La décision du Conseil d’État donnant raison à RSF contre l’Arcom au sujet de CNews pose la question de la légitimité de Christophe Deloire en tant que délégué général des États généraux de l’information.
« J’ai la casquette Reporters sans frontières et j’aurai la casquette des États généraux de l’information. Cette mission bénévole n’engagera pas RSF et vice-versa », déclarait Christophe Deloire, secrétaire général de RSF nommé délégué général des États généraux de l’information par Emmanuel Macron en juillet dernier. Promesse de campagne, ces États généraux devraient rendre leurs conclusions d’ici à l’été 2024. On espérerait y lire une série de propositions pertinentes et consensuelles destinées à renforcer la qualité de l’information et la confiance du public dans des médias qui en ont bien besoin. Vaste chantier, mais chantier utile… devenu sujet de multiples interrogations et de forte suspicion depuis la semaine dernière.
Conflit d'intérêt et discrédit
C’est coiffé de la casquette RSF que Christophe Deloire a obtenu le 13 février devant le Conseil d’État l’annulation d’une décision de rejet par l’Arcom d’une demande de RSF visant à ce que la chaîne CNews se conforme à ses obligations de pluralisme et d’indépendance de l’information. Un conflit d’intérêt caractérisé : comment peut-on être le chef d’orchestre impartial et fédérateur de ces États généraux de l’information tout en poursuivant l’autorité de régulation et indirectement un média audiovisuel (en visant plus largement un groupe de presse, celui de Vincent Bolloré) devant la plus haute juridiction administrative ? Hier qualifié, Christophe Deloire est aujourd’hui disqualifié, tant la consternation est grande parmi de très nombreux journalistes (Franz-Olivier Giesbert, Étienne Gernelle…). À ces voix s’ajoutent celles d’anciens membres du CSA ainsi que celle du fondateur de RSF lui-même.
Car cette décision est lourde de conséquences pour les animateurs, chroniqueurs et éditorialistes (souvent des journalistes), les invités des plateaux et des émissions (souvent nos clients), ainsi que pour nos agences. Dans sa décision, le Conseil d’État sanctionne l’Arcom au motif que celle-ci s’en tient « à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques ». Le Conseil d’État enjoint donc à l’Arcom de « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités ». Cela a le mérite d’être clair, même si cela n’est pas conforme à l’esprit de l’article 13 de la loi de 1986 (« une violation » selon l’architecte de cette loi, ancien secrétaire d’État à la culture).
Face à cette décision, les professionnels des relations publics dont je suis doivent évoquer la question du RGPD et des règles de la Cnil relatives aux données sensibles (opinions politiques, convictions religieuses ou appartenance syndicale…) et se demander comment va faire l’Arcom pour prendre en compte ces données et les répertorier pour chaque intervenant afin de se faire une idée sur la sensibilité de chacun aux fins de contrôle des médias. Le sémiologue François Jost, rédacteur d’un « rapport » à charge contre CNews, invite à se référer (par provocation ? par conviction ?)… au journal Le Monde qui « fixe la norme idéologique », dit-il… On pourrait aussi se questionner entre professionnels des RP sur les difficultés auxquelles nous serons confrontés dans l’avenir quand il s’agira de proposer nos clients comme invités : devrons-nous tenir nous aussi un registre de leur sensibilité politique ?
Bref, les confusions de « casquettes » et le militantisme de Christophe Deloire n’ont pas fini de poser des problèmes à ces États généraux et de susciter de légitimes émois au sujet de la liberté de penser, de s’exprimer, d’être. Et bien sûr, d’exercer notre profession.