La santé, comme d’autres secteurs d’activité, possède aussi son pool d’influenceurs. Ils forment un écosystème essentiel pour l’information et la sensibilisation, bien que des efforts de régulation récents visent à corriger certaines dérives.
« C’est une dinguerie, Unicity, ils ont quelque chose qui guérit les cellules cancérugeuses. […] Si on a des cellules cancérugeuses dans notre corps, ce produit-là les tue (sic). » En novembre 2022, le candidat de téléréalité Dylan Thiry, 1,7 million d’abonnés sur Instagram, choquait l’opinion publique et les médias en faisant la promotion de compléments alimentaires censés guérir du cancer. Des sorties de route comme celle-ci illustrent la nécessité de réglementer et de superviser les discours dans le monde de la santé et de la médecine. Le 9 juin 2023, la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux était adoptée par le parlement. Cette loi s’applique aux produits de santé entendus au sens large (médicaments, dispositifs médicaux, compléments alimentaires…) dont les influenceurs font régulièrement la promotion sans respecter les règles pourtant très contraignantes en la matière. « La nouvelle loi sur les influenceurs santé est une extension des réglementations existantes en France. Elle vise à garantir qu'ils ne fournissent pas d’informations erronées ou trompeuses au public », observe Morgane Morey, avocate spécialisée en droit de la santé chez LPA-CGR avocats [lire encadré].
Les médias sociaux ont radicalement changé la manière dont nous consommons de l’information, y compris en matière de santé. L’origine des « influenceurs santé » en France, qu’ils soient des patients experts ou des professionnels de la santé, trouve ses racines dans les blogs. Des patients comme Catherine Cerisey, pionnière dans le partage de son expérience de vie avec le cancer du sein, ont commencé à ouvrir la voie. Avec l’essor des réseaux sociaux, ces conversations se sont propagées sur des plateformes telles que Facebook, Instagram et YouTube. « Les influenceurs santé ont permis de briser les tabous et d’établir une communauté de soutien pour de nombreuses personnes confrontées à des maladies chroniques et des problèmes de santé. Leur capacité à partager des expériences personnelles, à fournir des informations précieuses et à offrir un soutien émotionnel authentique a permis de donner de la visibilité à des questions de santé qui étaient autrefois ignorées ou traitées en silence », assure David Réguer, fondateur et CEO de RCA Factory, agence spécialisée dans le secteur de la santé, à l’origine de l’événement Influence For Health, créé en 2018.
Les influenceurs santé abordent des sujets autrefois inabordables, levant les tabous autour de nombreuses maladies, comme l’endométriose, les parcours PMA, la santé mentale, les handicaps visibles et invisibles, les cancers… Ils ont rendu concret le quotidien de personnes auparavant cachées. Des figures emblématiques ont émergé comme Roro le Costaud, pompier tétraplégique qui s’est fait le porte-parole des personnes en situation de handicap ; Alice (@alice_deto), autrice engagée dans la lutte contre le cancer du sein ; Abigaël (@voyageuse_au_naturel), qui s’efforce de déstigmatiser les troubles psychologiques ; Kevy (@pitchistomie), qui apporte son soutien aux personnes atteintes de maladies intestinales inflammatoires ; Yann (@yann_favelas), qui canalise son handicap pour viser les Jeux paralympiques de Paris 2024, etc. Les influenceurs dits « professionnels de santé » ne sont pas en reste non plus. De plus en plus de médecins, des infirmiers(-ères) et même des pharmacien(ne)s ont commencé à partager leurs connaissances et leur expérience sur des sujets de santé. Citons Delphine (@psynergy_delphinepy), psychologue qui dédramatise la psychothérapie ; Charlotte (@lalottes), infirmière aux urgences et maman de cinq enfants qui partage son quotidien ou encore Allan (@la.vie.en.pharmacie), pharmacien le jour, dessinateur la nuit, qui commente l’actualité pharmaceutique avec humour. « Pendant la pandémie de Covid-19, TikTok est devenu un moyen important de partager des informations, montrant les coulisses des hôpitaux et les défis auxquels sont confrontés les travailleurs de la santé », rappelle David Réguer.
Des mesures bienvenues
Le secteur de la santé n’était pas initialement préparé à travailler avec des influenceurs, souvent associés à des domaines tels que la mode, la beauté, le voyage, la cuisine, etc. Pourtant, leur capacité à créer un engagement authentique avec leur audience les rend précieux pour les marques et les organisations. Dans le domaine de la santé, ils sont utiles pour faire de la sensibilisation, fournir des informations, se faire porte-parole d’une cause, etc. Cette émergence des influenceurs santé a incité les autorités à prendre des mesures pour réglementer leur activité. « Les influenceurs n’ont généralement pas la formation ni l’équipe technique et juridique nécessaire pour naviguer dans les subtilités de la réglementation en matière de publicité de produits de santé. La frontière entre partager son expérience personnelle et exercice illégal de la médecine peut être poreuse, ce qui rend essentiel de faire preuve d’une vigilance accrue. Dans de nombreux cas, les entreprises disposent de services juridiques spécialisés pour s’assurer de la conformité de leurs communications en matière de santé, mais il est tout aussi important que les influenceurs aient une connaissance approfondie de ces réglementations, souvent par le biais de leurs agences », indique Morgane Morey. Pour les influenceurs et les entreprises de santé, la conformité aux nouvelles réglementations est essentielle pour minimiser les risques juridiques. Il est devenu crucial de s’informer sur les lois en vigueur et d’agir en conséquence. Cela contribuera à maintenir une relation saine entre les influenceurs santé et les entreprises de santé, tout en veillant à ce que le public reçoive des informations précises et fiables en la matière.
Que dit la loi ?
Concernant les produits de santé, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, interdit aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, des actes, des procédés, des techniques et des méthodes à visée esthétique mentionnés à l’article L. 1151-2 du code de la santé publique et des interventions mentionnées à l’article L. 6322-1 du même code.
De plus, elle interdit toute promotion, directe ou indirecte, de produits, d’actes, de procédés, de techniques et de méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques.
La violation de ces dispositions est punie de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Cette loi a pour objectif de protéger les influenceurs ainsi que les consommateurs et de mieux lutter contre certaines dérives et arnaques constatées.