Ressources humaines
Les entreprises doivent aujourd’hui mettre en œuvre le droit à la déconnexion. Zoom sur les bons élèves, qui se sont emparés du sujet avant les autres.

Le droit à la déconnexion, c’est parti ! Depuis le 1er janvier, il a fait son entrée dans le code du travail. Le sujet doit être abordé lors des négociations annuelles sur l’égalité professionnelle hommes/femmes et la qualité de vie au travail. Certaines entreprises n’ont pas attendu 2017 pour s’y intéresser. Parmi les précurseurs, il y a le groupe La Poste : il a conclu un accord dès 2015. Valable trois ans, il prévoit une plage de déconnexion – entre 20h et 7h30 du matin pour les salariés – ainsi qu’une liste d’urgences exceptionnelles autorisant à y déroger. « Elles concernent la santé des collaborateurs, l’intégrité des biens et services de La Poste et les problèmes graves de continuité des services », détaille Florence Wiener, directrice de la stratégie sociale. Au printemps 2016, 100 000 salariés de La Poste ont reçu un mail rappelant les termes de l’accord, pour les inciter à l’appliquer et le faire respecter. En 2017, lorsqu’un mail sera envoyé hors des heures de travail, une fenêtre de dialogue s’ouvrira pour demander s’il s’agit d’un envoi lié à une circonstance exceptionnelle. Si tel n’est pas le cas, l’envoi du mail sera différé. « C’est une nouvelle manière de rappeler à chaque postier l’engagement du groupe sur le droit à la déconnexion », résume Florence Wiener.



Déconnecter pour gagner en efficacité



Chez Australie, la réflexion sur le droit à la déconnexion a aussi commencé en 2015 dans le cadre d’une recherche plus large sur les causes pouvant mener au burn-out. « Nous avons constitué un groupe de travail de 14 personnes issues des différents métiers du groupe, raconte Alexandra Gaudin, DRH. Il n’aura fallu que trois séances pour aboutir à une charte comportant cinq résolutions. » Diffusées sous forme de cartes postales réelles et virtuelles, elles incitent à donner la priorité au face-à-face, instituer une trêve des mails, tempérer l’urgence, éviter de perturber les vacances et maximiser la concentration durant les réunions. En novembre, Australie a lancé une semaine de la déconnexion qui a commencé avec une journée sans mail. « Pendant les réunions, nous avons invité les participants à déposer leurs smartphones dans une boîte transparente. L’idée a très bien fonctionné », raconte Alexandra Gaudin.

Orange aussi a misé sur une approche globale avec un accord qui aborde la transformation numérique. Conclu en 2016 après un an de négociations, il traite trois sujets : la fracture numérique entre utilisateurs, les bons usages des outils numériques (y compris le droit à la déconnexion), et la protection des données personnelles. « L’accord considère les outils numériques comme des moyens d’organiser des réunions et recommande aux managers de respecter les horaires habituels, soit entre 8h et 18h », explique Philippe Trimborn, directeur de l'innovation sociale et de la transformation digitale. Cet accord invite aussi à la déconnexion durant les heures de travail afin, notamment, d’améliorer l’efficacité des réunions.



Des résultats probants



La tentation de l’hyper-connexion semble marquer le pas. « Les mails tardifs ont clairement diminué, témoigne Alexandra Gaudin. Depuis la diffusion de notre charte, je sens les gens plus favorables au dialogue en face à face. J’ai constaté qu’au bout de trois mails, ils s'appellent pour un échange direct. De même, à Noël, j’ai observé une vraie déconnexion. »

La mesure de l’efficacité des accords ou des chartes repose pour l’instant sur l’observation empirique ou les données recueillies lors des entretiens annuels. Seul Orange a décidé d’aller un cran plus loin en établissant dès 2017 des bilans annuels, individuels et collectifs, sur l’usage des outils numériques. « Il seront partagés avec les services de santé au travail, qui seront formés d’ici 2018 aux risques liés aux outils numériques, détaille Philippe Trimborn. Cela nous permettra, si besoin, d’améliorer notre dispositif. »



 

Avis d’expert

« Deux obligations sont incontournables »

THOMAS HUMBERT, avocat spécialisé en santé et sécurité au travail du cabinet BRL Avocats

 

Pouvez-vous définir le droit à la déconnexion ?

Thomas Humbert. Il faut garder à l’esprit que la loi ne définit pas en tant que tel le droit à la déconnexion. Elle pose le principe d’un dispositif visant à réguler l’usage des outils numériques afin d’assurer un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il y aura donc autant de dispositifs, et de façons d’évaluer leur efficacité, que d’entreprises et de secteurs d’activités.

Comment le mettre en œuvre ?

T. H. Deux obligations sont incontournables : le respect des périodes de repos et de congés et le respect de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale. La mise en place de dispositifs efficaces résultera du respect de ces deux obligations. La démarche implique au préalable un diagnostic de la situation de l’entreprise, des pratiques existantes vis-à-vis des outils numériques mais aussi des pratiques managériales. Un état des lieux précis est indispensable et il faudra que les représentants du personnel (CE, CHSCT) y soient associés pour aboutir à un diagnostic partagé.

Quels risques est-il censé prévenir ?

T. H. Le droit à la déconnexion s’inscrit dans le champ plus large des risques psycho-sociaux (RPS). Il y a dix ans, il nous arrivait de traiter un dossier de stress au travail de façon épisodique. Aujourd’hui, je suis sollicité en moyenne une fois par semaine. Dans ce domaine, les entreprises peuvent déjà se baser sur les indicateurs classiques comme le nombre de jours d’arrêt maladie, le turn-over ou le nombre de déclarations d’accidents de travail ou de maladies professionnelles afin d’apprécier la charge psychologique du travail. Compte tenu des obligations à la charge des employeurs, ils devront être vigilants sur les actions mises en œuvre et sur leur traçabilité.

 

Les PME aussi concernées

 

Les sociétés avec des effectifs inférieurs à 50 personnes ou dont les salariés ne sont pas au « forfait jour » ne sont pas soumises aux obligations édictées dans la loi El Khomry. Pour autant, elles ne pourront pas s’en exonérer. En cas de litige porté devant les tribunaux, les juges ne modifieront pas leurs attendus en fonction de la taille de la société. Ces entreprises ont donc tout intérêt à établir une charte. Pour sécuriser cette démarche, les employeurs devront démontrer qu’ils ont suivi les pratiques que la jurisprudence prend en compte pour déterminer une réelle préoccupation vis-à-vis de la santé physique et mentale des salariés. De ce point de vue, les accords nationaux interprofessionnels de 2005 et 2013, qui abordent déjà le droit à la déconnexion, peuvent s’avérer utiles.

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