Un an et demi s’est écoulé depuis l’adoption de la très attendue loi Influenceurs. Mais que s’est-il passé depuis ? Comment évolue le secteur de l’influence ? Quid de la professionnalisation des créateurs de contenus ? Stratégies fait le bilan. Un article également disponible en version audio.
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Pendant longtemps, le secteur de l’influence semblait se situer dans une zone de non-droit. Mais depuis le 9 juin 2023, sous l’impulsion des députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, la loi encadrant les pratiques commerciales des influenceurs en France a été promulguée. Et depuis ? Pas mal de positif, si l’on en croit la dernière édition de l’Observatoire de l’influence responsable de l’ARPP. En 2023, 94 % des publications commerciales identifiées respectaient les règles de transparence, contre 73 % l’année précédente. Le taux de conformité des top influenceurs (plus d’1 million d’abonnés) atteint 83 %, contre environ 59 % de conformité chez les créateurs de contenus suivis par moins de 10000 abonnés. Le message est assez fort : la transparence et l’éthique des pratiques des influenceurs semblent s’être nettement améliorées…
Recherche d’éthique et d’authenticité
Obligation de mention des partenariats rémunérés, interdiction de promouvoir certains produits ou services… Autant d’éléments qui semblent avoir été bénéfiques, pour le consommateur, surtout. « Les consommateurs ont gagné en transparence et en sécurité, confirme David Zmirov, fondateur de Zmirov Communication et vice-président du Syndicat du Conseil en Relations Publics (SCRP). Même s’il reste encore des zones d’ombres et quelques angles morts. » Nina Rolin, fondatrice de Leaks, média alternatif d’investigation, fait le même constat : « Depuis la loi sur l’influence commerciale, nous notons des changements, notamment pour le consommateur qui ose ainsi davantage questionner l’influenceur. Néanmoins, certains créateurs contournent davantage la règle plutôt qu’ils ne l’appliquent. » Également présente sur TikTok, avec 62 000 abonnés, Nina Rolin publie ainsi régulièrement des vidéos analysant les mauvaises pratiques des influenceurs et des campagnes de publicité. Comme celles de l’influenceuse Océane Amsler, pointée pour publicité illégale de sa marque de vin, Maison Bagarre, sur les réseaux sociaux avec des publications qui outrepasseraient la loi Evin.
Pour David Zmirov, « dans les pratiques entre les marques, les agences et les influenceurs, si la contractualisation obligatoire dans le cadre de la loi sur l’influence commerciale a apporté de la sécurité pour toutes les parties prenantes, le statut d’agent d’influenceur n’est pas encore assez bien défini et encadré », explique-t-il. Malgré tout, force est de constater que la professionnalisation des influenceurs a un impact sur tout le secteur. D’après Kolsquare, 71 % des marketeurs français ne travaillent pas (ou plus) avec des influenceurs qui promeuvent des produits sensibles ou controversés. « Snap a pris des engagements fermes il y a plusieurs années, pour impulser une communication commerciale plus responsable, explique Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques France de Snap. Des audits ont été réalisés en interne afin de sensibiliser et de former les créateurs de contenus aux enjeux du marketing d’influence. À ce titre, plusieurs acteurs ont été sanctionnés de la plateforme en raison des violations de nos règles communautaires et publicitaires. Des outils et des formations ont été développés afin de soutenir les créateurs de contenus dans ce nouvel exercice, en faisant de la sensibilisation un levier essentiel de ce changement de paradigme. Il est important de souligner que les débats et les avancées législatives ont contribué à faire avancer ce sujet et à professionnaliser le secteur, notamment en valorisant aujourd’hui le certificat de l’influence responsable de l’ARPP, dont Snap est membre », poursuit-elle.
Une recherche d’éthique et d’authenticité qui permet d’observer de nouveaux profils de créateurs de contenus, alors que 40 % des professionnels interrogés par Kolsquare s’attendent à ce que le marché devienne sursaturé en influenceurs et que 27 % pensent même qu’ils perdront de leur impact.
Place aux changemakers
« En termes d’activation, les influenceurs mainstream sont devenus le Graal des marques, car ils permettent d’obtenir un reech très important et ils sont très efficaces à court terme, partage Anne-Cécile Guillemot, cofondatrice de Dynvibe. Depuis trois ans, néanmoins, nous observons un début de saturation. La loi Influence, venue assainir le secteur, a rendu les pratiques plus transparentes et a eu un impact sur la crédibilité de ces créateurs, notamment. En parallèle, il y a une volonté du consommateur à chercher davantage d’expertise ». Place donc à des créateurs de contenus plus pointus dans leur prise de parole, appelés les changemakers. Ils utilisent leurs plateformes pour parler de santé mentale, de mode engagée, de skincare, de femcare… et inspirent davantage confiance ! « Les consommateurs ont accès à des profils d’experts, plus objectifs, qui peuvent avoir un taux d’engagement quatre fois supérieur aux influenceurs classiques », poursuit Anne-Cécile Guillemot.
Il s’agit ainsi de revenir à plus d’authenticité et de proximité. Une tendance qui a parfois du mal à être comprise et adoptée par les marques, au grand regret de Fatou N’Diaye. Connue depuis 2007 sous le pseudo @blackbeautybag, elle est à l’origine du premier blog français dédié à la beauté noire. En 17 ans de présence sur internet, elle a pu observer l’évolution du secteur de l’influence et analyser ses défis. « Les marques ont tout à gagner à travailler avec des gens qui sont passionnés et savent de quoi ils parlent. Même si, bien entendu, je comprends que de temps en temps, on travaille aussi avec des gens pour l’image et le following. Mais quand je vois des campagnes paid avec des jeunes filles de 18 ans qui viennent nous parler de rétinol ou de collagène, ce n’est pas crédible ! », s’indigne-t-elle. Insuffler du sens et de l’honnêteté dans ses choix stratégiques demande parfois plus de temps et d’efforts au quotidien, mais la pratique est pourtant plus que nécessaire sur le long terme.
Des pistes à explorer
Ces dernières années ont marqué le début de la professionnalisation du métier d’influenceur, entre certificat d’influence responsable, création de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (Umicc) et loi Influence. S’il est trop tôt pour dresser un bilan définitif, certains signaux sont tout de même au vert, quand d’autres pistes restent à explorer. « Il pourrait être intéressant de mettre en place un syndicat uniquement dédié aux créateurs de contenu. Certes l’Umicc existe, mais pour moi la fédération a surtout été pensé pour les marques. Il y a urgence à ce que les créateurs qui veulent continuer leur travail sereinement se réunissent », propose Nina Rolin. David Zmirov mise quant à lui sur la multiplication des contrôles de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). « Il faudrait dix fois plus d’agents pour effectuer des contrôles, et des moyens plus modernes ! Alors certes, le name and shame s’est popularisé, les consommateurs n’hésitent plus à faire des captures d’écran et à les envoyer, mais il ne faudrait pas que cela devienne une chasse aux influenceurs ». Un sentiment que partage Fatou N’diaye : « J’ai toujours travaillé avec des contrats et mentionné mes collaborations. La seule chose qui a été embêtante je trouve, c’est le sentiment d’assister à une chasse aux sorcières. Depuis que l’on peut gagner de l’argent avec des vues, beaucoup de personnes et de médias se sentent investis d’une mission. » En 2023, 11026 signalements ont été effectués auprès de la DGCCRF, contre 1500 en 2022. Mais si la professionnalisation du secteur de l’influence doit passer par l’individuel, elle doit avant tout se faire de manière collective. L’ordonnance du 6 novembre 2024, rectifiant la loi de juin 2023, le prouve : la professionnalisation des créateurs de contenus devra, elle aussi, être menée à l’échelle européenne.