Chaque mois, Philippe Pioli-Lesesvre, directeur de création chez The Good Company, livre son point de vue dans la chronique Good news - Un monde en transition, c’est toujours une bonne nouvelle. Il s'intéresse aujourd'hui au sujet de la diversité dans la publicité.
Nul doute qu’une bonne part d’entre vous a déjà traité ce sujet dans le très sérieux exercice de ses fonctions. Nul doute également que nous avons presque tous à cœur de bien faire. Et je vais le dire tout de suite, ça se voit. C’est le but d’ailleurs que ça se voit, que soient représentés dans nos contenus tous les visages de notre société. Une plus large représentation de la population n’est pas seulement salutaire et morale d’un point de vue sociétal, c’est aussi (excusez le cynisme) une obligation commerciale. Serait-il avisé de cacher toute une partie des consommateurs ?
Les agences et les annonceurs veulent bien faire et je crois que c’est le sens naturel des choses, que la diversité de notre pays s’affiche dans nos représentations. Comme beaucoup de sujets, cela génère des débats où sont avancés des arguments plus ou moins heureux. Pour certains, on n'en fait pas assez, il faut pousser, en faire plus ! Pour d’autres, c’est une dérive, on en fait trop, on politise notre métier. C'est un débat, je suppose, inévitable, mais peut-être vain tant le sens de l’histoire, une fois de plus, apportera une réponse définitive.
Ici, comme à mon habitude, je vous propose un chemin de traverse. La diversité, c’est bien, montrer la réalité telle qu’elle est, aussi. Mais est-ce nécessairement notre rôle ? Sommes-nous devenus le département créatif de l’Insee ? N’avez-vous jamais eu l’impression que de plus en plus de films publicitaires ressemblent à une mise en image d’un recensement national ? Pensez à tous les films vignettes qui nous disent : «Elle, c’est Sophie… Lui, c’est Karim, lui, François...» On veille à bien montrer tout le monde, on compte les couleurs, on équilibre, on coche des cases. Intention louable, bonne même, mais je vous avoue que certaines réunions de casting m’ont drôlement gêné.
Verbatims qui peuvent choquer
Il y a quelque chose de décontenançant à compter les minorités, à faire de la statistique ethnique (celle-là même que notre universalisme est censé réprouver). Je vous assure que décontextualisés, certains verbatims de ces réunions pourraient choquer. «On a assez de maghrébins ? Il manque une asiatique, non ? Et elle, fait-elle assez noire ?» Ces phrases sont prononcées avec une intention que je crois véritablement bonne, seulement voilà, les bonnes intentions, l’enfer en est pavé, n’est-ce pas ?
En résumé, la diversité dans nos publicités progresse, et c’est bien, continuons. Mais une autre diversité régresse, je m’explique. Un argument est souvent avancé : nos pubs doivent montrer la France telle qu’elle est. On nous demande de montrer la «vie», de montrer le «quotidien», la «réalité». Mais doit-on ne produire que des contenus que n’importe quelle fenêtre ouverte sur une rue peut offrir ? Pourquoi une famille recomposée et ethniquement mixte vendrait-elle mieux une lessive que des animaux qui parlent ? Un couple est en voiture ; aujourd’hui, le réflexe est de mettre la femme au volant, très bien, mais pourquoi serait-elle humaine ? Pourquoi pas extraterrestre ? Les gens ont-ils besoin de se voir dans une publicité pour s’y reconnaître ? Eh bien je crois que pas du tout.
Diversité de nos idées
Imaginez la scène suivante : un papa caméléon est en voiture avec son fils ado. La voiture s’arrête à un feu et le fiston voit passer la fille caméléon dont il est amoureux au lycée. D’un coup, il prend les couleurs du siège auto pour se camoufler et ne pas être vu. Des milliards d’êtres humains peuvent comprendre cette scène et aucun d’entre-eux n’est un caméléon. C’est une scène tout à fait quotidienne. Le fils a honte d’être vu avec son père, ou bien cette fille lui fait peur parce qu’à son âge, c’est compliqué d’assumer ses sentiments. Bref, c’est classique, c’est quotidien, et la couleur des personnage n'est pas un sujet politique mais une astuce dramaturgique.
Alors bien sûr, l’ado peut être amoureux d’un garçon caméléon, ou d’une fille libellule, qu’importe ! Ne nous intéressons pas uniquement à notre apparence, mais plutôt à nos désirs, les coeurs dont ils sont issus sont uniformément rouges, peu importe la couleur des corps qui les contiennent. Les films vignettes qui dépeignent la société, c’est bien (et croyez-moi, j’en ai écrit un paquet). Mais si je crois que c’est en partie vain et peut-être même prétentieux de vouloir montrer exactement une réalité qu’on ne peut qu’enclaver dans une représentation, j’aimerais (et je ne pense pas être le seul) qu’on reviennent à un peu plus de folie, d’imagination, de bizzarerie.
Qu’on ne montre pas que la réalité prosaïque, mais qu’on étale notre créativité en montrant des robots farceurs, des esprits curieux, des plantes bavardes, des étoiles qui pensent, ou pourquoi pas des lampes qui ont des sentiments. Autrement dit, la diversité doit encore progresser, celle des casting bien sûr, mais aussi celle de nos idées.