En 1961, le célèbre long métrage Breakfast at Tiffany’s consacra avec brio le genre du brand entertainment. Ce fut le point de départ d’une longue histoire entre les marques et l’industrie du divertissement, avec un engouement qui semble, depuis peu, s’amplifier. Un article également disponible en version audio.
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Regain d’amour en vue… L’idylle vécue depuis toujours entre marques et industrie du divertissement se pare depuis peu d’un nouvel éclat. En cause peut-être, l’OPA que réalisent en ce moment les maisons de luxe sur le secteur (lire encadré). Raison tout aussi probable, le grand combat mené par les publicitaires et communicants pour gagner la nouvelle bataille de l’attention. Il est vrai que ces contenus qui empruntent au genre du divertissement ont toujours fait carton plein. À charge pour les marques de savoir apprivoiser ce qui est par essence une matière vivante, comme le rappelle Charles Moukouri Bell, cofondateur de Dat-Way, agence spécialisée dans la collaboration musicale entre marques et artistes : « L’entertainment embrasse tout ce qui traite du divertissement et de la distraction. Ses verticales ont évolué au gré des époques. Aux catégories du cinéma, documentaire culture et sport, s’ajoutent aujourd’hui l’explosion du lifestyle, du gaming ou de la musique. »
Depuis plus d’un siècle, les marques s’approprient ainsi les loisirs référents du moment, en allant à chaque fois plus loin, avec des formats qui ne cessent de se réinventer. Sponsoring télévisuel et sportif dans les années 80, campagnes de publicité façon cinéma en 2000, contenus numériques et collaborations influenceurs en 2010… Et depuis peu, les maisons de luxe ont encore franchi un cap avec des objets cinématographiques à part entière. BMW avait commencé avec The Hire, courts métrages réalisés par Tony Scott ou Wong Kar-wai. Saint Laurent Productions voit encore plus grand en ayant présenté cette année à Cannes les opus de Jacques Audiard, David Cronenberg et Paolo Sorrentino. Des démarches qui ringardiseraient presque le bon vieux placement de produit qui a pourtant bien vécu. Dans son Aston Martin, James Bond en fut longtemps témoin.
Autre grande tendance répertoriée par Nico Daude, directeur général France de l’agence spécialisée en entertainment Amplify, celle de l’hospitalité : « Hôtels, restaurants, plages privées… Après les partenariats et les célébrités, les marques aiment maintenant s’approprier des espaces d’expérience et de détente. » Il est vrai que cet été à Saint Tropez, chacun avait pris ses quartiers : Jacquemus à l’Indie Beach, Gucci chez Loulou ou Dior au Shellona Beach. Cette effervescence créative a de fait donné lieu à une nouvelle catégorie de Lions à Cannes, pour l’instant dominée par les productions anglo-saxonnes, très en avance sur ce sujet, comme le rappelle Matthieu Elkaim, chief creative officer de l'agence Ogilvy Paris : « La catégorie reste un signal intéressant pour pointer une véritable tendance. On y prime la pertinence d’une stratégie, l’originalité d’une approche et d’un concept, sans accepter la gratuité ou l’artifice du seul moyen. »
L’entertainment de marque connaît donc une accélération réelle. William Blanc, CEO de Quad Productions, de plus en plus sollicité sur cet exercice, vient même d’y consacrer une offre dédiée : « L’intérêt est commun. Les marques découvrent de nouvelles manières de faire du contenu quand les producteurs n’hésitent plus à solliciter ces marques pour identifier de nouvelles histoires ou leur faire porter leur projet. » Même état d’esprit dans le monde de la musique, confirme Rémi Campet, autre fondateur du cabinet conseil Dat-Way : « L’écosystème s’ouvre, avec des artistes qui ne sont plus réticents aux collaborations. » Dès lors, les projets deviennent légion : le biopic sur Enzo Ferrari disponible sur Netflix, le documentaire Aya Nakamura, Haut Niveau produit par Lancôme pour la chaîne YouTube de l’artiste, la collaboration entre Bulgari et le simulateur de conduite Gran Turismo ou, encore, la stratégie sports extrêmes de Redbull, maître du jeu en la matière.
Mais toute marque peut-elle véritablement prétendre à l’art du brand entertainment ? Oui, répond sans hésiter Fabien Gaëtan, head of gaming et entertainment pour l’agence Marcel : « Les marques ont toutes vocation à être culturelles dès lors qu’elles apportent de la valeur à leurs communautés, démarche qui nécessite d’ailleurs un certain lâcher-prise sur la création. Cette éligibilité repose donc plus sur la capacité d’une direction marketing que sur l’ADN d’une marque. » Et effectivement, des secteurs moins attendus entrent dans le jeu. On citera, entre autres, la mini-série publicitaire Chez les Déon, imaginée par BETC et produite par Quad pour le Crédit Agricole, le court métrage sur les aidants L’invulnérable, porté par la Macif, les expériences Icons d’Airbnb, organisées notamment en France par l’agence Amplify et permettant aux voyageurs d’expérimenter des moments et hébergements éphémères hors normes. Des marques comme Transavia, Groupama et Granola entrent de leur côté de plain-pied dans le gaming avec l’agence Marcel. L’Association nationale interprofessionnelle du Bétail et des Viandes elle-même se lance avec Ogilvy Paris en imaginant un documentaire qui a suivi un streamer dans sa volonté de lutter contre la malbouffe liée à l’activité de gaming.
Une histoire engageante
Les marques ont-elles réellement le choix ? « La copy publicitaire historique arrive de plus en plus loin dans la prise de parole, alors même qu’elle est de plus en plus contrainte dans son format et sa liberté de ton. L’entertainment permet alors de raconter une histoire de manière plus engageante, en laissant une trace pérenne », rappelle William Blanc. Même son de cloche pour Fabien Gaëtan : « Dans une consommation média qui s’est délinéarisée et fragmentée, la publicité peut déranger les gens. Si les marques veulent redevenir divertissantes plutôt qu’intrusives, l’entertainment est une clef. » Pour Nico Daude, « cette nouvelle manière de consommer la marque offre la possibilité de se connecter à des audiences diversifiées en créant une relation plus émotionnelle, profonde et sincère. »
Attention en revanche à éviter les faux pas. Pour Rémi Campet et Charles Moukouri Bell, tout se jouera d’abord sur la cohérence de la démarche : « Le consommateur n’est pas idiot et attend d’une marque qu’elle soit authentique et sincère avec des objets culturels qui ne sont pas des publicités. » Il demeure également fondamental de se tourner vers les professionnels de l’écosystème : « L’erreur souvent commise reste de vouloir faire du divertissement avec les codes de la publicité, affirme Matthieu Elkaim. L’entertainment est un autre métier, qui fonctionne avec d’autres talents. » D’autres codes également, comme aime à le rappeler William Blanc pour conclure : « Le temps de l’imagination, de la fabrication et de la diffusion en publicité reste très court. Ce facteur temps reste plus long sur des documentaires ou longs métrages, pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Mais l’objet perdurera d’autant plus. » Ou quand la patience fera bientôt partie des fiches de poste des directions marketing…
L’OPA du luxe sur l’industrie du divertissement
En 2023, après le coup d’éclat de House of Gucci, Kering acquiert une participation dans l’agence de talents CAA, alors que sa maison phare Saint Laurent s’était déjà lancée dans la production cinématographique. En 2024, c’est au tour de LVMH de sortir le grand jeu avec la création de 22 Montaigne Entertainment, filiale ayant pour vocation de codévelopper, coproduire, cofinancer des projets originaux mettant en valeur l’héritage des 75 marques. L’empire de Bernard Arnault ne s’arrête pas là, en devenant partenaire mondial de la Formule 1 pour dix ans, tout en finalisant l’achat du club de foot Paris FC. Objectif affiché ? « Construire des marques de culture à audience mondiale », répond le magnat. « Les histoires de ces marques fascinent les audiences. Au-delà d’une stratégie de diversification évidente qui va favoriser les rencontres d’intérêt, ces démarches ont cela de remarquable qu’elles ouvrent un chemin pour les autres », commente Matthieu Elkaim chief creative officer d'Ogilvy Paris. Qui seront les suivants ?