«J'ai mis ma nouvelle carte SIM dans mon portable et j'ai appelé cette fille. Ça marchait pas. Je suis sorti parce que, quand un truc marche pas, j'arrive pas à rester au même endroit. (...) Bref, j'ai pris un forfait à deux balles.» La parodie, sur le modèle de la mini-série quotidienne de Canal+ Bref, circule sur la Toile depuis le 24 mars. Cruelle pour Free Mobile, le nouvel agitateur des télécoms.
Depuis son arrivée en fanfare le 10 janvier dernier, l'opérateur accumule les déconvenues, entre cartes SIM non reçues, problèmes techniques et couverture 3G aléatoire par son réseau d'antennes, qui reporte ses abonnés sur le réseau Orange. Le 26 mars, l'UFC-Que choisir mettait en demeure l'opérateur d'informer et d'indemniser ses clients. Le 30 mars, Capital.fr révélait que 46% des appels émis entre 18h et 21h à Paris et Lyon échouent.
Ces problèmes techniques répétés, Free les a déjà connus il y a une dizaine d'années, lorsqu'il a lancé son offre ADSL. Et si le petit poucet des télécoms joue aujourd'hui profil bas, notamment vis à vis des médias, Xavier Niel, son patron, trace son chemin: Free Mobile compterait actuellement 2,2 millions de clients... selon ses concurrents. Orange et SFR ont perdu 200 000 abonnés chacun depuis son lancement, et Bouygues Telecom, 160 000, dont 134 000 au profit de Free. Victime colatérale de ce «succès»: la semaine dernière, Frank Esser quittait la tête de SFR, remplacé au pied levé par son actionnaire, Jean-Bernard Lévy, le président de Vivendi.
Fait sans précédent: ce nouvel entrant s'impose déjà comme challenger face aux «Big Three» Orange, SFR et Bouygues Telecom, loin devant les MVNO, les «opérateurs virtuels». Assurément, il a le don d'agacer ses rivaux. C'est que, en dix-huit mois, Xavier Niel les a obligés à tout revoir: discours de marque, prix, distribution, relation client...
Un positionnement de marque chahuté
Comment communiquer face à un nouvel entrant, en se présentant comme une valeur sûre mais innovante? Orange et Bouygues Telecom ont opté pour un discours disruptif avec leurs nouvelles marques Sosh et B & You, lancées dès juillet 2011 et concurrentes frontales de Free Mobile. «Ils ont plutôt bien communiqué, avec un positionnement assumé, alors que SFR avait une promesse peu tranchée avec son offre Red», estime un consultant. Avec, pour les deux, une campagne essentiellement Web, de brefs spots TV didactiques, accompagné pour B & You du sponsoring de l'émission The Voice.
Une stratégie payante en termes de notoriété. D'après une étude commandée par un cabinet de consulting, dont Stratégies a eu connaissance, Free Mobile arrive en tête, suivi par B & You, Sosh et le MVNO Virgin Mobile, Red arrivant en sixième position.
Du côté de leurs marques phares, les opérateurs ont privilégié des discours rassurants sur le service client et la solidité du réseau. Chez Orange, «nos fondamentaux sont la proximité par rapport aux clients, le service et la partie réseaux. En 2011, on a surtout communiqué sur l'offre Open, la fibre, notre offre Cinéday et le lancement de Sosh», résume Odile Roujol, directrice de la communication d'Orange France, qui collabore avec Publicis Conseil.
Pour SFR et son agence Leg, c'est la prime à la technologie et à la qualité du réseau. En juin 2011, pour le lancement de ses Formules carrées, les spots mettent en scène les griefs des clients «ordinaires» contre leur opérateur. «On part de vous et on change tout», assure alors l'opérateur. L'offre Red, elle, a été très discrètement mis en avant, sur le Web.
Bouygues Telecom, accompagné par DDB Paris, par le passé challenger poil à gratter, a dû, lui, réinventer son discours. «Depuis un an, on le voyait axer davantage sa communication sur les abonnements groupés, les prix», remarque Virginie Lazès, directrice associée chez Bryan Garnier.
A ces ajustements marketing s'est ajoutée, pour les Big Three, une campagne de lobbying, notamment en presse quotidienne. «Certains concurrents ont mené une forte campagne de RP. La grosse artillerie a été lancée pour décrédibiliser Free Mobile, sur ses problèmes techniques et son non-respect supposé de l'Arcep», souligne une consultante.
Mais déjà, pour 2012, tous se sont trouvés un nouveau cheval de bataille: le futur réseau 4G, promesse d'une connexion toujours plus rapide, le point faible de Free Mobile, qui n'a pas sa propre licence. La semaine dernière, les trois leaders annonçaient leurs propres tests 4G. Déjà, dans son spot «Marie Marin», SFR met en scène les usages concrets de la 4G.
Des offres prix en baisse
Xavier Niel a obligé les opérateurs à revoir leurs tarifs, en imposant ses règles, avec un forfait (presque) illimité, sans engagement de durée ni mobile inclus, à 19,99 euros par mois (15,99 euros pour les abonnés) et un forfait à 2 euros (60 SMS et 1 heure de forfait voix), réservé aux abonnés.
Les autres opérateurs, qui avaient déjà fourbi leurs armes, ont aussitôt adapté leurs offres proposées par leurs nouvelles marques low cost, Sosh et B & You, sans engagement et sans mobile inclus, comme chez Free Mobile, et uniquement en ligne. SFR s'est démarqué en lançant plus discrètement une nouvelle offre, Red. Résultats: 90 000 clients chez Sosh mi-février, 134 000 clients chez B & You et 100 000 chez Red.
Mais la vraie riposte prix est en train de se profiler sur les marques phares des opérateurs. SFR a annoncé lundi 2 avril une offre agressive: 14,90 euros par mois pour le triple play (TV, Internet, téléphone fixe) et 19,90 euros par mois pour le quadruple play (téléphone mobile inclus). Avec une vente flash à la clé, valable jusqu'au 6 avril, pour les 5 000 premiers clients.
Prochaine étape? «Les opérateurs observent les problèmes techniques de Free Mobile. S'il les résout, ils devront peut-être ajuster encore leurs prix. Ils préparent déjà une segmentation forte de leurs offres, selon la consommation de leurs clients», souligne Virginie Lazès.
Boutiques vs. Web
Free Mobile ne dispose pour l'instant que de trois boutiques physiques: un point faible potentiel que ses concurrents n'ont pas tardé à souligner. Pourtant, cette nouvelle stratégie de distribution sur le Web, bien plus économique, et revendiquée par Free Mobile, a aussi été adoptée par les nouvelles marques de Bouygues Telecom et Orange. B & You propose ainsi une liste de FAQ, une rubrique assistance sur son site et sa fanpage Facebook, où des conseillers répondent régulièrement aux questions. Néanmoins, pour installer sa marque, Orange avait ouvert en septembre 2011 quelques boutiques éphémères Sosh à Paris et en région.
Promesse renforcée sur la relation client
Rassurer le client et les prospects en communiquant à longueur de campagnes sur la qualité du service client, c'est ce qu'ont fait les opérateurs. Orange vante dans son spot de février dernier «Le service Orange – Satisfait quand vous l'êtes». Bouygues Télécom a décroché plusieurs fois le premier prix du Podium de la relation client, et SFR met en avant sa signature «Carrément vous», lancée en novembre 2010. D'ailleurs, la prochaine campagne de la filiale de Vivendi, prévue mi-avril, sera centrée sur l'accompagnement client. «Nous allons lancer des Services carrés, dans la lignée des Formules carrées, avec une quinzaine de services», révèle Anne Philippot, directrice publicité, médias et «brand management» de SFR.
Mais la fidélisation, telle que pratiquée aujourd'hui, est peut-être un outil marketing en perte de vitesse: «les programmes de fidélisation, avec les cumuls de points, les réductions sur un mobile, ne sont plus des éléments différenciants», souligne Carmine Muscariello, responsable du conseil en management et pour la relation client en télécoms chez Accenture. Au passage, cette nouvelle génération d'offres imposée par Free Mobile, sans durée d'engagement ni mobile, condamne peut-être bien ces outils de fidélisation.
Encadré
L'équation des emplois
L'arrivée de Free Mobile menace-t-elle des milliers d'emplois chez ses concurrents? C'est le chiffon rouge agité ces dernières semaines. Dans une analyse publiée le 13 février dernier, Les Echos soulignait la «schizophrénie française», l'attrait pour ces modèles low cost avec des revers: dématérialisation des points de vente, délocalisation de centres d'appels... Le 23 mars, le président de l'Autorité de régulation des télécommunications (Arcep), Jean-Ludovic Silicani, indiquait que jusqu'à 10 000 emplois dans le secteur de la relation client à distance seraient menacés, chiffre repris le 29 mars par le syndicat patronal des centres d'appel SP2C.