Notre société s’est construite sur l’affrontement entre réacs et progressistes, héritage de son ADN révolutionnaire. Mais si elle manifestait hier une tendance bipolaire, désormais les terrains de conflits sont plus parcellaires.
Nous vivons une époque où l’expression de la sensibilité de chacun est, presque, devenue un devoir. Comme si nos avis impudents devaient compter sur chaque sujet de société. Twitter est devenu un exutoire virulent et manichéen, où les consommateurs-citoyens expriment leurs contradictions librement et, le temps d’un débat, choisissent leur camp, arbitrés par des chaînes d’infos pyromanes, demandant à ces sous-cultures divisées de choisir entre abaya et béret. Graines de courges ou steaks hachés. Policiers ou émeutiers. OM ou PSG.
D'un côté, il y a les réacs : pas vraiment emballés par l’écriture inclusive, plutôt transphobes et (très) souvent coupables de racisme ordinaire. Ils s’inscrivent en opposition, depuis toujours, à toutes formes de changements. Pas de mépris de classe : « on est tous le boomer de quelqu’un », disent-ils. Mais, avec eux, les nouveaux discours passent mal.
Si cette team est un peu plus facile à lire, les wokistes sont plus difficiles à suivre : Parisiens un peu trop vifs, à la fois progressistes, nihilistes, militants anti-spécistes, féministes, zadistes, « islamo-gauchistes », LGBTQIA et plus si affinités. C’est eux qui changent le game. Brandissant l’étendard de l’ultra-gauche et du progressisme, les wokes semblent (un peu) moins attachés à la liberté d’expression que leurs aïeux. Si pour les soixante-huitards, hier, il était « interdit d’interdire », aujourd’hui, le wokisme pose des jalons sur ce qu’on a le droit ou pas de dire. Et il y en a de plus en plus. Dans un contexte où les minorités ne sont plus silencieuses, leurs combats (parfois) contradictoires donnent naissance à des divergences de niche et rajoutent une granularité extrême aux débats.
La différenciation crée l'attention
Loin de moi l’idée de manifester une nostalgie de la publicité sexiste des années 90 ou de faire l’apologie de ses fausses promesses. Mais l’addition de sensibilités subdivisées et vindicatives laisse peu de place au panache de la transgression. Affranchissons-nous de ces diktats, et portons des messages en rupture. La plupart de vos concurrents resteront dans les clous. Ils parleront de RSE. Ils seront inclusifs. Ils ne parleront ni de religion, ni de politique. Parce que c’est trop « touchy ». Respecter sagement ces figures imposées, c’est tomber dans l’invisibilité de l’uniformisation. Enfreindre ces règles, pour rompre avec les codes de son marché, est (certainement) le meilleur moyen d’attirer l’attention de vos publics par la différenciation.
Affranchissons-nous de ce que pensent certains publics. Car si le conso-tapageur conteste sans nuance, il reste un animal social paradoxal. Combien partagent le dernier rapport alarmant du Giec en story Insta alors qu’ils sourcent la moitié de leur garde-robe chez un revendeur espagnol ? Il existe parfois une dichotomie entre ce que le consommateur déclare et ce qu’il fait. Et c’est OK. Amnésique et cynique, n’ayons pas peur du « consommateur-censeur » mais surprenons-le en débridant notre discours créatif… Repensons la publicité comme un spectacle. Divertissons nos publics qui, de base, n’aiment pas la pub. Parce qu’à force de servir la soupe aux wokes en montrant patte blanche aux conservateurs, on tombe de facto dans un discours consensuel sans intérêt.
Réconcilions-les ! Le clivage binaire réac vs woke est un fantasme. On a le droit d’être féministe et de se laisser emporter par un refrain de Michel Sardou. Arrêtons d’essentialiser nos audiences. Plutôt que de les cloisonner dans des critères objectifs (tels que le sexe, le genre, l’identité sexuelle, la religion, l’origine ethnique, la génération...), intéressons-nous aux « passions points ». Adressons-nous aux majorités discrètes, aux opinions nuancées et polymorphes, celles qui achètent. Parlons aux campagnards, aux seniors, aux gamers, aux cibles plus niches… Parlons à tous ces oubliés de la publicité.