Il y a un peu plus de deux ans, heureux et enthousiasmé par ce retour que l’on n’attendait plus, j’avais proposé à Stratégies une chronique sur David Bowie, finalement publiée dans le numéro 1748 et intitulée «Comment devenir une légende vivante». Celle-ci tentait de décrypter la façon dont il avait orchestré un retour silencieux pour créer un bruit médiatique sans précédent, et à quel point cette idée était puissante et le faisait accéder à un nouveau statut.
J’ai évidemment de la peine aujourd’hui, mais comme de nombreux autres fans, j’essaie surtout de penser à tout ce que David Bowie nous a laissé en héritage.
Cette tribune n’est pas forcément le lieu idéal pour m’appesantir sur le plus évident: la musique. Toute cette musique... Ces 25 albums qui varient de l’excellent au génie selon les années (je manque peut-être un peu d’objectivité) et qui suffisent largement à remplir plusieurs vies et autant d’îles désertes, ce qui n’est pas rien.
Mais le legs de Bowie dépasse de très loin son œuvre discographique: il est une source d’inspiration intarissable pour tous ceux qui veulent innover, faire bouger les lignes ou, plus généralement, faire partie de cette pop culture en perpétuel mouvement, dont il était le plus fringuant symbole.
Voici quelques exemples qui pourraient s’appliquer à nos métiers, avec un peu d’imagination.
Il a rendu les «touche-à-tout» crédibles
Derrière chacun des nouveaux personnages que Bowie créait, se cachait surtout un nouveau style qu’il avait maîtrisé en un temps record pour l’assimiler à sa propre musique. Il a traversé les années 1970 en étant tour à tour chanteur folk, rocker extravagant et soul man philadelphien, avant d'aller à Berlin pour inventer, en compagnie de Brian Eno, de nouvelles sonorités héritées du krautrock allemand (désarçonnée, sa maison de disque aura quand même le bon goût de promouvoir l’album Heroes avec l’accroche suivante: «There’s old wave. There’s new wave. And there’s David Bowie.»).
Peut-être que dans nos métiers, où chaque année apporte son lot de nouvelles disciplines et d’experts ultra-spécialisés, nous devons, nous aussi, avoir confiance en notre propre capacité à nous renouveler pour nous adapter et maîtriser ces nouvelles vagues qui semblent s’abattre constamment sur nous depuis que nous sommes entrés dans l’ère digitale.
Il nous rappelle la place de la jeunesse dans la culture pop
Comme se plaît à nous le rappeler le site «What did David Bowie do at your age ?», celui-ci est parvenu très jeune au sommet de son art. Certes, le monde de la communication n’a pas besoin de plus de jeunisme dans ce qu’il produit. Mais une chose est certaine: il a besoin d’inclure plus de jeunes dans ceux qu’il écoute.
Et si Bowie a pu écrire The Man Who Sold the World à 23 ans, Life on Mars à 24, et créer le personnage de Ziggy Stardust à 25, alors peut-être que ce tout jeune team créatif ou ce community manager affûté peuvent trouver l’idée géniale qui va permettre d'engranger le plus gros appel d’offres de l’année.
Il nous démontre que les vrais esprits créatifs s’enrichissent des collaborations
Collaborer n’a jamais rendu Bowie moins Bowie. C’est même exactement l’inverse qui s’est produit. Ouvrir son univers à d’autres talents issus d’horizons parfois très éloignés du sien, et les renouveler régulièrement (finalement, le soir de son Rock'n’Roll Suicide c’est son groupe du moment qu’il a mis à mort) lui a permis de ne jamais s’enfermer trop longtemps dans un gimmick, et de créer une œuvre qui transcende les styles et traverse les époques. Œuvre dont la constance dans l’excellence fait, au final qu’on lui en attribue tout le crédit (et il semblerait que ce soit important, les crédits).
Et si tout ceci paraît difficilement accessible à nous, commun des mortels, n’oublions pas que nous avons tout de même un coup d’avance par rapport à David Bowie: la possibilité de nous inspirer de lui, de l’écouter autant qu’il nous plaît et de faire de sa musique la bande-son de chaque défi remporté dans nos vies, toujours héroïquement.