Dossier Santé
Sites d’information, campagnes digitales, applications mobiles… Ces dernières années, les laboratoires développent de plus en plus d’initiatives à destination directe des patients. Avec plus ou moins de succès.

Si le parvis de la gare Saint-Lazare à Paris a l’habitude d’accueillir des opérations de street marketing, l’initiative déployée du 18 au 21 septembre dernier détonne un peu. Imaginé par le laboratoire Bristol-Myers Squibb, un grand dôme orange attire le regard. Les passants sont invités à entrer pour se renseigner sur l’immunothérapie et son rôle dans le traitement du cancer. Une opération relayée en digital à travers un site, un hashtag (ExploreForCancer) et une opération de financement menée sur Twitter et Instagram. Au total, 2 000 visiteurs ont été accueillis, autant de personnes sensibilisées à la question.

Ce dispositif n’aurait pas pu voir le jour si les laboratoires pharmaceutiques n’avaient pas commencé, voilà plus de deux décennies, à faire évoluer leurs pratiques. Avec le digital, chacun a désormais le pouvoir de s’informer sur les maladies, prendre un rendez-vous médical en ligne ou gérer sa santé via les outils connectés. Un état de fait que les laboratoires sont obligés de prendre en compte et auquel s'ajoute un changement culturel, entamé dans les années 2000. «La découverte des patients est récente. Beaucoup d’industriels considèrent qu’ils ont tout intérêt à avoir des contacts avec eux, certes, pour des raisons financières, mais aussi parce que les patients sont des acteurs dont il faut répondre aux attentes», expose Gérard Raymond, président de France Assos Santé, instance de représentation des usagers du système de santé qui regroupe 85 associations. Il y a même un mot pour définir cela : la «patient-centricity». «On passe d’un modèle B to B to C au B to C basé sur le serviciel», explique Lionel Reichardt, consultant, blogueur et influenceur e-santé.

 

Prise de risques

Et le phénomène ne manque pas d'impacter la communication des acteurs concernés. En effet, élargir sa cible au-delà des professionnels de santé complexifie la démarche par l’ajout d’une nouvelle audience, sans compter que cela oblige à réallouer les budgets communication. Or alors que la cible professionnelle est bien identifiable, c’est plus compliqué avec les particuliers. « Le patient occupe une place de plus en plus importante. Il faut donc le prendre en compte dans une approche marketing-communication, avec sincérité. Mais ce n’est pas évident car le ROI n’est pas perceptible, il y a un cadre réglementaire, cela implique de prendre des risques », résume Lionel Reichardt.

De fait, cette approche est très encadrée par la loi. Pas question de parler directement de médicaments. Les laboratoires peuvent informer les patients et/ou leurs proches, partager des témoignages de personnes malades, proposer du coaching, aider au suivi d’un traitement… Autrement dit, tout un panel d’actions allant de la sensibilisation à une approche plus pratique destinée à s’inscrire dans le quotidien des patients. C'est un moyen aussi, pour ceux qui les mettent en œuvre, de se différencier de la concurrence. «Le vrai tournant est que, maintenant, ce n’est plus uniquement de l’écoute mais aussi de la proposition de services», note Anne-Hélène Nicolas, dirigeante d’Innovatys Consulting, société de conseil en innovation.

Cette approche passe en premier lieu par des sites d’information ou de prévention sur des pathologies. Les laboratoires misent aussi sur les campagnes de sensibilisation dont ils peuvent être parties prenantes ou initiateurs, à l’image de Merck dans «Protège ta fertilité», déployée fin 2019 par un collectif comprenant aussi une association de patients, une endocrinologue et deux gynécologues-obstétriciens. Autre type de dispositif : Novartis a, en mai 2018, imaginé une webradio pour sensibiliser à la sclérose en plaques (SEP). Les canaux privilégiés ne sont pas uniquement digitaux, à l’image d’un kit d’accompagnement comprenant notamment un livret de présentation et une clé USB, mis en place en janvier 2019 par le même Merck pour les patients découvrant leur SEP.

 

Le bon diagnostic de départ

«Les sites d’information, cela se fait beaucoup», commente Lambert Lacoste, chef de projet chez Alcimed, société de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés. Le problème est qu’ils seraient souvent assez mal référencés. «Peu d’acteurs ont une logique de travail dans le temps, sauf dans les génériques où ils communiquent davantage sur la marque que sur le domaine thérapeutique, comme le fait par exemple Mylan», explique Lionel Reichardt. «Les laboratoires ne se rendent pas compte que pour faire vivre ces services, il faut les promouvoir d’une façon différente, notamment développer une culture d’acquisition et d’activation de leur base clients», abonde Anne-Helène Nicolas, reconnaissant aussi le «bon diagnostic» de départ les conduisant à intégrer le digital dans la relation aux patients, même s’ils peuvent encore largement progresser en la matière. «Ces sites devraient perdurer. La question porte sur la façon de travailler notamment ses contenus. Le ressort du gaming est beaucoup utilisé ainsi que les vidéos, les mini-séries», ajoute Lambert Lacoste.

En parallèle, d’autres outils se développent, dont certains avec une dimension innovante. Le laboratoire Janssen par exemple a compris ce qu’il pouvait tirer de la réalité virtuelle. Lancé en 2019, le dispositif «Janssen Window» invite via des lunettes Oculus Go à se plonger dans les coulisses du circuit du médicament. Une façon de «répondre à la demande de transparence, d’informations en matière de qualité et sécurité liés aux médicaments, et de regagner la confiance du grand public», explique le laboratoire sur son site.

 

Béquilles

Au-delà de l’information, les industriels peuvent aussi s’improviser béquilles dans le suivi d’un traitement, notamment à travers le lancement d'applications mobiles. Le phénomène est toujours remarqué, comme en témoigne le prix remis aux Cannes Lions en 2019 à Breath of life, application de GsK dédiée à l’auto-détection des maladies pulmonaires, basée sur le réseau social chinois WeChat. «Ce qui fait le succès des applications, c’est lorsqu’elles rentrent dans le quotidien», appuie Valérie Armani, directrice communication et marketing de Roche Diabetes Care France qui, avec son application Gluci-Cheek, aide les patients à contrôler leur diabète, un outil qui compterait plus de 40 000 utilisateurs réguliers.

De façon générale, tout cela semble davantage une façon d’exister sur le terrain du digital qu’une vraie mesure d’efficacité, notamment parce qu'aucun dispositif de formation n’accompagne ces sorties. «On n’a pas développé les usages car personne n’en parle aux patients. Les médecins ne sont pas à l’aise avec le numérique», relève Lionel Reichardt. «Les laboratoires en reviennent un peu car ce n’est pas simple d’apporter une véritable valeur au patient via l’application», renchérit Lambert Lacoste. Reste que les sites web peuvent aussi avoir une dimension pratique. Par exemple, «La vie autour» de Pfizer et l’Afsos (Association francophone des soins oncologiques de support) met à disposition une carte interactive permettant de repérer les associations offrant ce type de soins près de chez soi.

Une relation à trois avec les associations de patients

Les associations de patients sont un tiers devenu de plus en plus présent dans ce lien entre les laboratoires et les patients. Parfois mal considérées par le passé, elles sont désormais un peu plus souvent associées aux initiatives telles que les dispositifs d’information ou de suivi. Parmi les exemples récents figure le lancement par Sanofi, en juin 2019, de DiabVoyage, une application mobile d’aide à la gestion de son diabète lors de ses déplacements, en partenariat avec l’association World Diabetes Tour. Au sein des laboratoires, des directions de la relation patient sont en contact avec elles. «Les associations n’ont pas encore mené une réflexion approfondie sur ce qu’elles pouvaient représenter comme valeur, estime Gérard Raymond, président de France Assos Santé, instance de représentation des usagers de santé. Leur légitimité est dans le recueil des besoins des patients.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :