Après l’interdiction des films plastiques, celle des huiles minérales dans les encres d’ici à 2025 représente l'un des enjeux majeurs pour les éditeurs. Mais ceux-ci sont surtout confrontés à une raréfaction du papier qui limite leurs choix d’écoconception.
Après l’interdiction depuis le 1er janvier des films plastiques pour l’envoi des journaux et magazines et celle programmée pour 2025 des huiles minérales dans les encres, les éditeurs de presse font face à de nombreux bouleversements impactant leur démarche environnementale. « Nous n’avons pas la main sur ce qui constitue l’essentiel de notre empreinte carbone », rappelle en préambule Catherine Massabuau, directrice production et logistique du Groupe Les Echos-Le Parisien. « Plus de 80 % de notre empreinte carbone scope 3 [définition la plus large du bilan carbone qui comprend les émissions directes et indirectes liées à l’énergie et autres] est liée au papier, que ce soit l’achat de matière première, l’impression ou le transport », précise Stéphanie Bertrand-Tassilly, directrice de la communication externe corporate et de la RSE de Prisma Media. Or, la plupart des groupes de presse nationaux se sont désengagés de leurs activités d’impression et de distribution. Pour réduire leur impact environnemental, ils doivent donc agir sur leurs fournisseurs et prestataires.
Une position que relativise toutefois Violaine Chaurand, directrice de la RSE du groupe Bayard : « En tant que groupe de médias et d’édition, notre principal impact est sociétal, il s’agit de faire changer les mentalités et les usages des lecteurs ». Une approche, où la mobilisation des titres et des rédactions est centrale, qui rejoint celle du Groupe Les Echos-Le Parisien.
La presse a été contrainte par la loi antigaspillage et économie circulaire (Agec) de bannir les films issus du pétrole pour l’emballage de ses titres. Les quotidiens se sont mis autour de la table avec les différents prestataires (La Poste notamment) pour trouver la meilleure solution. C’est l’« offre à découvert », une simple étiquette d’adressage collée directement sur le journal, qui a été retenue. Les magazines ont globalement opté pour une enveloppe papier thermoformable. D’autres alternatives, comme les films à base de cellulose ou du papier compostable, explorées un temps, ont été abandonnées, faute de fiabilité. « Le passage du film à l’enveloppe papier multiplie le prix par 3 », souligne Rémy Ramstein, directeur industriel du groupe Ebra.
Une inflation du coût exacerbée par les tensions du marché du papier d’impression. Entre la baisse des quantités imprimées et la hausse de la demande pour les cartons (la pandémie a accéléré la hausse du e-commerce), la plupart des fabricants ont réorienté leur production vers les papiers d’emballage, en très forte croissance. D’autant que cette filière achète avec des prix fixés au trimestre, voire au mois, alors que les éditeurs achetaient leur papier avec un prix plus stable, fixé à l’année. Conséquence : le papier journal qui s’achetait 450 € la tonne au plus bas s’est envolé à 800 €. « Cette pénurie de papier met à mal la politique environnementale des éditeurs », constate Sylvaine Cortada, directrice de la fabrication et de la vente au numéro chez Prisma Media. En effet, l’offre de papiers éco-conçus s’est fortement raréfiée. Et cela a aussi un impact direct sur la viabilité des titres, estime Rémy Ramstein : la hausse du prix du papier représente 7M€ pour le groupe Ebra, soit l’équivalent des bénéfices dégagés. « Tous nos efforts de restructuration sont annihilés », se désole-t-il.
Et, déjà, une autre échéance environnementale se profile pour la presse : l’interdiction des huiles minérales dans les encres d’ici à 2025. Les imprimeurs de magazines proposent actuellement aux éditeurs une solution temporaire, les « encres blanches » à faible taux d’huiles minérales. Pour les quotidiens, les imprimeurs en sont encore à la phase de recherche et développement avec des tests pour revenir à des encres végétales (voie déjà explorée il y a une quinzaine d’années), indiquent Rémy Ramstein et Bruno Jeanjean, directeur des achats, moyens généraux et fabrication-production du groupe L’Equipe.
Les éditeurs disposent toutefois de quelques leviers directs pour baisser leur impact environnemental. Le groupe Ebra qui est encore propriétaire de ses imprimeries - comme la plupart des groupes de presse quotidienne régionale - a ainsi réduit le nombre de ses sites d’impression de 12 à 4. Et, il a surtout investi 15M€ l’année dernière dans une nouvelle usine à Houdemont (L’Est républicain), permettant de mieux gérer sa consommation énergique et en eau ainsi que ses rejets.
Il y a aussi des réformes à mener en ce qui concerne les primes à l’abonnement ou les plus-produits offerts avec les titres en kiosque, souligne Violaine Chaurand. Le groupe Bayard est ainsi en train de supprimer les primes originaires d’Asie d’ici à deux ans (qui représentaient 80 % des cadeaux d’abonnement il y a 5 ans) pour les remplacer par des primes « éditoriales » (livres, jeux de cartes, etc.). De la même façon, les plus-produits sont en train d’être remplacés par des cadeaux à base de papier, fabriqués dans l’Union européenne.
Entre évolutions réglementaires et tensions sur le papier, les contraintes se succèdent pour les éditeurs de presse. Dans ce contexte, « nous sommes sûrs de deux choses », constate Violaine Chaurand : « un, que l’on va tâtonner ; deux, que la contrainte crée l’innovation ».
Chiffres clés
60,5 % du papier graphique recyclé
La consommation de papiers graphiques (journaux, magazines et imprimés publicitaires) baisse, avec 166 000 tonnes de moins mises sur le marché en 2021. Selon le rapport annuel de Citéo de juin 2021, le taux de recyclage atteint 60,5%, soit 1,2 million de tonnes recyclées. 87% des Français trient les papiers, dont 41% systématiquement. Le recyclage des papiers graphiques en France permet notamment d’économiser 22 millions de m³ d’eau, soit l’équivalent de 7 600 piscines olympiques, souligne Citéo, l’entreprise chargée par la filière d’organiser et de développer le recyclage des emballages. 7 846 entreprises du secteur versent un total de 90M€ de contributions financières à Citéo et l’équivalent de 20,50M€ de contributions en nature (espace publicitaire mis à disposition pour sensibiliser les Français sur le tri des papiers).