Si la méthode de communication de Donald Trump est connue depuis sa première élection en 2016, personne, aux États-Unis comme en France, n’en a tiré les leçons.
Nous avons les démocrates les plus bêtes du monde. Avec un grand « D » aux États-Unis et un petit « d » en France. Depuis sa première élection, en 2016, la méthode de communication de Donald Trump est connue. Mais personne, aux États-Unis comme en France, n’en a tiré les leçons.
2024 est notre dernière station avant le chaos. La réalité est que les démocrates n’ont, des deux côtés de l’Atlantique, aucune ligne de défense à opposer au populisme. La campagne de Donald Trump constitue, de ce point de vue, un véritable cas d’école. Donald Trump a séduit un électorat plus rural, plus blanc, plus masculin et moins éduqué que celui de Kamala Harris. Son score dépasse les 70% dans certains bureaux de vote ouvriers et il progresse encore chez les latinos. Ces résultats semblent donner raison à l’un des récits fondateurs du Trumpisme : celui d’un « pays réel » en révolte contre ses « élites ».
Ce récit constitue l’un des trois traits de la communication populiste, que l’on retrouve dans l’ensemble du discours trumpiste, aux côtés de l’exaltation des « vrais gens » et de la désignation de boucs émissaires. Comme à l’époque du « mur », les migrants ont été ciblés. L’imaginaire de « l’ennemi intérieur » a supplanté celui de la barrière. Aux États-Unis comme en France, on ne se barricade plus. On expulse.
Face à une menace existentielle, dont ils avaient pourtant conscience, les Démocrates ont accumulé les erreurs. Joe Biden avait promis d’être un président « de transition ». Il s’est accroché au pouvoir. Kamala Harris n’a eu que 110 jours de campagne devant elle. Faute de primaire, elle n’a pas pu évaluer la réalité de sa base électorale ni travailler un programme. Mal connue des électeurs, elle n’avait pas de message clair et partait avec le handicap de l’impopularité du président sortant, qu’elle refusait de désavouer. Elle considérait que les « Bidenomics », le bilan économique de Joe Biden, était positif, parce que l’inflation reculait. Elle sous-estimait, comme les politiques français, l’impact que l’inflation avait déjà eu sur le pouvoir d’achat.
Un « spectacle politique permanent »
Avoir fait primer les agrégats économiques sur le quotidien et le ressenti des électeurs est une autre erreur que commettent les politiques modérés. Les populistes, eux, ne s’intéressent qu’au quotidien, dont ils déforment la perception, jusqu’à en faire une arme politique. Déguisé en vendeur de fast-food, puis en éboueur. Donald Trump a imposé son rythme. Contrairement à Kamala Harris, il est passé chez le podcasteur star Joe Rogan. De son côté, Elon Musk a sautillé sur scène en expliquant qu’il était « Dark MAGA » - le versant « guerre des étoiles » du Trumpisme – et en promettant une présidence « amusante et excitante ». Donald Trump a créé un spectacle politique permanent, là où son adversaire s’est contentée de s’afficher aux côtés de personnalités du spectacle. Ce qui, en 2024, est totalement contre-productif.
Le meilleur exemple de ce fossé communicationnel a été le débat présidentiel. Mal à l’aise, Donald Trump a été dominé. Ceux qui ont vu le débat l’ont effectivement ressenti. Mais pour les dizaines de millions d’autres, seule la petite phrase sur : « ils [les migrants] mangent les chats et les chiens » a été retenue. Elle a été reprise en boucle, « mémifiée » et popularisée même par ses adversaires. Bien sûr, cette affirmation est grotesque. Mais elle a fait le spectacle. Elle ne constituait ni un accident ni un dérapage. C’était le but poursuivi. Comme le souligne l’historien Patrick Boucheron dans ses cours au Collège de France, quand un dirigeant devient grotesque et qu’il épouse sa propre caricature, il devient plus difficilement attaquable. Cette transgression le rend insupportable, mais authentique. Toute critique personnelle le renforce.
En devenant de gigantesques machines de désinformation, où chaque fait est dégradé en opinion, au nom de la « liberté d’expression » - une ultime perversion populiste – les réseaux sociaux ont joué à plein pour Donald Trump. Nous pourrions nous consoler en nous disant qu’un rideau de fer est tombé des deux côtés de l’Atlantique. Et que nous sommes à l’abri derrière notre ligne Maginot.
Mais nous sommes entrés dans l’ère de la globalisation de la communication politique. Ce qui se pense à Moscou, s’énonce à New-York et se répète à Paris. La France est en première ligne dans ce combat. Les « ingénieurs du chaos » décrits par Giuliano da Empoli, l’auteur du roman Le Mage du Kremlin, disposent de moyens sans précédent, sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Il va donc falloir se battre et changer notre manière de faire campagne. Faute de quoi, nous n’aurons bientôt plus de campagnes à mener.