Communication interne
Après les attentats du 13 novembre, les groupes ont dû prendre la parole pour rassurer leurs collaborateurs et les inciter à la prudence. Un exercice compliqué.

Après l’effroi, la prise de parole. Dès le lendemain des attentats du 13 novembre, les directions de la communication des entreprises ont été obligées de s’y mettre. Dans un premier temps il a fallu vérifier, en plein week-end, la bonne santé de leurs collaborateurs, puis les rassurer. Et tout cela en évitant un écueil: renforcer le climat déjà très anxiogène. Du coup, quel registre choisir pour parler sécurité? Comment s’y prendre pour ne pas ajouter de l’angoisse chez les salariés? Une gageure. D’autant que le sujet risque d’être sur la table pendant un moment dans les directions de la communication: au moins durant les trois mois de l’état d’urgence.

Dans tous les groupes français, il y a eu plusieurs temps: d’abord celui de la cellule de crise. Le samedi du lendemain des attentats, la plupart des dircoms étaient sur le pont avec un objectif: vérifier qu’aucun salarié de leur entreprise ne faisait partie des victimes. «On a demandé aux managers de faire un point avec leurs équipes, explique Valérie Perruchot-Garcia, directrice de la communication et des affaires publiques de Jansen France (1000 salariés au siège et 4000 en France). Chaque directeur a appelé ses collaborateurs individuellement pour s’enquérir de sa santé.»

Un exercice délicat

La scène s’est reproduite à l’identique au sein du groupe Macif et dans la plupart des sociétés. Même réaction dans les agences. «Nous avons contacté tous les collaborateurs et le samedi à midi, je savais que nos 85 salariés étaient vivants, dit Bruno Scaramuzzino, président de Meanings. Il y a eu un “ouf” de soulagement.»

La deuxième étape a consisté à prendre la parole pour la direction de ces groupes: «Nous avons adressé un premier message des dirigeants, assez institutionnel», explique Benoît Serre, directeur général RH du groupe Macif et vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines. Là aussi, un exercice délicat.

Puis, assez vite, il a fallu rappeler les consignes de sécurité. «Nous avons déconseillé à nos salariés dès le samedi de voyager vers ou depuis Paris et ce jusqu’au mercredi et dit que le télétravail était autorisé jusqu’au mercredi soir, note Valérie Perruchot-Garcia de Janssen France. Et le dimanche nous avons envoyé un autre message rappelant les règles de sécurité au siège (porter son badge, signaler les comportements suspects…).» Le ton était très pratique, factuel.

Pour que le discours passe en matière de sécurité, il faut glisser vers une sémantique de responsabilité, selon Bruno Scaramuzzino de Meanings: «Autrement dit il faut oublier les injonctions, l’impératif, basculer de la contrainte aux devoirs, cela fonctionnera mieux. A l’instar de ce que fait la sécurité routière dans ses communications quand elle joue sur le sens du devoir des individus…»

Culture sécurité

Pour que les salariés soient partie prenantes du sujet sécurité, il faut aller un cran plus loin selon les spécialistes de la com’. «Il y a une dimension systémique dans ce problème, il faut parvenir à ce qu’il y ait une culture sécurité partagée par tous, pour réellement la renforcer, explique Laurent Habib, président de Babel. Tout le monde doit pouvoir remonter des informations, être vigilant… C’est par exemple ce que nous faisons avec les agents de SNCF réseau. Ensuite il faut donner un modus operandi aux collaborateurs et il doit être simple.»

Dans les jours suivants les attentats, bon nombre d’entreprises ont aussi rappelé le numéro d’assistance psychologique à disposition de leurs salariés: cela a été le cas chez Janssen ou à la Macif. Sans doute qu’au-delà des messages ce qui a été le plus rassurant pour les salariés, cela a été de pouvoir exprimer son empathie. Dans ces moment-là, Bruno Scaramuzzino croit à l’importance des rituels, en plus des messages: «Il faut réincarner, parler, matérialiser le lien, d’ailleurs durant la minute de silence chez Meanings, tout le monde s’est embrassé. On était content d’être tous vivants, de pouvoir faire bloc.»

Rassurer, c’est aussi revenir le plus rapidement possible à la vie normale. «A partir du mardi, nous avons essayé de recommencer à fonctionner le plus normalement possible, et du coup nous avons stoppé la communication autour de la sécurité, parce que cela finissait par générer de l’anxiété», reconnait Benoît Serre,  de la Macif et de l'ANDRH. Chez Janssen, une consigne autorisant à nouveau les déplacements a été donnée le lundi. Et Laurent Habib, de conclure: «Il ne doit pas y avoir de communication durable sur le thème de la sécurité, pour une raison simple: il ne faut jamais communiquer plus fort que les sentiments des gens.»

La com interne post-attentats chez Orange

Françoise Cosson, directrice de la communication interne du groupe Orange (156 000 salariés dont 100 000 en France)

 

Comment avez-vous géré l’après-attentat?

FRANÇOISE COSSON. Dès le lendemain des attentats,  le Comex a organisé une réunion d’urgence. La priorité étant d’assurer la sécurité de nos salariés et bien sûr de nos clients. Comment réagir vis-à-vis des salariés? Annuler ou pas les événements du week-end? Ouvrir ou pas nos boutiques ? Nous avons décidé de fermer nos boutiques dans les quartiers concernés par les attentats, de renforcer les mesures dans tous les autres. Nous avons annulé les événements du week-end, notamment les fêtes du comité d’entreprise. Par ailleurs Stéphane Richard a adressé un message de soutien à tous les salariés en France et à l’international. Le lundi suivant, nous avons invité les salariés à respecter collectivement une  minute de silence en hommage aux victimes.

De quelle manière avez-vous communiqué?

F.C. Nous avons évité les messages anxiogènes, la priorité était de rassurer. Nous avons rappelé les mesures de sécurité pour l’accès aux bâtiments et les consignes de déplacements pour les salariés. Nous avons rappelé les solutions existantes comme la visio ou le téléphone, pour limiter les déplacements ou proposer de reporter certains événements de visu. Ce fut le cas pour un séminaire international devant rassembler 100 communicants qui a été reporté et nous avons organisé des calls avec les pays. Tous les managers ont reçu un mail précisant les mesures d’accompagnement pour les salariés qui pouvaient être particulièrement affectés; nous avons appelé à de la vigilance à repérer les signes d’angoisse ou d’émotion forte, et à respecter les choix individuels sur les souhaits de déplacement sur des événements. 

 

 

«Une obligation d’informer en matière de sécurité»

«Le Code du travail (plus particulièrement son article L4121-1) met à la charge de l’employeur l’obligation d’assurer la sécurité et protéger la santé des salariés. Il doit mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation, et des moyens pour tendre à l’amélioration des situations existantes», explique Paul Van Deth, avocat associé, spécialisé en droit du travail chez Vaughan avocats. En matière de sécurité et préservation de la santé des salariés, il y a une obligation de résultat. Dans le cadre de l’état d’urgence de trois mois, l’employeur doit, à minima, informer ses collaborateurs des éventuels risques encourus sur leur sécurité dans le cadre de leur travail. Par ailleurs, il existe un droit de retrait des salariés quand il y a un danger pour leur intégrité physique, mise en péril. «Le salarié doit avoir un motif raisonnable de penser qu’il y a un risque grave et imminent pour sa santé, précise Paul Van Deth. Il peut alors s’arrêter sans aucun délai.»

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