalifié en contrat de travail.

Depuis, chaque audience est quasiment devenue une formalité pour Jérémie Assous, l'avocat qui s'est fait un nom en défendant les candidats de télé-réalité: «J'ai comptabilisé plus de cent trente décisions qui vont dans le même sens.» D'ailleurs, cela fait trois ans que les sociétés de production ne prennent plus de risques et salarient systématiquement les candidats de Koh-Lanta ou Secret Story. Idem pour le groupe de jeunes du nord de la France qui a participé aux Ch'tis font du ski, diffusé en mars sur W9. «Ils étaient en CDD pendant le tournage», précise Alexia Laroche-Joubert, gérante de Banijay Production.

Prescription de cinq ans

Dans l'affaire des vingt-deux déboutés de Nanterre, la satisfaction de M6 pourrait ainsi se transformer en victoire à la Pyrrhus. Car l'avocat des plaignants a décidé d'interjeter appel. In fine, estime-t-il, la cour d'appel de Versailles devrait logiquement lui donner raison. Cela tombe bien car Jérémie Assous a encore dans ses tiroirs les dossiers de nombreuses autres gloires furtives du petit écran: «J'ai recensé 1 600 anciens participants à des émissions de télé-réalité n'ayant pas de contrat de travail. Jusqu'ici, seulement 340 ont obtenu gain de cause», précise l'avocat. Leur motivation? L'argent, bien sûr. «Mes clients, anciens de L'Ile de la tentation, ont touché a posteriori pour leur participation une rémunération quotidienne comprise entre 1 100 et 1 400 euros brut, et ce pour douze jours de tournage», confie Me Assous. Et quand le jeu se déroule dans un cadre fermé, il peut y avoir des circonstances aggravantes, ajoute l'avocat, cela peut donner lieu à réparation d'un préjudice supplémentaire comme dans Greg le millionnaire, Marjolaine et les millionnaires, etc.

Un contentieux juteux qui, malheureusement pour l'avocat, devrait se tarir à partir de 2014. En effet, dans ces affaires, la prescription est de cinq ans. Or depuis 2009, les sociétés de production ont établi des contrats en bonne et due forme. Il faut dire qu'elles sont un peu lasses des procès: le premier jugement des prud'hommes considérant que participer à une émission de télé-réalité est un travail date de novembre 2005.

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