Le centre commercial, dans sa forme actuelle, vit-il ses derniers jours ? Le modèle d’hybridation entre enseignes commerciales et offres liées au loisir, considéré jusqu’ici comme pérenne, reste majoritaire mais il montre déjà ses limites. Cette formule ne suffit plus à rendre automatiquement le centre commercial ni attractif ni performant.
Pour le comprendre, il suffit de regarder avec attention les lieux, les gens mais aussi les usages. Pourquoi les gens aiment-ils encore tant les marchés, alors que d’un strict point de vue de «l’expérience client», ils restent une hérésie en comparaison d’un magasin qui propose tout ? Pourquoi ceux qui voyagent à l’autre bout du monde privilégient-ils les échoppes de bric et de broc, préférées aux vastes shopping centers ? La réponse est toute simple : parce que dans ces marchés comme dans ces échoppes, il y a de la vie et que les occupants peuvent s’y exprimer.
Doit-on se souvenir de la dimension jubilatoire du commerce physique ? C’est ce commerce-là, en confrontation réelle avec les gens, apte à capter leur regard et à réveiller tous leurs sens parfois endormis par les écrans, que l’on doit réhabiliter. Les marques sont les seules à pouvoir opérer ce réveil. Elles ont pourtant été un peu oubliées dans l’affaire. De plus en plus contraintes par des architectures de lieux construits comme des œuvres intouchables, dont il ne faudrait surtout pas dénaturer la beauté intrinsèque, les marques des centres commerciaux se sont lissées, étiolées, effacées.
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Or, ce sont les marques qui font rêver, qui donnent aux gens envie de venir. Il faut donc d’urgence leur redonner toute leur capacité d’expression physique. C’est d’autant plus important pour trouver sa place face aux acteurs digitaux. Au-delà du mix de marques locomotives, marques tendances et marques événementielles, il faut redonner l’opportunité aux marques de faire des flagships partout. C’est ici que le design, dont l’impact sur les ventes peut parfois faire débat, doit intervenir pour concevoir des centres commerciaux permettant aux marques de jouer avec leurs codes et leurs communautés.
Réinventer le centre commercial, c'est aussi se souvenir que s’y rendre n’est pas seulement un vieux réflexe de boomer. Cela reste une aspiration largement partagée. Ce qui a changé, c’est que le client n’y est plus passif. Pour déclencher sa visite, il est essentiel de lui donner la certitude qu’il va toujours se passer quelque chose au centre commercial. Créons des événements, petits et grands. Les micro-événements, ce sont ceux portés par les enseignes qui, on l’a dit, doivent pouvoir s’exprimer librement. Les cellules centrales des centres commerciaux donnent le ton. Il faut donc y installer prioritairement des enseignes super expressives. Et les accompagner, sans doute, dans cette démarche événementielle lorsqu’on est un opérateur de centre commercial.
Parallèlement, des macro-événements sont nécessaires, qui sont cette fois propres au centre commercial lui-même et qui constituent en quelque sorte sa signature. Concerts, brocantes, conférences, installations artistiques : tout est possible. A condition de trouver au préalable le fil rouge de cette programmation en affinant la plateforme de marque du centre commercial. Car, oui, un centre commercial ne se résume pas à un logo et à une signalétique qui tiennent la route. C’est, aussi, une promesse à tout un quartier qui attend de voir quel «spectacle» on va lui proposer…
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L’expérience doit être à la fois suffisamment forte pour être distinctive et suffisamment ouverte pour ne pas devenir une contrainte. Tout ceci nécessite de construire ou de réhabiliter les lieux dans cette optique événementielle. Oublions, donc, les galeries aseptisées et froides, et laissons s’installer la vie, les rencontres, la surprise.
Pourtant, tout ceci ne suffit pas encore pour attirer les gens. Car, comparé à l’accès direct et immédiat que propose internet, l’accès aux marques au sein d'un centre commercial reste un long chemin qui se passe, en grande partie, hors les murs. On le constate trop souvent : des centres commerciaux, magnifiques objets architecturaux, semblent tombés de nulle part au milieu d’un espace ou d’un champ. Et que se passe-t-il ensuite ? Pas grand-chose de plus que des communiqués de presse et de superbes photos. Ce qui fait la force d’un Christo qui emballe le Pont Neuf et l’Arc de Triomphe, c’est que l’expérience artistique est sortie des musées pour arriver dans la vie des gens. En rompant la monotonie de leur environnement quotidien, on crée l’événement.
C’est exactement la même logique qui doit présider pour les centres commerciaux. Les marques et la dimension événementielle doivent «transpirer» hors des murs. Les dispositifs architecturaux doivent être pensés pour que l’énergie de l’intérieur se voit à l’extérieur. Ainsi, les parkings et les abords des centres devraient être réinvestis, que ce soit avec des services, des activités ou des enseignes. Cela peut passer par l’architecture ou par des mécaniques de communication. L’essentiel, c’est que l’extérieur soit aussi vivant que l’intérieur. Redonner la priorité aux marques, créer l’événement à l’intérieur comme à l’extérieur, concevoir des lieux propices à cette démarche : ce sont autant de préconisations qui devraient, à coup sûr, s’avérer profitables pour les centres commerciaux.