Le géant du luxe LVMH veut profiter lui aussi de la révolution induite par l’intelligence artificielle générative. Nouveaux usages, risques à éviter, outils privilégiés… L’un de ses spécialistes en interne détaille les pratiques du groupe en la matière.

Voilà plusieurs années que l’intelligence artificielle (IA) irrigue différents pans d’activité chez LVMH. Mais l’IA générative (GenAI) ouvre de nouvelles portes au géant du luxe. « C’est un sujet transformant que l’on prend au sérieux », pose Gonzague de Pirey, directeur omnicanal et data chez LVMH. Et l’expert de rappeler les risques associés à cette avancée, sur le droit, la propriété intellectuelle, la confidentialité, les coûts, la possible dispersion technologique. « Il y a aussi un enjeu sur la créativité. Nous avons ce risque en tant qu’entreprise très axée sur la création artistique, le produit, le design », complète-t-il. Par ailleurs, le sujet se pense dans une démarche globale, où « data, IA et GenAI » sont tous trois mis « au service du business », rappelle-t-il. « Nous nous donnons trois axes : une approche coordonnée au niveau du groupe, une approche responsable et humaine, une approche attentive aux aspects éthiques de l’utilisation de l’IA », poursuit Gonzague de Pirey.

Si l’IA « traditionnelle » est déjà largement présente chez LVMH (gestion des matières premières et des stocks en magasin, assistance aux conseillers clientèle, personnalisation sur les sites internet…), des usages complémentaires apparaissent aujourd’hui. Le domaine de la relation client est le premier concerné, avec l’utilisation de messages prérédigés ou davantage personnalisés, essentiellement au format texte même si de premières expérimentations avec de l’image ont eu lieu.

La technologie permet aussi de générer des images ou des vidéos marketing, d’optimiser les sites Web sur les volets description produit et search (l’IA comprenant le langage naturel) ou encore d’accompagner la création et le développement de produits. Mais sur ce volet, prudence : « l’idée n’est pas de remplacer les créateurs », souligne LVMH, mais de leur donner de nouveaux outils pour accompagner la démarche de création. Et Gonzague de Pirey de citer en exemple la possibilité de générer des créations 3D de pièces de joaillerie à partir d’un simple dessin, en s’appuyant sur BLNG, une start-up finaliste du LVMH Innovation Award 2024, remis le 23 mai (après le bouclage de Stratégies) à l’occasion du salon VivaTech (Paris, 22-25 mai). « En joaillerie, c’est un challenge énorme », assure-t-il. Là, le créateur est toujours celui qui réalise le dessin ou choisit l’allure globale ou les pierres du bijou.

Autre cas d’usage : la lutte contre les faux. C’est ce que propose l’application Entrupy avec une application repérant les copies de sacs de luxe à l’aide de photos de clients. « Soutenue par le groupe LVMH, l’application a donc accès aux bases de données de nombreuses maisons comme Hermès, Dior, ou Chanel par exemple ; cela lui permet de comparer avec les véritables sacs et de repérer facilement les contrefaçons », développe le Hub Institute dans une publication en ligne d’avril consacrée à l’intelligence artificielle générative dans la mode et le tourisme.

Côté publicité, « nos agences ou nous-mêmes sommes déjà assistés par l’IA générative par exemple pour la déclinaison des assets », précise Gonzague de Pirey. En toute logique, les grandes « maisons » (marques) dans chaque segment d’activité du groupe sont les plus engagées sur ce terrain. À l’instar de Bulgari pour la génération 3D ou de Louis Vuitton sur l’assistance client. Mais l’entreprise n’en est qu’au début de sa transformation en la matière. Il faut à présent « porter à l’échelle et déployer » dans les différentes marques, explique Gonzague de Pirey. En attendant, le site web The Journey permet de retrouver des exemples de réalisations du groupe dans la tech (tous domaines confondus).

Pour réussir, LVMH adopte une approche spécifique basée sur la collaboration : il codéveloppe des algorithmes avec ses maisons, avant de les packager et de les mettre en œuvre ailleurs au sein d’autres marques, selon les besoins et enjeux. La démarche implique aussi de l’accompagnement au changement. Face à la problématique de confidentialité, il a développé au premier semestre 2023 son propre outil, baptisé MaIA, une sorte de ChatGPT interne qui permet de ne pas confier à l’extérieur les données sensibles de l’entreprise. Ses collaborateurs ont pu se former à l’écriture de prompts. Enfin, il a, fin 2023, noué un partenariat avec le Stanford HAI (« Human-Centered Artificial Intelligence Institute») de la prestigieuse université de Stanford aux États-Unis. Objectif : explorer les applications de la technologie dans ses activités afin d’en tirer le meilleur parti. 

Où en est la mode avec l’IA générative ?

Si LVMH est à la pointe sur le sujet de l’intelligence artificielle générative, il est loin d’être le seul acteur du secteur de la mode à se pencher sur les potentialités de la technologie. La GenAI est aujourd’hui capable de créer des vêtements. Les marques The Kooples et Desigual, entre autres, se sont emparées de ce pouvoir pour proposer des collections conçues avec l’aide de l’IA. « Dans cette démarche, le client joue un rôle central : après avoir passé commande, il est invité à suivre le processus de production de son article. Desigual ne se contente donc pas d'utiliser l'IA pour optimiser la création de ses vêtements, mais offre également une immersion transparente et personnalisée dans l'atelier de fabrication », précise ‍The Hub Institute dans une publication thématique parue sur son site en avril. Avec l’IA, les Fashion Weeks se déploient aussi en virtuel. En avril 2023 s’est déroulée la première saison de « l’AI Fashion Week » où de jeunes créateurs ont utilisé des outils adéquats pour imaginer les tenues présentées en défilé. Une effervescence qui explique d’ailleurs la naissance de business associés. L’agence espagnole The Clueless promeut des mannequins et influenceurs virtuels nés de l’IA. 

Si les initiatives se multiplient, tout reste encore à faire. Selon une étude sur l’état de la mode en 2024 dévoilée par BoF (The Business of Fashion) et McKinsey & Company fin 2023, 73% des dirigeants de cette industrie ont déclaré que l'intelligence artificielle générative sera une priorité pour leurs entreprises en 2024. Mais, à ce jour, seulement 28% d’entre eux l'ont utilisée dans les processus créatifs pour la conception et le développement de produits, par exemple.

Lire aussi :