Chacun en a conscience : le marché de la publicité digitale est à l’aube d’une révolution copernicienne, mais peu ont encore conscience de son ampleur et des répercussions qu’elle aura. Schématiquement, le modèle économique d’internet et des applications mobiles reposait jusqu’à présent sur un échange de valeur tacite entre éditeurs et utilisateurs. Ce modèle, qui a permis l’éclosion de nombreux contenus et services gratuits rémunérés par la publicité, est aujourd’hui profondément remis en cause, victime de son ambiguïté originelle.
De nombreux observateurs avaient déjà identifié chez les utilisateurs un «we want it all» privacy paradox en vertu duquel ceux-ci sont aussi bien attachés à la gratuité des contenus qu’à leur privacy. Mais dans une étude publiée fin 2019, le Pew Research Center avait révélé que 81% des personnes interrogées répondaient que les risques liés à la collecte de données l’emportaient sur ses bénéfices. Autrement dit, l’échange de valeur à l’origine du modèle économique (et du développement) d’internet n’a plus cours.
C’est en tout cas le constat très clair que font certains GAFA à travers leurs dernières annonces, qu’il s’agisse de la suppression des cookies tiers ou de l’App Tracking Transparency. Or, selon une étude du cabinet Flurry Analytics, depuis la mise à jour d’IOS 14.5, seulement 12% des utilisateurs dans le monde n’ont pas bloqué le tracking des applications. L’annonce fait donc sortir de l’ambiguïté l’utilisateur qui se cachait derrière elle de manière plus ou moins consciente : il ne peut plus prétendre ne pas savoir que ses données sont utilisées car Apple lui demande désormais son consentement explicite.
Deux voies possibles
Dès lors, deux voies s’offrent aux éditeurs de contenus sur internet et aux développeurs d’applications mobiles. La première consiste à basculer sur des modèles payants : l’utilisateur supporterait le coût du service rendu et celui de son «non-consentement» à l’utilisation de ses données personnelles. Ce modèle a le mérite de clarifier les termes de l’échange puisque l’utilisateur fait le choix de payer (ou de s’abstenir) en fonction de la valeur qu’il attribue au service rendu. Cependant, il va de soi que cela entraînerait la disparition de nombreux contenus, beaucoup d’utilisateurs étant réticents à l’idée de payer demain ce qu’ils ont l’habitude d’obtenir gratuitement aujourd’hui.
La seconde voie consiste à monétiser l’audience d’une manière qui permette de pérenniser la gratuité de services, tout en renforçant le respect de la vie privée. Elle consiste à promouvoir un échange de valeur beaucoup plus transparent entre éditeurs de contenus et utilisateurs.
Il est donc parfaitement envisageable de pérenniser un modèle économique financé par la publicité digitale, à condition de donner la priorité absolue à la transparence et au respect de la vie privée. Plusieurs modèles peuvent alors coexister simultanément, laissant le choix à l’internaute de l’usage qui est fait de ses données ou d’un coût monétaire pour accéder aux services et aux informations. Mais le statu quo n’est pas une option et les éditeurs de contenus doivent rapidement choisir de faire pivoter leur modèle dans un sens ou dans l’autre.