La disparition annoncée du format publicitaire de 30 secondes à la télévision signe la fin des marques différentiées, innovantes et créatives.

Tout a été dit (ou presque) sur la nouvelle politique de monétisation de l’espace publicitaire de plusieurs diffuseurs TV grand public : inflation tarifaire, surencombrement des écrans, déferlante hachurée de contenus disparates, saturation de la « part de cerveau disponible », noyade de l’attention, appauvrissement narratif, paupérisation créative, étouffement des marques nouvelles et émergentes, appauvrissement du rapport expérience téléspectateur/cost-efficiency de l’investissement consenti, sauf peut-être l’essentiel ?

Et une fois tous en 8 secondes, on fait quoi ?

En faisant muter majoritairement l’écosystème publicitaire télévisuel d’un format de 30'' au 20", on ne fait pas que dégrader brutalement l’impact qualitatif d’une communication sur le capital image d’une marque, on pivote dangereusement vers un monde nouveau aux conséquences loin d’être anodines, qui comme le fameux processus de « l’effet papillon » peut entraîner les marques dans un cadre concurrentiel encore inconnu pour beaucoup, voire dans une économie de la consommation totalement banalisée ! En effet, la mémorisation se construira alors de plus en plus par la répétition - au détriment de l’image que le storytelling permet - et ouvrira inexorablement la voie à une surenchère concurrentielle de cette répétition obtenue par le glissement irrésistible vers des écrans envahis de plus en plus par un tsunami illisible de spots de 8 secondes… Et que se passera-t-il quand tout l’écosystème publicitaire télévisuel aura été converti (drogué ?) aux 8 secondes ?

Après les « MDD » aux « MDGAFAM », est-ce vraiment ce que nous voulons ?

Si les campagnes en format court de l’agence Business (devenue New Business au sein du groupe Héroïks) - dont à l’origine Thierry Ardisson fut le talentueux et facétieux orfèvre historique aux côtés du très astucieux systématicien Éric Bousquet - égaient - comme ceux aussi de l’agence Big Success (ex Low Cost Agency) - actuellement avec humour les écrans dominés par ailleurs et encore par les 30 secondes, articulés autour du procédé mnémotechnique du jeu de mots ou de calembour, imaginez juste ce qu’il adviendra d’un écran mité exclusivement de plusieurs dizaines de spots de 8 secondes bon marché, bien sûr faits maison par l’annonceur à l’aide d’une IA générative économique ? Ce sera la fin programmée de la publicité, donc de la TV hertzienne puis connectée, et donc de nombreuses marques ! Et le basculement complet ensuite vers les plateformes et les réseaux sociaux en accordera de facto la domination du marché publicitaire à leurs opérateurs (les GAFAM et Netflix qui représentent déjà 54 % du trafic internet).

Quid alors des agences (notamment les agences spécialisées TV) ? Et ensuite, viendra le tour des grandes marques : ce sont les GAFAM qui imposeront leurs propres produits « post-branded » puisqu’ils détiennent les clefs de ces nouveaux tuyaux de distribution. Cela ressemblera furieusement au phénomène des « Produits Libres » (qui coûtaient 30 à 40% moins chers !) lancés en 1973 par Carrefour, avec Etienne Thil son directeur marketing, et l’agence Havas (sous l’impulsion de Bernard Brochand), pour constituer rapidement le nouveau segment des "MDD" (Marques Distributeur) pesant aujourd’hui environ 50% des ventes en GMS (vs 15% en 2000), croissant chaque année de + 2% ! Et quand il n’y aura plus que de MDD et de no-brands GAFAM, on fera quoi ? À voir le succès des agences de retail media/marketing, tout est prêt pour passer à la vitesse supérieure !

Karl Marx en avait rêvé, les écolos le réclament… La TV y succombera-t-elle ?

Nous en arriverons alors au paradoxe inattendu qu’un modèle économique se voulant libéral, accouchera d’une offre appauvrie à faible intensité concurrentielle entre produits banalisés et similaires réduites à se battre sur leurs prix à la baisse - sans aucune valeur ajoutée imaginaire différenciante - générant immanquablement une « panne géante du désir » ! « Le désir, c’est le désir de ce que veut l’autre ! » Molière, Hegel, Freud, Lacan et Buñuel ont largement disserté sur « cet obscur objet du désir ». Mais quand l’autre ne veut plus rien, qui veut alors encore quelque chose ? On ne peut qu’espérer ardemment que les animateurs de la Filière Communication, de l’AACC, de l’UDM, de l’UDECAM, du Club des Annonceurs, du Club des Directeurs Artistiques, du SNPTV et de l’UPC, s’enferment dans le huis clos sartrien d’un grand débat à portes fermées, le temps d’un week-end au vert, pour non plus s’affronter seulement sur le duel 30" vs 20" et 8", mais pour en sortir par le haut en imaginant ensemble sous masque à oxygène, la « carte du menu » de la télévision de demain : quels formats préétablis à quel tarif dans quel environnement qualitatif, quels formats ad hoc sur mesure à la demande, quels écrans publi-contenus ad native, quels placements de produits, quels écrans collectifs exclusifs de pubs d’intérêt commun (cf. des marques de secteurs d’activité complémentaires, comme l’automobile, le tourisme, la finger food, les fournisseurs d’énergie), quels écrans enchaînant des formats progressivement plus courts ou plus longs, etc.

Au secours les créatifs, remettez-nous les idées en place, le vrai carburant de cette profession ! Pour paraphraser le psychanalyste Dr Jacques Lacan sur sa définition de l’amour, définissant ce qui pourrait arriver aux parties prenantes de la publicité TV : « C’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »… CQFD !

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