On sentait cette rentrée monter en température, tendance fricotage avec l’absurde. On la voyait aussi potentiellement « complotiste ». Là où le web est un écrin, au sein duquel distinguer le réel du virtuel relève d’un combat identique à celui d’affronter le PSG avec une équipe de CFA2.
Un sujet parmi tant d’autres aurait pu faire sourire s’il n’avait pas été, aussi, à revers de l’essentiel. Empli qu’il fut, de surcroît, de naïveté, de prétention ou d’un zeste d’envie mal dissimulée. Il est celui de la collusion, du mélange des genres et du retournement de veste. Bruno Roger-Petit en entrant à l'Élysée aurait commis l’irréparable après avoir été journaliste politique pendant près de 30 ans. Immédiatement après l’annonce, les médias sociaux se sont rués sur la bête. Tout (ou presque) y est passé… « con stratosphérique », « un désastre pour le journalisme », « lèche-cul », « nouveau chien de Macron », « opportuniste », ou encore « aboyeur ». Bref, la médiasphère a sorti ce qu’elle avait de meilleur. Ou de pire.
Monnaie courante
Car de quoi parle-t-on ? D’un changement de voie professionnelle qui, de nos jours et dans les années qui viennent, deviendra monnaie courante. Qui peut en effet prétendre qu’il fera le même métier, au même endroit, pendant 43 ans ? Personne. Et de qui parle-t-on ? D’un journaliste à la culture politique épaisse qui, en sus, a toujours permis à ses lecteurs de comprendre que politique et communication étaient intimement et définitivement liés. Alors ? Où est le problème… s’il y en a un ?
De journaliste aux ors du pouvoir politique ou économique, Bruno Roger-Petit est-il le premier ? Evidemment non. En vrac… Anne Brucy, passée de France Inter à Havas, Yves Messarovitch passé du Figaro au groupe BPCE, Pierre-Henry Brandet passé de France 2 au ministère de l’Intérieur puis, récemment, à la Fédération Française de Tennis, Claude Sérillon passé de France Télévisions à l’Elysée, Françoise Degois passée de France Inter à Ségolène Royal, Catherine Pégard ou Nathalie Iannetta passées du Point et de Canal+ à l’Elysée… Bref, arrêtons-nous là et creusons derrière ce Who’s Who.
Politique d'un genre nouveau
Bruno Roger-Petit a – beaucoup – écrit sur le ministre puis sur le candidat Macron pour Challenges.fr. Comme la plupart de ses confrères, le journaliste a pu être critique mais, surtout, curieux de l’ascension fulgurante de l’actuel locataire de l’Elysée : politique d’un genre nouveau qui bousculait les hiérarques, Emmanuel Macron assumait sa transgression sur l’autel de vérités, jonglait entre clarté et transparence indiquant, là, qu’il avait compris la nouvelle mécanique médiatique, ses commentaires et sa propagation immédiate. Le sujet était d’or car faisait vendre, mais agaça la SDJ [société des journalistes] de Challenges qui s’était émue, au mois de mars dernier, du nombre considérable de papiers consacrés au futur président.
Puis vint la victoire du 7 mai, les législatives, l’été et… la rentrée. Abandonnant la plume pour porter la parole, Bruno Roger-Petit commettait l’irréparable en franchissant le Rubicon, admettant ne plus pouvoir faire machine arrière pour redevenir, un jour, journaliste.
Concomitamment à cet épisode que l’histoire considèrera, sans doute assez vite, comme ridicule, Raquel Garrido, elle, continue à être porte-parole de la France Insoumise tout en étant chroniqueuse sur C8. Dans le même temps, François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon poursuivent leur escalade sémantique quotidienne admettant taper à tous les coins de dossiers pendant que l’audience des quotidiens et des news, elle, ne cesse de décroître.
Déconstruction démocratique
Alors… où est le – véritable – problème ? Dans la nomination d’un journaliste politique en tant que porte-parole de la présidence de la République ? Ou dans un dangereux, et avéré, mélange des genres quand Raquel Garrido pose une question à Matignon en tant que chroniqueuse puis, le lendemain, répond à des questions de journalistes en tant que porte-parole de la France Insoumise. Ou encore dans le fait que médias et politiques continuent leur descente aux enfers dans le cœur des Français poursuivant, ainsi, avec la régularité d’un métronome, une lente déconstruction démocratique.
La pseudo-polémique concernant Bruno Roger-Petit est une comète. En revanche, l’opacité des rôles d’un responsable politique ou la détestation que les Français semblent nourrir à l’endroit des médias et de la politique sont d’une toute autre nature. Infiniment plus importante. A régler d’urgence. Celle-là.