Communication interne
Les émojis ont envahi les réseaux sociaux, SMS et messages publicitaires. Dans l’univers professionnel, l’usage de ces pictogrammes se démocratise même si leur rôle soulève quelques questions.

Apparus peu avant l’an 2000 au Japon, les émojis – émoticônes en France – ont essaimé par SMS et MSN, avant de véritablement s’affirmer sur les réseaux sociaux. À tel point qu’ils sont devenus des éléments constitutifs de notre langage. «Le message écrit, par définition, est pauvre en information. Il manque de clefs d’interprétation qui, parfois, nous font passer à côté de l’intention», analyse Cyrille Frank, journaliste, ancien directeur des contenus d'AOL et fondateur de Mediaculture.fr. «L’écrit est un média froid, les émojis permettent d’ajouter une dimension interprétative sur l’intention des différents locuteurs», poursuit-il, en citant le théoricien de la communication Marshall McLuhan. Mais il y a une limite à l’exercice, comme le souligne Olivier Cimelière, auteur du Blog du Communicant. «On a tous une anecdote sur des e-mails que l’on a écrits, mais qui ont été interprétés d’une autre manière…» Il explique son raisonnement: «De visu, un grand nombre de signaux non verbaux nous aident à comprendre, par exemple, si l’autre plaisante ou non. On estime que 70 à 80% du langage au cours de relations interpersonnelles serait non verbal.» Autant dire que les émojis, dont le nombre ne cesse d’augmenter, dépassant largement la petite tête jaune pour représenter aujourd’hui des métiers, peuvent vite apparaître comme un renfort utile dans le cadre d'une communication interne.

Risque d’incompréhension

Les émojis ne sont pourtant pas sans risque. Pour Cyrille Frank, un mauvais choix des pictogrammes peut même s’avérer désastreux. Si le simple smiley de fin de message est totalement entré dans les mœurs au bureau, d’autres signaux, comme le cœur ou le bisou, le sont nettement moins. Autre limite: bien que standardisés, leur affichage varie selon la plateforme, changeant légèrement les expressions. «L’évolution culturelle est toujours plus lente qu’on ne le croit, souligne l'animateur de Mediaculture. Ce n’est pas parce que vous utilisez à titre privé des messages de ce type qu’ils sont forcément analysés de la même manière par l’ensemble du corps social, c’est une question de vitesse de propagation et d’évolution, et tout change plus lentement dans le milieu professionnel.»

Si un collègue apprécie ce mode de communication, ce n’est peut-être pas le cas d’un supérieur. L’utilisation d’émojis dépend de la relation hiérarchique, mais aussi et surtout de la culture d’entreprise. «Je ne suis pas sûr que l’émoji soit vraiment compris par les générations de managers les plus anciennes, estime Olivier Cimelière, et puis ce n’est pas vraiment ancré dans les coutumes françaises. On ne sait pas manier cet usage utilement en interne comme peuvent le faire certaines marques pour illustrer leur propos.»

L'occasion de commettre un impair?

L'ancien directeur de la communication de Google France prévient du risque que l’émoji soit perçu comme un geste infantilisant «Si la majorité des salariés de l’entreprise sont des jeunes habitués à ces codes visuels, ce sera plutôt bien reçu. Si on est dans des secteurs plus traditionnels, comme la banque, l’assurance ou la finance, je ne suis pas vraiment convaincu que cela produise un effet positif. Ce sera, au mieux, incompris ou ignoré et, au pire, cela donnera  aux gens le sentiment d’être infantilisés!» Ce n’est pas tout. L’émoji pourrait, selon lui, générer un questionnement parasite sur ses intentions: «Qu’est-ce que ça cache derrière?» Pour Olivier Cimelière, «ce n’est pas en utilisant un émoticone toutes les deux lignes que la pilule passera mieux lorsqu’il faut annoncer quelque chose de compliqué. Bien au contraire. La personne aura l’impression qu’on la prend pour une idiote».

Le côté obscur du smiley

Mathilde Ramadier, auteure de Bienvenue dans le nouveau monde, Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups (Premier Parallèle) et scénariste de BD, dénonce également l'usage abusif au sein de certaines start-up. «J’avais l’impression qu’on ne pouvait plus dire la moindre phrase par e-mail sans mettre un smiley, sinon, on passait pour quelqu’un de très froid et sans émotions. Pourtant, on peut absolument tout décrire avec des mots. J’avais souvent l’impression d’avoir affaire à une bande d’adolescents». Il arrive que les émojis sortent des e-mails: «Sur les Post-it par exemple, lorsque quelqu’un voulait signaler quelque chose dans l’open space, le message était toujours suivi d’un smiley dessiné. Je trouvais ça tellement exagéré, ça en devenait puéril. Je me disais que c’était une forme de métalangage supplémentaire pour faire passer ce message de “coolitude qui était un leurre”, finalement.»

L’effet potentiellement négatif de l’émoji en entreprise ne s’arrête pas là. Dans une étude intitulée «The dark side of a smiley [Le côté sombre du smiley]» publiée le 31 juillet dernier par la revue scientifique Social Psychological and Personality Science, on apprend qu’«essayer d'avoir l'air trop sympa dans un message envoyé au travail peut vous faire passer pour un incompétent». Un constat que partage Cyrille Franck. «Même si l’émoji peut favoriser la cohésion en entreprise, son excès peut être décrédibilisant pour l’employé, comme pour le manager.»

La “coolitude“ en mode survie

Mathilde Ramadier, auteure de Bienvenue dans le nouveau monde, Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups (Premier Parallèle), témoigne: «Les boss utilisaient ces techniques pour nous manipuler d’une certaine façon. Lorsque j’ai commencé à travailler dans cet univers, j’ai reçu un «welcome kit» plus communément appelé «PDF de bienvenue», dans lequel un paragraphe abordait le sujet des vacances. Même si tout avait été mentionné sur mon contrat, il y était écrit en anglais que d’après la loi, j’avais droit à cinq semaines de congés par an, mais qu’il était un peu tôt pour penser déjà aux vacances parce que je venais de commencer. Une petite phrase anodine, soulignée bien sûr par un smiley. Les employés étaient ainsi dissuadés de poser leurs jours avant un an ou deux.» Derrière le sourire invariable de l’émoji, un instrument de manipulation ?

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