Dossier Communication
Apporter à ses collaborateurs la bonne info au bon moment n’est plus tout à fait une chimère grâce au rapprochement de la data et de la com interne. Un chantier prometteur mais qui démarre à peine.

«Nous avons démontré à un prospect que ses salariés passaient en moyenne 42 secondes sur les pages de son site, soit bien moins que le temps moyen observé qui est de plus de trois minutes», explique Édouard Rencker, PDG de Makheia. Une data simple, révélatrice de la situation des salariés face à l’information: ils sont noyés. Newsletters, journal interne, intranets, RSE, e-mails… «Les salariés sont face à une surabondance d'information du fait de la multiplication du nombre d'émetteurs, constate Aurélie Renard, consultante en communication et dirigeante de Innerside. Pour éviter le comportement le plus courant, le survol des messages, il faut produire du contenu interne plus ciblé, mieux agréger le contenu externe issu de la veille pour le porter vers ceux qui en ont le plus besoin et aider les salariés à mieux trier.»

Une approche qu’Oracle met déjà en œuvre. Lorsqu’il déploie une offre Saas, l’éditeur de software propose ainsi à ses clients une prestation complémentaire fournie par la start-up Inside Board qui recueille les données sur l’utilisation des applications déployées. L’intérêt est double, explique Olivier Fécherolle, directeur du développement chez Oracle: «Il devient possible de savoir si les usages sont conformes, ou pas, à ce qui était attendu et la communication interne peut ainsi mieux cibler ses messages.» L’analyse de la data peut aussi détecter des schémas d’utilisation inédits mais efficaces. La communication interne peut alors les faire connaître pour les propulser au rang de best practice et contribuer du même coup à l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise.

Simple en théorie, cette pratique se heurte à une forte inertie. Hormis les grands groupes, la plupart des entreprises n’ont même pas conscience que la data peut améliorer leur communication interne. «Elles ne connaissent pas leur data et n'ont pas les algorithmes pour les traiter», résume Dominique Turcq, président de l’institut Boostzone.

Sortir du taylorisme

Les gains d’une telle démarche sont pourtant flagrants et impactent aussi bien l’interne que l’externe, ajoute-t-il: «S'ils sont mieux informés, en particulier sur un mode transversal et horizontal, les collaborateurs sauront ce que font leurs homologues d'autres business units, ce qui évitera de refaire des choses déjà mises au point ailleurs, tout en favorisant la diffusion des meilleures pratiques. Une meilleure communication interne rejaillit aussi sur l'extérieur. Des gens bien informés diffusent une image plus positive de l'entreprise, ce qui constitue un atout pour attirer des talents et donner un avantage compétitif stratégique.»La culture managériale reste cependant un frein, constate Aurélie Renard: «Les entreprises veulent développer une culture de la collaboration mais le mode de management est encore resté dans une approche tayloriste. Encore aujourd'hui, certains managers estiment qu'un salarié qui consulte le RSE n'est pas en train de travailler. Il faut qu'ils comprennent que chercher de l'information, c'est travailler! Le management doit évoluer pour que la transformation digitale aboutisse mais cela va prendre des années.»Dernier obstacle, et non des moindres: la mesure du ROI (retour sur investissement) reste problématique. «Un salarié plus motivé et mieux informé est certainement plus performant, mais de combien? Dès qu’il sera possible d’apporter une réponse chiffrée fiable à cette question, la com interne pourra dégager plus facilement des budgets d’investissement dans la data», assure Édouard Rencker.

Démarche participative

En dépit de tous ces obstacles qui bloquent la jonction de la data avec la com interne, la visibilité du sujet progresse, le plus souvent grâce à des constats simples qui alertent les dirigeants. L’ensemble des signaux faibles ainsi émis vont-ils faire basculer la situation actuelle? L’époque est propice en tout cas, estime Aurélie Renard: «La transformation digitale est une opportunité pour avoir plus de data et affiner les flux de communication interne.»Elle offre même un atout supplémentaire: il devient possible d’inclure les collaborateurs dans le processus et d’en faire des participants actifs, en leur demandant par exemple de quelles informations ils estiment avoir le plus besoin et quels sont les sujets qui les intéressent le plus. Attention toutefois à l’illusion de la data toute puissante et autonome, prévient Dominique Turcq: «Le point essentiel, une fois réalisée une cartographie de la data, ce sont les questions à poser à cette data. Ce travail en amont ne peut être mené que par des humains car il est directement connecté à la stratégie et aux objectifs de l'entreprise.»

Avis d'expert

«Établir une cartographie des personnes influentes»

Jean-Noël Chaintreuil, fondateur de 231 E 47, laboratoire d’innovation 

 

Comment la data pourrait améliorer la communication interne?Jean-Noël Chaintreuil. La data permet de créer des persona qui sont des archétypes des différentes cibles, caractérisés par un grand nombre de paramètres et modélisés à partir de la data. Une bonne segmentation permet d’accélérer la diffusion de l’information et son impact. Cela peut favoriser l’adoption d’un nouvel usage par exemple. La data permet aussi d’établir une cartographie des personnes les plus influentes, celles qui poussent les autres collaborateurs à consulter des contenus. Dans les entreprises, ce process est encore au stade artisanal et n’a pas encore été automatisé. La data permet aussi de trouver la bonne combinaison entre contenu, format de ce contenu, timing de publication, canal de diffusion et prescripteurs initiaux à mobiliser. Ce process assure la diffusion la plus rapide et la plus impactante possible.Quel regard portent les responsables communication sur l’usage de la data?J.-N. C. Quand la com interne est pilotée par les RH, elle n’est pas focalisée sur les mêmes process et les mêmes résultats. Beaucoup de responsables RH viennent du droit social et ils ne pensent pas la communication ou la formation en termes d’usage de la data. Quand la com interne dépend d’une dircom, il y a une acceptation plus simple de la segmentation de l’audience​, par exemple. Actuellement, deux obstacles restent à surmonter: la compréhension de la data et son intégration le plus en amont possible dans le processus business pour avoir une pertinence maximale. Depuis 2016, j’observe une inflexion avec l’arrivée d’une nouvelle génération de RH et un usage croissant de la data.

 

Trois types de data au service de la com interne

La com interne peut s’appuyer sur plusieurs formes de datas, estime Edouard Rencker, PDG de Makheia: «Celle dite sémantique, qui permet de cerner les termes utilisés par les salariés pour chercher l’information et la qualifier ; celle produite par les moteurs d’analyse sémantique, qui permettent de scanner l’intégralité d’un site ou d’un intranet et d’en connaître finement le contenu ; enfin la data viz qui donne une nouvelle dimension à l’information à visée pédagogique.» La maîtrise et la structuration de ces datas améliorent le nommage et le classement des informations, ce qui réduit le temps de recherche ainsi que le taux de recherches infructueuses, lui-même générateur de pertes d’opportunités et de démotivation.

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