COMMUNICATION POLITIQUE

Alors que se profile le second tour des élections législatives, le 7 juillet, susceptible d’amener le Rassemblement national au pouvoir, tour d’horizon des forces et des faiblesses des trois blocs politiques.

Front républicain, front démocrate ou barrage anti-RN ? Extrême droite, droite radicale ou parti nationaliste ? Front populaire, nouvelle Nupes ou alliance de gauche ? Macronie, majorité présidentielle ou bloc central ? Jusque dans le choix des mots désignant les identités de chaque camp, rien n’est totalement fixé à quelques jours du deuxième tour des élections législatives. Le reflet d’une grande confusion après une campagne menée au pas de charge, trois semaines après l’annonce de la dissolution. Macron ? « Un artificier qui s’appuie sur des amateurs courtisans qui sont aussi des apprentis sorciers », assène un patron d’agence proche des cercles du pouvoir qui veut garder l’anonymat. Avant le scrutin décisif de dimanche, Stratégies a demandé à des spécialistes de la communication politique de passer au crible les atouts et les handicaps de chacun des trois blocs politiques. Revue de détails.

- Le bloc central

Commençons par le plus petit des blocs : celui par lequel tout arrive. « En communication, la dissolution ne peut réussir que si elle a un récit clair, au moins accepté par son propre camp », observe Arnaud Mercier, professeur en communication à Paris Panthéon-Assas. Or, comme Chirac en 1997, qui voulait s’assurer une majorité claire sans attendre la période d’austérité budgétaire de 1998, le président peine à imposer son récit. Certes, il entendait apporter de la « clarification » et se redonner les moyens de légiférer en misant sur la triangulation et le caractère « irréconciliable » des gauches, entre Raphaël Glucksmann et Jean-Luc Mélenchon. « Une méconnaissance de la culture de la gauche qui s’allie face au péril de l’extrême-droite », souligne notre patron d’agence. « Macron a parié sur la division de la gauche mais à un moment où sa force est affaiblie et où le RN est en dynamique », poursuit Arnaud Mercier, « c’est une prise de risque insensée, une décision folle, de kamikaze : il a tué sa majorité ». L’influence des « cloportes », ainsi appelés par Bruno Le Maire en référence aux « quatre mousquetaires » qui ont conseillé la dissolution, achève de brouiller l’image d’un président isolé et abandonné par les siens.

D’autant que le choix fait alors de renvoyer dos à dos « les extrêmes », ou de prédire une « guerre civile » en cas de victoire de ses opposants, se révèle une erreur tactique car elle prépare mal aux désistements : le président devient dès lors inaudible après le premier tour. Non seulement il s’est aliéné ceux qui ont voté pour lui afin de faire barrage au RN pendant la présidentielle, mais il a repris abondamment à son compte pendant la campagne les accusations d’antisémitisme, formulées par l’extrême droite, qui ciblent LFI et le Nouveau Front populaire. « Le RN et Macron ont tout fait pour accréditer cette thèse dont on peine à voir les fondements légaux même si elle laissera des traces à gauche », explique Gaspard Gantzer, président de Gantzer Agency et ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée.

Face à lui, et non plus à ses côtés, Gabriel Attal reste un atout. « C’est le meilleur communicant, estime Franck Louvrier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et maire LR de La Baule. Il a le rôle le plus difficile et il se fait encore entendre : il a réussi à passer de Matignon à chef de la majorité ». Dès le soir du premier tour, il a clairement axé son combat sur le rejet d’une majorité absolue du RN, appelant aux désistements (« Pas une voix ne doit aller au Rassemblement national ») et retirant la réforme de l’assurance chômage pour favoriser « des majorités de projets et d’idées ». Sa présence sur les affiches électorales témoigne en creux de l’invisibilisation de Macron.

Cela sera-t-il suffisant pour lui ménager un avenir en cas de nouvelle majorité relative allant chercher des soutiens du Nouveau Front populaire à LR ? Le Premier ministre demeure associé au bilan d’un président honni à gauche comme à droite. « L’impopularité intrinsèque à la vie politique après sept ans de Macron à l’Élysée se cumule à l’usure du pouvoir », note Franck Louvrier. Et la Macronie, comme affolée dans l’entre-deux-tours, fait entendre une certaine cacophonie sur les désistements entre le « ni RN ni LFI » de Bruno Le Maire ou d’Aurore Bergé et la ligne anti-RN formulée par Gabriel Attal. Une ligne qui l'a néanmoins emportée si l'on en juge les 82 désistements du bloc présidentiel, largement en faveur du Nouveau Front Populaire.

- Le bloc RN

C’est le grand vainqueur des Européennes puis du premier tour des législatives. Les communicants s’accordent à reconnaître que celui qui postule pour aller à Matignon en cas de majorité absolue de l’extrême droite est un indéniable atout. « Jordan Bardella est une incarnation forte avec une image de modernité sur les réseaux sociaux, relève Philippe Moreau-Chevrolet, PDG de MCBG Conseil. C’est un produit d’appel lisse, androgyne, un beau gosse au sourire ultra-bright qui copie les expressions et les décors du Macron de 2017. Il fait tout pour se présenter avec Ciotti comme un libéral bon teint un peu plus dur sur l’immigration. » Toutefois, cette plasticité a aussi ses revers : Jordan Bardella ressemble à un produit cosmétique dont il ne faut pas trop regarder la provenance et les coutures. Improvisation permanente dans le programme, comme on l’a vu sur les retraites ou sur la double nationalité qui concerne 3,5 millions de personnes, lacunes économiques et fiscales, comme lorsqu’il soutient l’exemption d’impôts des moins de 30 ans.

Résultat : il est souvent contraint de rétropédaler en renvoyant à un audit des finances publiques à mesure que se précise l’hypothèse de transformer le RN en parti de gouvernement. « Depuis 2022, estime Valérie Lecasble, éditorialiste au quotidien en ligne de Laurent Joffrin LeJournal.info, le Rassemblement national a bénéficié d’une stratégie à bas bruit : il a l’image d’un parti calme, apaisé, avec 89 députés en cravate qui ne font pas de vagues et contrastent avec les outrances de 75 LFI tonitruants. Sa ligne sécuritaire et sur le pouvoir d’achat, comme lorsqu’il a mis en avant la fin du mois plutôt que la fin du monde lors de la crise des agriculteurs, a énormément porté dans l’opinion. Quant à Marine Le Pen, on ne l’a pas entendue jusqu’au premier tour, histoire de ne pas apparaître trop clivant. »

Objectif : installer l’idée d’un parti normalisé façon Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, même si, reconnaît l’ancienne communicante, « cette com de normalisation est factice ». L’universitaire Arnaud Mercier y voit, « après la dédiabolisation et la respectabilisation, une banalisation avec un aggiornamento du programme dans l’urgence et une stratégie économique et sociale qui ressemble à du sarkozysme ou du macronisme. »

Reste que, comme dit Gaspard Gantzer, « le dévoilement du programme joue contre Bardella car, à part l’immigration, tout est très fragile : c’est une mise à nu du fond idéologique, celui de la priorité nationale », comme en atteste sa volonté d’abroger le droit du sol. « Il arrive à s’en sortir face aux journalistes car il est très sentencieux mais dans un débat, il s’effondre par manque de connaissances techniques », ajoute-t-il. Il est vrai qu’il est jeune et inexpérimenté. À cela s’ajoute une impréparation du RN dans cette campagne : « On frôle l’anti-démocratie, constate Julien Vaulpré, directeur général de Taddeo. Rien n’est préparé, le parti n’a ni candidats, ni idées, ni structures, ni communication ». Certaines candidatures doivent être régulièrement retirées pour la révélation de propos racistes, antisémites, homophobes et même une casquette nazie sur les réseaux sociaux.

De quoi faire reculer des électeurs républicains dans la dernière ligne droite ? Pour les plus âgés et qui redoutent un désordre dans la rue, sans doute. Mais le populiste opportuniste Bardella garde l’attrait de la nouveauté et du « on ne l’a pas essayé ». Il reste en résonance avec la France des sous-préfectures au faible pouvoir d’achat, victime de la mondialisation, de l’insécurité réelle ou ressentie et du délitement des services publics. Valérie Lecasble note qu’en débat face à Attal, il apparaît « humble et proche des gens » par rapport à un « Monsieur Je-sais-tout qui incarne l’élite sûre d'elle-même ». Mais sur France Inter, le 2 juillet, Marine Le Pen a trahi quelques inquiétudes de voir la logique de désistements jouer contre sa majorité absolue et son arrivée à Matignon.

- Le bloc des gauches

La première force du Nouveau Front populaire (NFP) réside d’abord dans son unité. « Il a réussi l’union des gauches et il a été porté par la vague Raphaël Glucksmann aux Européennes, même si elle a été contrariée, apprécie Philippe Moreau-Chevrolet. A été remis en selle l’idée d’une gauche qui puisse gagner ». Pour lui, la présence en son sein de socio-démocrates, progressistes ou socialistes modérés, comme en témoigne le soutien de Lionel Jospin ou de François Hollande, apporte de la crédibilité, en particulier pour aller chercher l’électorat senior.

« Il y a un certain consensus, confirme Arnaud Mercier. Hormis Mélenchon qui fait dans l’ego trip, ils sont sur une ligne très unitaire. Il y a eu des efforts, des concessions pour éviter le pire, c’est-à-dire que le RN ait une majorité absolue. » Gaspard Gantzer reconnaît que les querelles internes à ce camp sont loin d’être purgées et qu’il joue collectif en l’absence d’un chef incontestable, ce qui peut être un handicap « dans un moment où l’on aime bien avoir une incarnation ». Mais les difficultés inhérentes à son programme - sur le financement de 150 milliards d’euros de dépenses nouvelles - ne sont pas pour lui essentielles : « la campagne se joue sur les valeurs et le positionnement politique ». Il trouve d’ailleurs que la dénomination « un peu vintage » du Front populaire et ses affiches colorées parlent aux électeurs de gauche.

Julien Vaulpré est plus sévère : « L’absence de leader aboutit à une collectivisation qui ne correspond pas à la compétition du moment. Et Jean-Luc Mélenchon fait perdre des points. » Franck Louvrier renchérit : « C’est une union de paille, de la carpe et du lapin, la Nupes a été un échec, l’alliance a déjà explosé en plein vol, elle tire son bénéfice de la crainte de la droite extrême mais on y trouve des poids lourds qui peuvent être des poids faibles. Et les propos tenus par LFI au lendemain du 7 octobre [attentats en Israël] disqualifient ce parti. » La présence d’un fiché S, Raphaël Arnault, un ancien antifa, parmi les candidats LFI, ou le soutien de Rima Hassan, arborant un keffieh palestinien aux côté de Jean-Luc Mélenchon le 30 juin, mettent selon lui « de l’huile sur le feu ».

Mélenchon, point faible du Nouveau Front populaire ? Sa façon de se poser « en indépendant dans un conglomérat » met à mal, estime-t-il, l’idée de l’unité. Son refus de qualifier le Hamas de mouvement terroriste en fait pour Valérie Lecasble un « épouvantail », il est donc souhaitable qu’il ne s’exprime pas trop, tant il risque de dissuader des électeurs centristes ou républicains de rallier le NFP. Mais il n’en fait qu’à sa tête. Ce qui ne l'a pas empêché d'être très clair le soir du premier tour : « Pas une voix, pas un siège de plus pour le RN. ». Cela a permis à l'alliance de gauche de faire peuve d'une grande discipline en totalisant 134 des 229 désistements annoncés. « Tout le monde sait que le programme est fait de bric et de broc, complète-t-elle, mais le score de Raphaël Glucksmann a permis de présenter 100 candidats socialistes de plus par rapport à la Nupes. Sans ça, il y aurait 300 députés RN. »

Quant à l’accusation d’antisémitisme, reflète-t-elle une réalité ou n’est-ce qu’un argument de campagne ? « Dans les forces de gauche radicales, certains ont des relents antisémites, juge Arnaud Mercier, mais il y a la défense de la cause palestinienne, la confusion entre antisionisme et antisémitisme ou le soupçon qui consiste à faire de tout juif un soutien inconditionnel à Israël. Il y a aussi une instrumentalisation et une généralisation abusive pour faire de l’antisémitisme un repoussoir de LFI et du Nouveau Front populaire. »

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