Et si les entreprises envisageaient le mécénat comme un outil de management ? Pour le moment, il est surtout employé comme un instrument de communication. L'irruption massive des entreprises, de plus en plus présentes sur ce marché pour répondre aux nouveaux enjeux de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), est encore trop souvent teintée d'opportunisme.
Selon l'Admical, l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial, 87% des entreprises françaises se contentent d'un investissement financier, de surcroît dérisoire au regard des montants investis par leurs consœurs anglo-saxonnes. Difficilement compréhensible compte tenu des déductions fiscales consenties depuis les lois NRE de 2001 et de 2003 sur le mécénat.
Ce ne serait donc qu'un moyen pour les entreprises de s'offrir une opération d'image à bon compte en associant leur nom à des associations ou ONG prestigieuses ? Olivier Tcherniak, le président d'Admical, s'inscrit en faux : «Ce n'est pas qu'une technique de communication, explique-t-il. C'est souvent devenu, pour les entreprises et leurs collaborateurs, une façon de se construire dans une dimension plus humaine.» À l'heure où les salariés affirment leur quête de sens au travail, le mécénat peut être aussi un formidable outil de management.
C'est notamment l'avis d'entreprises comme Vinci, Axa, HSBC, RATP ou SFR, qui développent, au travers ou à côté de leur fondation, un mécénat en nature ou de compétences (actions de mécénat des salariés sur leur temps de travail), voire un bénévolat de compétences. «Décloisonnement des équipes, effacement des barrières hiérarchiques, nos actions dans ce domaine permettent à nos salariés d'échanger dans un cadre différent et sur un pied d'égalité», estime Chantal Monvois, déléguée générale de la Fondation Vinci pour la cité, qui organise depuis 2002 des actions de bénévolat de compétences dans le domaine de la lutte contre l'exclusion.
La fierté d'appartenance est également décuplée. «Plus une entreprise est active sur les questions de mécénat, plus ça influe positivement sur l'engagement des salariés», constate Valérie Perruchot-Garcia, directrice de la communication interne d'Axa Group, dont la fondation compte 20 000 salariés impliqués dans des actions de mécénat socialen vingt ans.
Chez SFR, qui a notamment créé un statut de collaborateur citoyen, objet d'un accord entre partenaires sociaux permettant tous les ans à une trentaine de salariés de s'engager durant leurs heures de travail pendant six à onze jours dans des actions solidaires, le mécénat est considéré comme un levier de performance RH. «Nos formules de congés solidaires – 25 salariés concernés en 2009–, de tutorat d'élèves issus de quartiers difficiles – 154 tuteurs pour la même année – et de mécénat de compétences ne sont pas des actions philanthropiques, affirme Antonella Desneux, directrice de la citoyenneté à SFR. Mais une façon concrète de signifier notre engagement citoyen et de révéler nos talents en interne et en attirer en externe.»
Une communication interne adaptée
Trente et un pour cent des entreprises engagées dans le mécénat ont choisi de permettre aux salariés de s'engager auprès d'une association durant leurs heures de travail. À l'heure où la crise fait rage, la formule peut-elle se développer ? C'est l'avis de Jean-Michel Pasquier, directeur général de Koeo.net, une plate-forme consacrée au mécénat de compétences et lancée au printemps 2009 : «Le mécénat de compétences peut être un outil de gestion des ressources humaines surtout en période de crise où faute d'activité, beaucoup de collaborateurs sont sous-employés, affirme-t-il. Du coup, plutôt que de licencier ou mettre ses salariés en temps partiel, il est plus avantageux pour l'entreprise, au vu des exonérations fiscales, de faire du mécénat de compétences.» Avec cette formule, les entreprises peuvent en effet défalquer 60% des salaires de leurs collaborateurs externalisés, à hauteur de 0,5% du chiffre d'affaires…
S'il n'est pas rare de voir une certaine méconnaissance des dispositifs du mécénat chez les entrepreneurs, les salariés affichent la même ignorance. «Le problème n'est pas de faire connaître la fondation, mais que les collaborateurs s'y impliquent», explique Chantal Monvois, de Vinci, qui ne compte que 900 parrains pour 165 000 collaborateurs dans le groupe. «Ils ne comprennent pas toujours que la fondation est faite pour et par eux. Il faut donc les accompagner.» Pour les inciter à travailler avec les acteurs de l'insertion, ce groupe vient ainsi de mettre à leur disposition un kit en forme de boîte à outils comprenant un glossaire et diverses bases de connaissance sur ce monde éloigné de l'entreprise. De même, un film a été créé en interne ainsi qu'un site Internet et un numéro de téléphone en propre. «Pour réussir à impliquer les salariés, il est indispensable que les fondations s'appuient sur un dispositif de communication interne élaboré et adapté à l'entreprise», commente Valérie Perruchot-Garcia, d'Axa, qui préside par ailleurs l'Association française de communication interne (Afci).
encadré
Quand l'exemple vient d'en haut
Les 28 et 29 janvier, les collaborateurs d'Axa ont pu poser aux membres du comité de direction, réunis pour l'occasion dans une «war room», des questions sur la politique RSE du groupe, dont la dimension mécénat a été intégrée en 2008. «Quelque 11 000 collaborateurs se sont connectés et 10 000 idées nouvelles ont été postées», se félicite Valérie Perruchot-Garcia, directrice de la communication interne. Idem chez SFR où, pour inciter les managers à laisser partir leurs collaborateurs en mécénat de compétences, c'est le président de l'entreprise qui communique par courriel. Seul écueil : la possible fuite de certains talents. Le mois dernier, suite à son expérience chez Emmaüs, un salarié de SFR a préféré quitter son entreprise et poursuivre sa carrière dans cette association.