Au détour de trois films, Greenpeace France et son agence La Chose parodient, pour la bonne cause, la crise écologique. Derrière cette campagne, l’association adopte une nouvelle stratégie, celle de fédérer de nouveaux publics mais aussi de changer radicalement de cap pour répondre aux défis climatiques et environnementaux.

Entre les tremblements de terre, les cyclones et les éruptions volcaniques, difficile de ne pas se sentir submergés. Un terme a d’ailleurs été inventé pour qualifier cet état, l’éco-anxiété. Plutôt que de montrer la crise écologique comme au JT de 20 heures, l’association Greenpeace France et son agence La Chose ont sorti une campagne de sensibilisation teintée d’autodérision avec un brin d’optimisme. Pour ce faire, en juin 2023, l'ONG lance un appel d’offres avec à la clé, sa prochaine campagne institutionnelle. Grâce à son idée de lier l’absurde à la réalité des faits, l’agence La Chose obtient l’unanimité dans l’assemblée : « Initialement, nous avions proposé cinq films, tous liés à des catastrophes écologiques. Lors de la présentation, tout le monde a souri, il n’y a pas eu cette froideur qu’il peut y avoir lors des pitchs. Mais pour des questions budgétaires, deux ont été retirés de la liste finale dont un qui s’intitulait "The Last Pigeon" », s'amuse à conter Charles Flamand, directeur de création chez La Chose.

Face au coucher de soleil, un couple batifole, s’enlace et s’embrasse sur la plage. Le scénario parfait d’un film romantique. Seulement, la scène est à contre-jour, il suffit que la caméra change de point de vue pour comprendre que ce couple est en fait recouvert de mazout, en lien avec le titre du film « Total Love ». Absurde, pas vrai ? Pas totalement, selon l’agence : « On se souvient tous des marées noires en Bretagne ! Nous avons simplement repris un fait qui nous a marqués et nous l’avons monté en épingle », appuie Charles Flamand. Ainsi, au travers de trois films chocs, trois scénarios du pire – « Total Love » revient sur notre addiction aux énergies fossiles, « Plastic Attack » sur la surconsommation de plastique et « Death Forestation » sur la déforestation –, l’agence aborde des sujets écologiques inspirés de faits réels et invite à changer le scénario. Ces courts métrages de 20 à 30 secondes sont accompagnés d’une signature, « Changeons le scénario », pour différentes raisons : « Le terme de "scénario" est utilisé par le Giec et n’a pas encore été préempté par d’autres ONG. C’est également un terme qui nous renvoie au monde du cinéma, ce sont trois scénarios du pire », creuse le directeur de création.

Petits moyens, grande cause

Historiquement, l’association Greenpeace est connue pour ses prises de parole fortes et son humour noir. Mais ces cinq dernières années, elle a peut-être été un peu noyée dans la masse. « Créée il y a plus de 50 ans, Greenpeace est l'une des ONG les plus anciennes. Même s’il n’y a pas de rapport de compétition entre les différentes ONG. Dernièrement, il y en a eu une floraison dont certaines se font plus entendre que d’autres, de par leur radicalité. L’écologie est au cœur du débat, de plus en plus d’acteurs en parlent, c’est pourquoi nous nous sommes posés afin de redéfinir le rôle de Greenpeace et par la même occasion acquérir plus de visibilité », explique Charles Flamand.

Malgré un budget serré et par conséquent des moyens limités, l’agence, pour l’occasion également boîte de production, a décuplé ses efforts créatifs pour sortir une campagne digne des grosses productions. Dans son carnet d’adresses, elle avait le réalisateur Alexandre Courtes, à l’origine de la série Au service de la France. Également à l’œuvre pour le choix du casting, elle a misé sur des références issues du milieu du cinéma plutôt que de la pub. « Le sujet de l’"acting" était important. Avec un format aussi court, il faut comprendre très vite le sujet, d’où notre sélection de comédiens de théâtre et de cinéma. En revanche, nos effets spéciaux sont très artisanaux », dévoile Gloria Amzallag, directrice de clientèle chez La Chose. « Après des dizaines de tests, nous avons trouvé un faux pétrole à la texture parfaite, réalisé à partir de produits écologiques, non toxique pour les acteurs. Pour réaliser la scène de la bouée flamand rose qui engloutit notre comédien, cinq personnes étaient en apnée dans la piscine pour le tirer. Toujours dans ce film, pour faire voler le sac plastique de manière bien nette, nous avons trouvé une énorme canne à pêche pour le manier. Évidemment, pour le tournage du film sur la déforestation, nous tenons à préciser qu’aucun arbre n’a été maltraité, ce sont des arbres récupérés en déchèterie. » Si l’image est largement maîtrisée, la bande-son l’est tout autant. L’agence a fait le choix du compositeur indépendant Solal Tong-Cuong et du studio Gum pour proposer une composition originale dans chaque film. Elle reprend les codes des films de genre et fait la transition au moment où les datas arrivent sur l’écran, venant appuyer la gravité des faits.

Formats social media

Toujours dans une logique d’économie et d’écoresponsabilité, le tournage a eu lieu dans le sud-ouest de la France, à Hossegor, où les trois films ont été tournés en deux jours, fin septembre. « C’était très intense, nous étions 35 sur le set et tout le monde a volontairement mis la main à la pâte, même les clients », rapporte Gloria Amzallag. Derrière tous ces partis pris, il y a évidemment une volonté de créer de la viralité et d’engager la conversation. Les bureaux internationaux de Greenpeace pourraient d’ailleurs reprendre les films. En effet, avec ce format 20 secondes, cette campagne est « réseau social friendly » et donc très facile à relayer. À l’heure actuelle, « Total Love » est le film qui rencontre le plus gros succès sur les réseaux. La rédaction avoue également avoir un petit faible pour cette rom-com noire. Et pour tirer le fil de la confidence, l’agence nous révèle qu’elle rêvait secrètement depuis un moment de travailler avec l’association. En plus d’adhérer à ses idées, La Chose a reçu de la part de l’association une liberté créative totale et cette possibilité de prendre parti. Une aubaine dans ce milieu où la communication est parfois cloisonnée.