Le constat est sans appel : la crise que nous traversons a converti au numérique des populations qui en étaient jusque-là encore éloignées. En quelques semaines, la digitalisation de notre société et de notre économie a connu une accélération sans précédent. Le numérique est même désormais présenté comme une solution à la crise sanitaire et économique : il permet de conserver le lien malgré la contrainte de la distanciation physique, il rend possible le télétravail, les achats en ligne et les échanges virtuels, nécessaires pour limiter les déplacements et les contacts.
Pour autant, reconnaître son caractère désormais indispensable ne doit pas nous aveugler sur ses aspects négatifs. Car ce virage vers le tout digital n’est pas sans impact. Le premier d’entre eux est la pollution, certes invisible, mais, loin d’être virtuelle. Car le digital pollue, de manière plus sournoise que notre agriculture intensive ou que notre consommation de pétrole. Les infrastructures réseau, les écrans, l'ensemble des composants électroniques et l’énergie nécessaire qui permettent l’acheminement et la consultation des contenus digitaux consomment une quantité finie de ressources naturelles.
La consommation d’énergie du numérique est aujourd’hui en hausse de 9% par an, selon The Shift Project, en incluant l’énergie de fabrication et d’utilisation des équipements. La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté de moitié depuis 2013, passant de 2,5% à 3,7% du total des émissions mondiales. Et tout ça, avant le confinement. De la même façon, fin 2019, une étude du cabinet GreenIT montrait que la contribution du numérique à l’empreinte globale de l’humanité était loin d’être négligeable : le secteur contribue à 4,2% de la consommation d’énergie primaire et à 5,5% de sa consommation d’électricité. On est loin du temps où on nous expliquait que le digital allait sauver la planète en réduisant la déforestation.
Tout n'est pas recyclable
En tant que consommateurs, nous sommes au cœur de ce cercle vicieux. L'obsolescence programmée de nos smartphones, smart TV ou consoles de jeu nous entraîne dans une consommation déconnectée de nos besoins, vers un toujours plus de tout, sans limites. Or notre monde a ses limites. Nos ressources ne sont pas infinies. Et tout n'est malheureusement pas recyclable. Comment pouvons-nous agir, concrètement, pour que notre consommation digitale soit moins polluante, alors même que l’utilisation de toutes ces interfaces devient vitale ? C’est une question qui sera clé pour les années qui viennent. Et elle concerne l’ensemble de notre société.
Mais notre penchant à vouloir disposer des dernières innovations n'est pas le simple fait de notre égoïsme ou de notre inconscience. Il est aussi mobilisé par une addiction numérique que certain qualifie même de «pollution mentale» : pour retenir notre attention, certains sites, réseaux sociaux ou applications que nous consultons quotidiennement n'hésitent pas à déployer de multiples stratégies nocives pour capter notre temps disponible. Commençons par prendre conscience de cette pollution. Agissons ensuite sur nos comportements : modération, prévention, attention… Autant d’inflexions que nous devons maintenant faire, en les considérant comme des opportunités de croissance positive et non comme des restrictions frustrantes.
Avec cette prise de conscience, une nouvelle économie issue du numérique peut enfin voir le jour, 20 ans après sa création. Car, plus que jamais, le digital peut - et doit - devenir le socle d’une nouvelle économie. À nous tous d’être les co-créateurs de ce nouveau modèle. Un modèle plus soucieux du bien commun, porteur d’usages qui devront être responsables, répondant à des enjeux financiers mais aussi sociaux et environnementaux. Bref, une nouvelle économie qui refond son modèle à l’âge adulte, pour montrer la voie d’un avenir durable qui nous rassemble.