Agences
Confrontées à une multiplication des cas de burn-out, les agences réagissent et prennent des initiatives. L’AACC a réalisé une enquête que Stratégies publie en exclusivité.

Une flambée. En 2013, moins de 100 arrêts de travail de plus d’un mois ont été constatés en agence par la médecine du travail (Centre médical de la publicité et communication). En 2016, il y en a eu plus de 300. Or ces arrêts de longue durée sont symptomatiques des cas de burn-out. En septembre dernier, Stratégies publiait l’interpellation de Vincent Leclabart, alors président de l’association des agences-conseils en communication (AACC): «Burn-out en agences: mobilisons-nous». Une interview-choc sur ce sujet délicat.

Depuis, l’AACC a réalisé une enquête (en interrogeant 73 agences et groupes membres) dont Stratégies publie aujourd’hui les résultats en exclusivité. «Nous devions nous emparer de ce sujet, il fallait mettre des chiffres et des mots sur ce que nous ressentions depuis des années: nous faisons un métier génial, utile, mais nous souffrons d’un manque de considération et trouvons que nous ne sommes pas bien traités», dit le président de l’agence Australie. Pour compléter l’analyse, l’AACC a mené avec l'Obsoco une étude qualitative menée auprès de salariés d’agence en risque de burn-out. L’objectif de l’AACC aujourd'hui: aboutir à une prise de conscience de tous les acteurs sur ce sujet du mal-être en entreprise, des agences, mais aussi des annonceurs.  

La production et le commercial plus exposés

Le constat est sans appel: en trois ans, les arrêts maladies de plus d’un mois en agence ont triplé. «Cet accroissement est anormal selon la médecine du travail, et elle concerne une population de plus en plus jeune», peut-on lire dans le rapport rédigé par l’AACC. Or ces arrêts maladies sont symptomatiques du burn-out. Si l’épuisement professionnel est souvent multifactoriel, les agences interrogées par l’AACC citent en tête des causes de burn-out (à 70%) une pression excessive de l’annonceur (manque de considération, rejets systématiques des propositions…). Viennent ensuite d’autres motifs: une surcharge de travail (40%), une démotivation/un désintérêt du collaborateur (36%). «Il y a un fort sentiment de dégradation de la place et de la mission des agences, relève Vincent Leclabart. Les agences sont passées d’un rôle de conseil à celui de prestataire qui répond à des commandes, n’a plus de marges de manœuvre, d’autonomie. Résultat, les conditions de travail sont à flux tendu, très court-termistes. Cela provoque beaucoup de stress au travail.»

Certaines fonctions sont plus exposées que d’autres en agences, souvent parce qu’elles manquent d’autonomie: «Dans la production print, digitale… vous dépendez directement de ce que les autres font en amont, illustre Pierre Le Gouvello, ex-président de Diversified Agencies et ex-chief people officer de DDB Paris. Les métiers commerciaux aussi, puisqu’ils sont très exposés dans la relation client.» Quant aux managers intermédiaires, ils tentent tant bien que mal d’amortir les chocs, de donner du sens, sans avoir de reconnaissance.

Le droit à la déconnexion à l'étude 

«Le burn-out n’est pas spécifique aux agences, cet état de tension professionnelle existe partout, même chez les annonceurs, tempère Pierre Le Gouvello. Ce phénomène prend de l’ampleur avec l’accélération liée à l’évolution des métiers, des process, des technologies, des organisations.» Si les agences sont davantage exposées aujourd’hui, c’est aussi en raison de leur fragilité économique: «Nous avons moins de marges de manœuvre économique et du coup comportementales face à un client», poursuit Pierre Le Gouvello. Un point de vue que partage Grégory Pascal, président et fondateur de l’agence Sensio et président de l’AACC digital: «Les agences traditionnelles sont en difficulté, car une partie de leurs revenus sont partis dans le digital et elles font face à un contexte économique compliqué. Elles doivent à tout prix trouver des relais de croissance, quitte à participer à des compétitions non rémunérées. À l’inverse, les agences digitales se portent mieux, elles ont davantage de capacité pour recruter et relâcher la pression sur leurs équipes actuelles.»

La prise de conscience est déjà là du côté des agences: 4 sur 5 ont engagé des actions en 2016. D’abord pour le bien-être au travail (75%), la gestion de la relation client (54%), la gestion du stress (36%)… Et en 2017, elles sont aussi nombreuses à se mobiliser. Parmi les pistes étudiées, la mise en œuvre du droit à la déconnexion. «Ce sujet s’impose, confirme Pierre Le Gouvello. Dans le contrat type agences-annonceurs, pourquoi ne pas inclure des dispositions ayant trait au contrat de travail?» 

Éduquer les annonceurs

La dégradation de la relation agences/annonceurs est pointée du doigt dans les causes de burn-out. Selon le nouveau président de l’AACC et président de Babel, Laurent Habib, «la maltraitance est un sujet central, mais elle n'est pas le résultat de la méchanceté des annonceurs, c'est davantage la conséquence de leur méconnaissance de nos modes de fonctionnement, de notre rôle et de la valeur que nous créons ensemble. Je pense par exemple qu'il y a une vraie méconnaissance de ce qui se passe dans les phases de compétition, la nature de ce qui est fait, le suivi d'un dossier. Il faut retrouver de la confiance avec les annonceurs en leur montrant ce que nous faisons, comment nous le faisons et comment nous pouvons mieux le faire ensemble.» Un point de vue également partagé par les annonceurs, par la voix de Jean-Luc Chétrit, directeur général de l’UDA (lire ci-contre). L’heure est bien à la mobilisation générale!

Entretien

«La transformation digitale bouleverse toutes les entreprises»

Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’UDA

Comment l’Union des annonceurs (UDA) réfléchit avec l’AACC sur le sujet du burn-out?

Les annonceurs sont tous les jours confrontés à l’uberisation de leurs business models. Cela induit une tension, une accélération du temps permanente. C’est bien sûr la conséquence de la transformation digitale qui bouleverse toutes les entreprises et peut induire une pression sur les salariés, aussi bien en agence que chez les annonceurs. Du coup, nous travaillons de concert avec l’AACC sur tous ces thèmes depuis pas mal de temps. Le dialogue est permanent. Dans cet esprit, nous avons créé la charte de «la belle compétition». Aujourd’hui, dans l’évaluation annuelle de l’agence par l’annonceur, nous avons mis en place la possibilité d’une évaluation réciproque: les agences évaluent aussi les annonceurs. Nous avons également mis en place les «vis ma vie», qui permettent aux collaborateurs des annonceurs de s’immerger en agence. Toutes les actions engagées ont pour but de construire des solutions communes.

Quelles pistes concrètes envisagez-vous?

Nous devons encourager les bonnes pratiques et les faire connaître. Je viens moi-même de l’univers des agences. Nous sommes prêts à organiser un événement avec des acteurs qui ont mis en place des solutions innovantes dans la relation agences/annonceurs. En démontrant que cela a donné de bons résultats pour les uns et les autres, et pas seulement sur le terrain de la responsabilité sociétale. Par ailleurs, nous sommes en train de réviser la charte UDA de la communication responsable qui va nous permettre de mobiliser un peu plus les annonceurs, et sur laquelle l’AACC a été consultée.



 

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