184 journalistes du groupe Figaro font entendre leur différence par rapport à la ligne éditoriale exprimée par le directeur des rédactions, Alexis Brezet, qui s'est opposé à un front républicain pour faire barrage au RN.

La rédaction du Figaro approuve-t-elle la position éditoriale prise par son directeur des rédactions, Alexis Brézet, à l'occasion des élections législatives ? La chroniqueuse de Figaro Vox, Eugénie Bastié, a affirmé dans l'émission Quotidien sur TMC, le 26 juin, que la question ne se posait pas. La désapprobation est venue selon elle d'« une personne à l'extérieur du Figaro [Sophie de Ravinel, en congés sabatique (1)] mais à l'intérieur je n'ai pas entendu de personnes en désaccord », disait-elle après une chronique sur Europe 1 d'Alexis Brézet, ancien de Valeurs actuelles, qui semblait appeler à ne pas rejeter l'union des droites sur la ligne Ciotti. 

Le 14 juin, le dirigeant s'est défendu devant de la Société des journalistes d'avoir livré un éditorial, préférant parler d'"analyse", tout en rappelant que Le Figaro ne soutenait pas le RN et qu'il ne donnerait aucune consigne de vote. Le 1er juillet, au lendemain du premier tour, c'est pourtant bien un éditorial qu'a signé Alexis Brézet dans le quotidien pour inviter ses lecteurs à ne pas « mettre un signe d'égalité » entre Mélenchon et Bardella, qualifiant le Nouveau Front populaire « sous la domination de LFI » de « vecteur d'une idéologie qui consommerait le deshonneur et la ruine du pays. » 

Le 4 juillet, un texte signé par 184 journalistes du Figaro (sur quelque 400 cartes de presse, et 350 auxquelles il a été soumis), dont huit chefs de service, et par 21 journalistes du Particulier (sur 27), a été adressé à Alexis Brézet pour s'émouvoir « avec étonnement et inquiétude » de cette position, renforcée par une photo de une titrée « Bardella en force talonné par Mélenchon ». "En mettant en scène un affrontement Bardella-Mélenchon, la Une du journal caricature le résultat du scrutin, en contradiction avec la nuance apportée dans les pages politique, et occulte les votes qui se sont portés sur toute une partie de la droite et du centre (dix millions de suffrages ce dimanche) » est-il écrit.

Rappelant que des articles sont parus en France et à l'étranger mettant « en évidence un changement de la ligne du journal » et assurant que cet éditorial « présente le vote RN comme « préférable » à celui qui se porterait sur le Nouveau front populaire », le texte y voit « un soutien au Rassemblement national sans précédent dans l’histoire du journal et contraire à l’engagement pris il y a deux semaines, par Alexis Brézet, devant la Société des journalistes ». Avant de conclure par une question : « Le Figaro se définit-il encore comme un journal libéral, conservateur, proeuropéen et opposé à l’extrême droite ? ».

« Arbitrage idéologique »

Au sein du groupe de presse, la rédaction apparaît donc bien divisée sur la ligne politique du journal. « Pour moi, c'est une évidence qu'on fragilise ainsi la marque Figaro, explique une journaliste opposée à cette "pétition", qu'on échange en conférence de rédaction, qu'on se batte avec nos angles, nos choix, nos équilibres, d'accord, mais qu'on ne réduise pas notre traitement à un arbitrage idéologique ».  Pour cette reporter qui ne croit pas « le vote Mélenchon meilleur que le vote Bardella », l'éditorial est par nature « une forme subjective dont on n'a pas le droit de dire qu'elle implique toute la rédaction » et le traitement éditorial des droites est pluriel au sein du journal.

Une vision à laquelle s'oppose ce membre de la Société des journalistes, qui préfère lui aussi rester anonyme : « C'est à nouveau de l'incompréhension et un sentiment de confiance trahie que ressent la rédaction, explique-t-il, il ne s'agit pas d'un avis personnel comme pouvait le faire Eric Zemmour en tant que chroniqueur, mais d'un éditorial du directeur des rédactions, intervenant pas n'importe quel jour, pas pour n'importe quelle élection et pas pour n'importe quelle personne. C'est le refus du front républicain et la légitimation d'un vote considéré comme préférable ou par défaut souhaitable ». 

Une autre journaliste évoque une « dérive éditoriale qu'il convient de clarifier ». D'autant que la SDJ fait état d'interrogations venant « des politiques, des annonceurs et des gens du business ». A ce sentiment de défiance s'ajoute  la crainte d'une chasse aux sorcières ou de "représailles" qui aurait dissuadé une vingtaine de journalistes de se joindre au mouvement.

Tous les regards sont tournés vers les actionnaires de la famille Dassault. Sur ce point, la déclaration au Monde de Rudi Roussillon, conseiller pour les activités médias du groupe Dassault, le 14 juin, n'incite pas à la hardiesse : «​​​​​​​​​​​​​​ Je lis le journal minutieusement tous les jours, et je n'ai pas la moindre observation à faire ». Mais il est vrai que la position d'Alexis Brézet ne s'était pas encore exprimée dans les colonnes du quotidien.

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