«C'est la pire année jamais vue sur le front de l'emploi.» Pierre Lamblin, directeur des études de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), fait grise mine. Tous les sites d'emploi ont bu la tasse en 2009 et l'Apec n'y a pas échappé. Seules 227150 offres lui ont été confiées entre décembre 2008 et novembre 2009, soit un recul de 30%. Côté recrutement, l'Apec annonce 27% d'embauches en moins pour 2009. «Lors des précédentes crises de 1993 et de 2002, la baisse était deux fois moindre», précise Pierre Lamblin.
Et l'emploi cadre dans la communication et le marketing? Sur l'année, la diminution du nombre d'offres en communication des annonceurs atteint les 26%, et 37% en marketing. En agence aussi, l'année aura été marquée par la décroissance. L'Association des agences-conseils en communication (AACC) enregistre, pour l'ensemble de ses adhérents (près de 200), un recul moyen du chiffre d'affaires de 8% sur l'année. Son président Nicolas Bordas estime que les effectifs pour l'ensemble des agences ont diminué d'autant, avec de «grandes disparités selon les secteurs et les typologies de clients».
«Globalement, il y a eu très peu de mouvements cette année, relate Damien Créquer, associé au cabinet de chasseurs de tête Taste. Une majorité d'agences ont gelé les recrutements, voire réduit leurs effectifs. Quand aux CDD, considérés comme une variable d'ajustement dans les groupes de communication, ils n'ont pas été renouvelés.» Une année noire pour l'emploi, donc.
À l'AACC, on acquiesce. «Mais aucun groupe du secteur n'a dressé de procédure collective de licenciement», fait remarquer Nicolas Bordas en référence aux dégraissages massifs qui ont eu cours outre-Atlantique dans des grands réseaux comme WPP (Ogilvy, JWT, Y&R, Grey), Omnicom (BBDO, DDB, TBWA) et Interpublic (McCann-Erickson, Lowe, Draft-FCB) de fin 2008 à mi-2009.
Forte pression sur les prix
En France, les agences médias et événementielles ont été particulièrement touchées par la crise et la disparition des grands raouts des années passées, surtout s'ils concernent des événements de communication interne. La discrétion est de rigueur, avec des annonceurs soucieux d'apparaître responsables et solidaires de leur environnement. Du coup, après des années de croissance (10% en 2006, 11% en 2007 et 8% en 2008), l'ensemble du secteur devrait connaître une baisse de chiffre d'affaires autour de 20% en 2009. Et de nombreuses réductions d'effectifs.
Pas beaucoup mieux du côté de la production print et audiovisuelle, où la baisse d'activité devrait également avoisiner, selon Nicolas Bordas, les 20%. «Près de 60% du revenu d'une agence est absorbé par sa masse salariale, souligne Nicolas Bordas. Du coup, pour préserver sa rentabilité, elle n'a pas d'autre choix que de réduire ses effectifs.» Cela s'est par exemple vérifié dans les agences de marketing services. «La marge brute de l'ensemble de ces agences a fondu de 15% à 20% en 2009, indique Philippe Ceyrac, président de la délégation marketing services de l'AACC. Cela représente au bas mot 10% d'effectifs en moins dans toutes les fonctions.»
Des réductions d'effectifs également constatées dans les agences de relations presse. La faute, selon Stéphane Billiet, président de Syntec Conseil RP, à la «low-cost attitude» des annonceurs. «Les clients nous ont pressurés sur les prix, explique-t-il. Les budgets ont baissé de 10% à 20% en moyenne. Impossible dans ces conditions de se développer et de transformer entre autres des stages en contrat de travail. C'est d'autant plus dommage que les jeunes sont très bons.» Que les jeunes diplômés désireux de travailler dans les relations presse se rassurent, de nombreux annonceurs sont en train de renforcer leurs équipes.
Profils techniques très prisés
Mais les agences n'ont pas toutes subi la crise. Les agences interactives et celles spécialisées dans le corporate ont tiré leur épingle du jeu. Pour celles-ci, la croissance est restée positive, avec des embauches qui se sont poursuivies. Parmi les métiers les plus demandés dans les fonctions opérationnelles, ceux de la responsabilité sociétale des entreprises et de la santé, et surtout ceux du numérique se taillent la part du lion. Les candidats à l'embauche maîtrisant la veille, l'influence et l'action sur les blogs et réseaux sociaux ont été particulièrement recherchés en 2009 et devraient continuer à l'être, en agence comme chez l'annonceur. Des managers de communauté ("community managers") et métiers dérivés (lire en p.34) mais aussi des spécialistes du marketing Web, du référencement, de l'affiliation, etc.
L'année 2009 a été également marquée par l'émergence des métiers du marketing mobile. «Il s'agit généralement de profils techniques du type ingénieur, que les agences forment en interne au marketing mobile», précise Thomas Dufournaud, associé chez Mushroom Conseil, une jeune agence de recrutement spécialisée dans la communication et le marketing. Toujours sur la partie technique, les besoins des agences se portent aussi sur les postes de chef de projet Web. Là encore, les profils d'ingénieurs attirés par l'univers des marques, voire de diplômés d'école de commerce sont appréciés.
Du côté des commerciaux, après une première partie d'année atone, «les agences ont repris leurs recrutements au cours du dernier trimestre 2009», note Clément Boehm, responsable commercial des petites annonces à Stratégies.
Sur la partie création, l'année 2009 a plutôt vu les effectifs se réduire et le recours aux free-lance se renforcer. «On demande désormais aux directions artistiques d'être très polyvalentes dans les supports à réaliser et de moins se concentrer sur le concept et l'accroche», souligne Damien Créquer. Conséquence : le tandem concepteur-rédacteur/directeur artistique semble s'effriter. Mais un nouveau couple fait son apparition: les planneurs stratégiques, toujours aussi vitaux en agence, sont désormais de plus en plus associés à des spécialistes de l'audience capables de la mesurer et de la générer. Ces profils experts des médias se nomment, suivant les agences, "audience planneurs", "connexion planneurs", voire "data crunchers".
Que nous réserve l'année 2010? Sur le plan macroéconomique, Pierre Lamblin est pessimiste. «L'emploi des cadres ne devrait vraiment redécoller qu'en 2013», pronostique-t-il. Les acteurs du secteur de la communication sont beaucoup plus optimistes pour l'emploi. Les principaux observateurs du marché estiment que les recrutements dans les métiers de la régie vont redémarrer, tout comme la demande de commerciaux en agence. Les «chasseurs de briefs et de budgets» sur la partie new-biz promettent d'être très recherchés. «Après avoir touché le fond, on va rouvrir les vannes», annonce Nicolas Bordas. Espérons…