Tribune

Quand la consommation passe du mieux au moins, les marques entrent dans une forte zone de turbulences. Pour résister, elles devront penser désirabilité avant de penser responsabilité.

Alors que l’idéal de croissance verte, qui faisait office de gentlemen's agreement entre transition écologique et croissance économique, est très sérieusement challengé par la succession des rapports du Giec, un autre modèle est en train de s’imposer : la sobriété. De l’économiste Patrick Artus à la sociologue Dominique Méda, ces dernières semaines ont vu les analyses converger pour dire que « l’heure de la sobriété était venue » et qu’elle allait « s’imposer à nous ». Et lorsque 61% des Français déclarent que consommer responsable, c’est avant tout réduire sa consommation, selon une étude de l'Ademe, le constat est limpide : du « consommer mieux », nous sommes en train de pivoter vers le « consommer moins ». Une évolution majeure qui va très sérieusement challenger la résilience des marques.

Comment croître dans une catégorie qui décroît ? À cette question, on a souvent évoqué la premiumisation. Pour compenser la baisse du volume par une augmentation de la valeur, mais aussi pour coller au mantra du « moins mais mieux », qui portait en lui les prémices de la sobriété. Alors demain, tous premium ? Évidemment non. Autant pour des raisons économiques, avec un contexte économique qui devrait maintenir la pression des seuils de prix psychologiques, que pour des raisons qui questionnent l’essence même du premium, car le premium cesse d’exister dès lors qu’il devient standard.

Le premium a ses limites et c’est pourquoi tant de marques se sont retrouvées prises au piège du milieu, coincées entre le low-cost et le premium. Une position risquée qui pourrait être fatale à l’ère de la sobriété, car plus les actes d’achat vont diminuer, plus les arbitrages vont se tendre et à ce jeu-là, c’est toujours plus compliqué pour le joueur du milieu de l’emporter. Si pour beaucoup, la solution est donc bien plus complexe que le simple fait de devoir choisir un camp, le salut de leur proposition de valeur passera par la marque.

Raison d’être… choisi

Pour les marques, depuis des années, la responsabilité s’est imposée à tous comme une nécessité. L’explosion du « for good » ne trompe pas. Ne pas l’être, c’est prendre le risque d’être éliminé avant même que le match ne débute. Mais dans une économie du tous (plus ou moins) responsables, il est souvent difficile de se différencier par des preuves impactantes. Pour la plupart des marques, la responsabilité tend donc à rejoindre l’accessibilité prix au rang des critères nécessaires pour ne pas perdre. Mais pour gagner durablement, elles devront penser désirabilité avant responsabilité, raison d’être choisi avant raison d’être.

Plus il sera difficile de gagner dans une catégorie qui perd, plus la résilience des entreprises dépendra de la capacité de leur marque à combattre l’indifférence et à remporter la bataille des arbitrages dans lesquels elle se trouve. Ainsi, pour continuer de prospérer dans l’économie de la sobriété, les questions de singularité, de désirabilité et de préférence de marque vont plus que jamais devoir infuser tous les niveaux de l’organisation, et pas seulement les directions marketing et communication.

Les croissances à deux chiffres de Patagonia et de Dacia sur des marchés du textile et de l’automobile en décroissance montrent bien à quel point avoir une marque singulière, désirable et pertinente, avec les valeurs et usages de son époque, reste l’une des meilleures assurances-vie pour les entreprises. C’est pourquoi tout semble réuni pour que la révolution culturelle de la sobriété coïncide avec l’essor d’un nouvel âge d’or des marques.

Alors à tous ceux qui construisent les marques au quotidien, voyons en cette ère de la sobriété une période qui s’annonce extrêmement exigeante, mais en même temps tellement enthousiasmante pour nos métiers.

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