À mi-chemin entre journalistes, communicants et créateurs de contenu marketing, les influenceurs qui décryptent l’actualité méritent-ils le même statut juridique que les journalistes?

Le spectre d’intervention des influenceurs est de plus en plus large. Sur YouTube, Instagram, TikTok et Twitch, ils façonnent des opinions, informent, commentent l’actualité et s’imposent comme des voix incontournables, particulièrement auprès de la GenZ et de la génération Alpha. Mais au-delà de cette influence grandissante, deux profils distincts émergent désormais : d’un côté, les influenceurs dits « marketing », ceux qui collaborent avec les marques pour promouvoir des produits, des services ; et de l’autre, des créateurs qui ne vendent pas de produits, mais de l’information. Cette distinction, cruciale, soulève la question du statut juridique de chacun.

Les influenceurs marketing ont récemment été placés sous une régulation stricte en France. La loi du 9 juin 2023 a instauré un cadre juridique notamment pour endiguer les abus et les pratiques déloyales dans ce domaine en pleine expansion. Désormais, ces créateurs et les marques avec lesquelles ils collaborent doivent formaliser leurs partenariats par des contrats, et l’ARPP a renforcé ses contrôles. L’objectif : s’assurer que ces influenceurs identifient clairement leurs collaborations rémunérées afin d’éviter toute ambiguïté. Cette transparence vise à protéger les consommateurs des contenus trompeurs ou dissimulés, en vertu du Code de la consommation, notamment. Le 24 septembre 2024, l’ARPP a même salué les progrès réalisés en matière de transparence, notant que de nombreux influenceurs se sont alignés sur ces nouvelles exigences.

Mais cette régulation, conçue avant tout pour des contenus publicitaires, est-elle adaptée aux influenceurs qui n’ont pas pour objectif principal de vendre ?

Quid des créateurs diffuseurs d'informations ?

Une nouvelle catégorie d’influenceurs a émergé, se consacrant non pas à la promotion de produits, mais à la diffusion d’informations. Des talents comme Hugo Décrypte, Salomé Saqué, Camille Reporter ou Gaspard G incarnent cette tendance. Hugo Décrypte, a aujourd’hui créé son concept puisqu’il est animateur de sa propre émission sur France 2, Interview face cachée.

Ces influenceurs abordent des sujets d’actualité, souvent en lien avec la politique, les sujets de société ou environnementaux, et ont pour mission de rendre l’information accessible. Leur audience, fidèle et engagée, les considère comme des figures de confiance, et leur travail se rapproche du journalisme par son contenu et sa portée.

Ces influenceurs retiennent l’attention de leur audience en diffusant des analyses et des sujets d’actualité qui répondent à une demande d’information accessible et immédiate, en particulier auprès d’un public jeune. Cette approche, bien qu’informelle et moins encadrée que celle des médias traditionnels, leur confère une place importante dans le paysage numérique et les distingue des créateurs dits commerciaux.

Cette dualité entre influence commerciale et influence informative pose une question de fond : faut-il appliquer aux influenceurs informatifs les mêmes règles qu’aux créateurs de contenu marketing ? Ou bien faut-il imaginer pour eux un statut hybride, qui leur accorderait les mêmes protections que les journalistes, tout en leur imposant des obligations éthiques ? Dans un environnement où les fake news se propagent rapidement, ces influenceurs jouent un rôle crucial en s’efforçant de fournir une information fiable et transparente à leur audience.

Vers un statut « intermédiaire » ?

Un statut intermédiaire pourrait leur permettre de bénéficier de la carte de presse, d’un accès aux financements publics destinés aux médias et, surtout, du droit à la protection des sources. Ces droits sont essentiels pour ceux qui, comme les journalistes, diffusent des informations sensibles sans pour autant être affiliés à une rédaction traditionnelle.

Toutefois, ce statut intermédiaire impliquerait aussi des devoirs renforcés. À l’image des journalistes, ces influenceurs doivent respecter des principes d’indépendance, de neutralité, de laïcité et de véracité dans leurs investigations. En effet, dans un environnement où les fake news se propagent rapidement, ces influenceurs jouent un rôle crucial en s’efforçant de fournir une information fiable et transparente à leur audience.

La question de la neutralité est particulièrement cruciale dans le contexte actuel, où la moindre prise de position peut influencer des milliers, voire des millions de personnes. Dans des débats géopolitiques ou sociétaux, il est facile pour les influenceurs de laisser transparaître leurs opinions personnelles, mais une déontologie plus stricte exigerait d’eux une impartialité comparable à celle des journalistes traditionnels.

La charte de déontologie de l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (UMICC), adoptée en 2023, établit des standards pour encourager la transparence, la véracité et la responsabilité dans les contenus diffusés. Cette charte est un premier pas à saluer vers la reconnaissance de règles spécifiques pour les influenceurs informatifs, bien qu’elle s’adresse encore majoritairement aux influenceurs commerciaux. Pour ceux qui se consacrent à des sujets d’intérêt public, la Charte de Munich énonce les devoirs des journalistes depuis 1971 et pourrait inspirer des principes déontologiques renforcés, en adaptant les exigences de laïcité, de neutralité, d’impartialité et de protection des sources à l’univers numérique.

Pour une régulation européenne 

La France n’est pas la seule à s’intéresser à cette question. Partout en Europe, les régulateurs et législateurs s’interrogent sur la manière de gérer cette nouvelle catégorie de créateurs de contenu, dont le travail se situe à la frontière de l’influence et de l’information. L’émergence de ce statut hybride pourrait ouvrir la voie à une régulation plus complète et mieux adaptée aux réalités du numérique. En reconnaissant les influenceurs informatifs comme des acteurs légitimes de la diffusion d’idées, tout en leur imposant des obligations de transparence et de neutralité, le droit pourrait se moderniser pour accompagner cette évolution.

En fin de compte, la question reste ouverte : les influenceurs qui décryptent l’actualité méritent-ils le même statut juridique que les journalistes ? Faut-il leur accorder des droits similaires, en exigeant d’eux un engagement éthique comparable ? Dans un monde où l’information est de plus en plus relayée par des créateurs digitaux, il devient impératif d’établir un cadre clair et adapté. Le défi pour le législateur est de taille, mais il est essentiel pour protéger à la fois la liberté d’expression et la fiabilité de l’information dans l’espace numérique.

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