Ici New York
Dans la nouvelle chronique Ici New York, Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée là bas depuis un an, décrypte chaque semaine l'envers du décor new-yorkais. Aujourd'hui, défense et illustration du contrat à l'américaine.

En France, j’avais fini par me dire que le CDI, malgré sa garantie de protection du salarié, était aussi un élément de fabrication des classes sociales et qu’il divisait les Français: les protégés et les précaires. Ici à New York, tout le monde est logé à la même enseigne. Qu’on soit grand patron ou secrétaire, on peut être amené à quitter son poste du jour au lendemain, avec carton sur le bureau et pas de pot de départ. Comme dans les films. C’est ce qui donnerait à l’économie américaine sa formidable agilité et permettrait aux entreprises de mieux gérer leur business.

 

Mais après plusieurs mois sans pots de départs et bureaux vidés en dix minutes, j’ai compris qu’il était surtout ultra nécessaire à la performance d’une entreprise. En effet, sans CDI et avec des périodes de préavis de deux semaines maximum jamais respectées, à quoi bon s’investir? Comment se sentir responsable alors que vous pouvez disparaître de vos fonctions en 24h? Comment ne pas avoir l’impression d’être un numéro si ce dont vous avez la responsabilité peut vous être arraché des mains? Et pour ce qui est de la publicité, à quoi bon prendre en charge une marque quand on pense déjà au poste d’après et que vos clients - les directeurs marketing - sont dans le même état d’esprit?

 

Le turn over à New York est de dix-huit mois. Du coup, les agences prennent parfois moins soin de leurs clients et de leurs marques que du new business. L’enjeu est de rentrer encore et encore des nouveaux clients, pariant sur dix-huit mois magiques au lieu de faire avancer une marque sur plusieurs années. On sait bien que pour bouger l’image d’une marque d’un iota, trois années, c'est le minimum syndical.

 

Ceci explique pourquoi les agences qui performent le plus sont celles qui ont réussi à conserver leurs clients depuis des décennies (Wieden & Kennedy et Nike par exemple), souvent dans un trou paumé (Portland pour Wieden, Boulder pour Crispin, Minneapolis pour Fallon) où l’on sait qu’il n’y a pas d’autres tentations que celle de rester dans son agence, concentré sur son travail, paisiblement. Un genre de CDI garanti par la géographie. Le CDI serait en fait une garantie formidable de l’investissement que fait une entreprise sur son salarié et pas uniquement une belle protection du salarié. La promesse de relation équilibrée en somme.

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