À la suite du Guardian et de La Vanguardia, Ouest-France et Sud Ouest ont suspendu leurs comptes sur X. D’autres médias s’interrogent. Et s’il y avait plus de vertu à rester qu’à partir ?
Partir ou rester ? Le débat est ouvert dans les médias depuis la décision du britannique The Guardian et du catalan La Vanguardia de renoncer à publier sur X, sans pour autant interdire d’y partager leurs contenus. « Plateforme médiatique toxique » pour l’un, « réseau de désinformation » pour l’autre, X a pour eux plus d’inconvénients que d’avantages. Le concours actif de son propriétaire Elon Musk, futur secrétaire d’État à l’Efficacité gouvernementale, à l’élection de Trump, avec un coefficient multiplicateur de 1 000 de ses tweets, a été l’étincelle de trop. David Colon, professeur à Sciences Po, estime qu’il a fait de l’ex-Twitter « une arme de manipulation massive ». En France, Ouest-France et Sud Ouest ont suivi tandis qu’une réflexion est engagée au Monde, à Libé, Mediapart ou sur le service public.
La Société des rédacteurs du Monde s’est ainsi donnée une semaine, jusqu’au 27 novembre, pour mener une consultation interne. « D’ores et déjà la tendance est nette, explique sa présidente Raphaëlle Bacqué, une majorité souhaite que Le Monde conserve ses comptes sur X, afin d’éviter toute réappropriation par d’autres mais sans plus poster et que les journalistes soient incités, de la même façon, à ne plus poster même s’ils souhaitent conserver leurs comptes comme veille ». À la direction de la rédaction, on rappelle que le réseau n’est plus stratégique (0,5 % du trafic du site contre 1 % en 2022). On souhaite conserver son aspect conversationnel mais « dans un débat serein » sur le modèle des tchats. Le prélude au développement d’une solution interne ? La réflexion existe.
À Sud Ouest, la direction justifie la suspension par la « manipulation des opinions », le « défaut de modération assumé », la « limitation des publications des médias », la « modification des conditions de blocage », et la fin des pastilles de certification au profit de comptes payants. « Je ne vais plus l’utiliser, assure Julien Rousset, correspondant à Paris, ça pue, c’est le lieu de l’info bas de gamme, je n’ai rien à faire dans ce marigot, entre les complotistes, l’omniprésence de l’extrême droite et les délires de Musk. » Le journaliste préfère se consacrer à des live qui ne seront plus pollués par « des commentaires d’un antisémitisme délirant ».
Renforcement des contenus toxiques
À Ouest-France, François-Xavier Lefranc, président du directoire, dénonce « un réseau complètement incontrôlé » et « une zone de non droit ». Le journal a d’ailleurs attaqué X pour non-respect du règlement européen DSA après des messages de haine, du harcèlement de journalistes, et des insultes. Mais impossible d’obtenir la levée de l’anonymat. « La loi devrait être retravaillée pour garantir la protection des citoyens sur les réseaux sociaux. On n’a rien à faire sur X, cela ne rapproche pas de la vraie vie, les journalistes et les politiques devraient y être attentifs », note-t-il.
Pourtant, David Colon met en garde contre une attitude « contre-productive ». « L’effet mécanique est de renforcer la proportion de contenus toxiques sur la plateforme », dit-il. « Face à des États qui saturent l’espace informationnel de désinformation, de discours de haine et d’un mélange de vrai et de faux qui s’est accéléré depuis que Musk a pris le contrôle de Twitter et est devenu un agent d’influence, voir des médias renoncer d’eux-mêmes ne peut que satisfaire ces acteurs malveillants. »