Dossier Les nouveaux pouvoirs: convaincre
Pour mobiliser des salariés moins engagés et qui peinent à croire au projet collectif, les entreprises ont besoin de managers plus légitimes.

Dans une période de défiance à l’égard des élites dirigeantes, s’interroger sur le pouvoir de convaincre revient à se poser la question de la légitimité des leaders. Or, «comme les citoyens vis-à-vis des politiques, les dernières enquêtes indiquent toutes un manque de confiance des salariés envers leurs dirigeants, souligne Hamid Bouchikhi, professeur au département management de l’Essec. La France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont les pays où ce sentiment est le plus fort, à l’inverse des pays nordiques, où le management est plus participatif et les effets de strates moins imposants dans les entreprises.»

Légitimité interne ou par expérience

Pour être écoutés, les leaders doivent donc être légitimes. Cela signifie qu’«ils ont mérité leur pouvoir parce qu’ils sont les créateurs de l’entreprise ou parce qu’ils y ont fait leurs classes, poursuit l’enseignant. Sauf qu’il y a peu d’organisations où les cadres, à l’instar des sociétés primitives qui envoient le jeune dans la jungle pour revenir en guerrier, vont chercher leurs galons.» Et davantage de groupes avec des dirigeants installés par le système de réseau, voire le statut d’héritier. Du côté des fondateurs, Xavier Niel (Iliad, Free…) représenterait bien l’exemple du leader légitime, «à qui personne ne conteste le pouvoir de mener sa barque». Un constat partagé par Vincent de la Vaissière, fondateur de V com V, agence qui publie une étude en alternance chaque année sur les patrons du CAC 40 et des organisations publiques. «Le fondateur de Free a cassé les codes, devenant le gourou des consommateurs et des geeks, explique-t-il. Le manager a même fait des émules, comme Sébastien Bazin, le patron d’Accor Hotels, qui s’est métamorphosé comme il a transformé son groupe depuis qu’il en a pris la présidence.» Du côté de ceux qui ont mouillé la chemise en interne avant de prendre la présidence, baptisés «les insiders» par Vincent de la Vaissière, celui-ci distingue Patrice Caine, le PDG de Thales, un pur produit du groupe. Ou encore «Jean-Paul Agon, le dirigeant de L’Oréal, un groupe dont on ne pourrait imaginer le président venant de l’extérieur», estime le dirigeant de V com V.  A défaut de tirer sa légitimité de l’interne, le leader peut toutefois s’appuyer sur celle que lui confère son expérience dans le secteur. «C’est le cas de Carlos Tavares, le président du groupe PSA et exemple même du «car guy», resté trente-deux ans chez Renault, cite Vincent de la Vaissière. Avec ses deux plans stratégiques “Back in the Race” et “Push to Pass”, il a redonné un sentiment de fierté aux salariés du groupe automobile.»

L'esprit start-up

Ces dirigeants ont surtout démontré une capacité à agir. «Le leader légitime est celui qui a le pouvoir de faire des choses, tandis que l’illégitime est celui qui a pris le pouvoir sur autrui, indique Hamid Bouchikhi. C’est dans un glissement du pouvoir d’agir vers le pouvoir sur autrui que se situe souvent le problème.» Pourtant, l’esprit start-up, où le caractère hiérarchique est moins prononcé, devient la tendance dominante. Mais «dans les sociétés avancées, le pouvoir est dans la sublimation, ce qui atténue son côté brutal, poursuit le professeur de l’Essec. Même si tout le monde comprend qui le détient, chacun fait comme s’il n’y avait pas de pouvoir, qui s’exprime ponctuellement dans les décisions importantes.»

Comment s’étonner, dès lors, que l’étude «Génération Y et travail», menée pour Manpower Group auprès de 19 000 jeunes de 25 pays entre février et avril 2016, ait montré que ces derniers privilégient dorénavant l’acquisition et le développement des compétences à des fonctions de management et de leadership. Plus que le pouvoir, cette génération préfère trouver dans l’entreprise ce qu’elle peut lui apporter pour assurer la sécurité de son parcours professionnel sur le long terme. Et «l’arrivée de la génération Z va imposer encore une évolution du management, estime Gaël Chatelain, consultant en entreprise. Surtout quand elle voit les parents se faire “dégager” du jour au lendemain.»

La question de l'autorité

Pour les structures qui veulent rester attractives, il s’agit donc d’adopter de nouveaux fonctionnements. «Il faut revoir le schéma pyramidal et plutôt s’approcher du mode gestion de projet, à la Google, conseille Gaël Chatelain. Car pour qu’une personne soit décisionnaire sur tout, elle doit être compétente pareillement.» Les organisations n’hésitent donc plus à mobiliser le collectif pour évoluer, comme Allianz avec son Innovathon. L’autre changement réside dans l’organisation de l’espace de travail, qui bouscule de plus en plus les schémas existants. Ipsos France a ainsi profité, en 2016, d’un bail qui arrivait à échéance pour revoir son environnement. Résultat: plus de bureau attribué pour chacun, encadrement et direction compris. Ce qui a provoqué «un niveau d’angoisse plus fort chez les “middle managers”, qui ont surtout un statut et peu de pouvoir en réalité, explique Dominique Lévy-Saragossi. La réorganisation a clairement posé la question de l’autorité, dans un métier où le leadership repose d’abord sur l’expertise et où la voix des stagiaires peut compter autant que celle des autres.» Quel que soit son bureau.

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