Étude
Les entreprises prennent enfin conscience de l'importance stratégique de leur responsabilité sociétale (RSE). Décryptage avec Arielle Schwab, directrice associée chez Havas Paris, qui publie une étude sur le sujet.

La RSE est-elle enfin considérée comme un enjeu business ? Pour répondre à cette question, le réseau Global Compact France (1), l’agence Havas Paris, l’institut CSA Research et L’Express ont interrogé, entre le 10 et le 24 mai 2016, près de 200 dirigeants (PDG, DG, directeurs de la communication, directeurs de la RSE...) sur la place de la responsabilité sociétale dans leur entreprise. L’étude, intitulée «Les nouvelles frontières de la responsabilité sociétale en entreprise: un modèle au service de la performance?», dresse un état des lieux sur l’impact de ces problématiques à la fois sur l’organisation des entreprises, sur leur communication et sur leur modèle économique.



La RSE est en train de révolutionner l’organisation des entreprises ?

ARIELLE SCHWAB. Oui, une révolution est en cours: aujourd’hui, il n’y a pas un projet, pas un métier, qui ne soit impacté par ces enjeux. Les départements spécifiquement dédiés à la RSE se multiplient. Et il est intéressant de constater qu’ils sont dans 70% des cas rattachés à des niveaux stratégiques de l’entreprise allant jusqu’à dépendre directement la direction générale. Je remarque que la nouvelle génération qui fait son entrée dans l’entreprise est plus exigeante sur ces questions. Résultat, le management traditionnel s'en trouve challengé. Au fond, cette jeune génération est à la recherche d’une cohérence entre ses convictions, ses engagements, et ceux à quoi elle contribue au quotidien dans son travail. Du reste, les profils venus du monde associatif sont de plus en plus valorisés. Pléthore de formations en économie sociale et solidaire apparaissent, notamment dans les écoles de commerce, et se dotent d’une forte crédibilité.

 

Ça y est, la RSE est devenue un enjeu business...

AS. Pour 76% des entreprises, la RSE aura un impact sur leur modèle économique. Il faut se rappeler que dans les années 1980, puis dans les années 2000, la RSE était plutôt considérée comme une vitrine. Elle constituait surtout un moyen de se raconter. Les négociations climatiques autour de la conférence de Copenhague en 2009 et la prise de conscience de la société civile ont ensuite joué un rôle clé et sacré la RSE comme un sujet incontournable. Quand une entreprise lance un produit, porte un message ou se réorganise, tenir compte de l’environnement, du bien-être au travail ou encore de la parité est devenu une obligation. La troisième phase, celle qui émerge, voit les entreprises se transformer en profondeur et la RSE impacter jusqu’à leur modèle économique. Cela génère de nouvelles offres, des produits spécifiques, de nouvelles activités, etc. Par exemple, le fait de tenir compte de ses émissions de gaz à effet de serre peut contribuer à réorienter une stratégie, ou encore la création d’une ligne de produits bio va repositionner toute une activité…



Les freins demeurent pourtant nombreux... comment les surmonter ?

  AS. Il règne toujours un certain scepticisme notamment lié à la création de valeur de la RSE. Et en toute objectivité, si les bénéfices sont nombreux et de tous ordres, il est encore aujourd’hui compliqué de quantifier le retour sur investissement financiers des initiatives de RSE. Autre grand obstacle: le manque de temps. Mais si on résout la problématique de la valeur, on trouvera le temps. L’enjeu est de considérer ces démarches plutôt comme des investissements que des coûts. Dans l’ensemble, les entreprises ont conscience qu’elles ont un rôle à jouer, un pouvoir d’action, une légitimité sur ces grands sujets de société.

 

Cela change-t-il la manière de communiquer ?

  AS. Les différents scandales liés aux soupçons de greenwashing de certaines sociétés ont marqué les esprits. Mais aujourd’hui, les entreprises sont devenues des faiseuses, elles agissent. La question est de savoir comment le raconter, le partager. Pour 93% des entreprises, une démarche RSE aura un impact en premier lieu sur l’image (voir infographie). Le rôle de la communication est d’accompagner les grands changements de société, et même de jouer un rôle d’accélérateur, de catalyseur. Cette démarche qui met la communication au service de la responsabilité sociétale prend le contre-pied de celle d'écoblanchiment qui a pu sévir par le passé. Au niveau de la marque employeur, toutes ces questions sont également cruciales. Il s’agit de se différencier de la concurrence au moment du recrutement, d’attirer les meilleurs éléments. Ce qu’une entreprise fait à l’intérieur doit se voir à l’extérieur.





Du rapport RSE au rapport intégré

La famille des rapports d’entreprise s’agrandit : après le rapport annuel et le rapport RSE, voici venu le rapport intégré. «Cette tendance prend de l’ampleur depuis trois ans, décrypte Bénédicte Cateland, directrice des contenus chez Terre de Sienne, agence de communication corporate. Le rapport intégré est déjà adopté par un millier de groupes dans le monde, près de 200 en Europe et seulement quelques-uns en France ». En quoi cela consiste? «Les rapports annuels portaient essentiellement sur l’activité de l’entreprise, précise Bénédicte Cateland. Le rapport intégré englobe désormais la création de valeur pour la société toute entière.» Autrement dit, il doit passer en revue non seulement le bilan d’activité de l’entreprise, mais aussi la façon dont elle se comporte vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes et de son environnement. Le tout mesuré par des indicateurs aussi bien financiers qu’extra-financiers. Un cadre pour ce rapport intégré a été proposé par l’International Integrating Reporting Council (IIRP). Cela correspond aussi à une évolution du rôle de l’entreprise dans la société: aujourd’hui les citoyens en attendent beaucoup. «L’intérêt de l’exercice est de réussir à s’adresser dans un même rapport à toutes les parties prenantes: agences de notation, investisseurs, actionnaires, collaborateurs, futures recrues, clients…, pointe Bénédicte Cateland. Pour que cela fonctionne, que le rapport intégré soit lu et compris par tous, il doit exprimer une certaine hauteur de vue, être vrai et transparent sur l’activité de l’entreprise et sur son rôle sociétal.»

G.W.

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