Comment se porte DDB ?
Nous opérons dans près de 100 pays à travers le monde avec environ 200 agences. Le réseau se porte bien, comme le prouve le fait d’avoir été consacré deuxième network de l’année à Cannes en 2019 pour la première fois depuis neuf ans, après avoir été troisième en 2018. DDB Paris a joué un rôle important dans ce résultat [avec 8 Lions dont un Or], mais plus largement nous disposons d’agences performantes dans de nombreuses régions du globe, que ce soit en Nouvelle-Zélande, à Sydney, en Inde, à Chicago, à Londres, au Brésil…
Des implantations sur de nouveaux marchés sont-elles à l’étude ?
Nous nous concentrons sur notre croissance organique et le développement des agences existantes. L’Inde est une bonne illustration de cette stratégie avec désormais 850 personnes y travaillant ou encore l’acquisition d’une agence digitale nommée 22 Feet il y a quelques années, en 2014. Nous disposons d’un large panel d’expertises et d’une présence à Delhi, Mumbai et Bangalore, ainsi que d’un portefeuille de clients globaux – McDonald’s, Volkswagen… – et locaux. Notre mission consiste à les aider à se développer car c’est un cercle vertueux : plus vous faites du bon travail pour vos clients et plus vous avez d’opportunités de développer votre business.
En quoi consiste précisément votre rôle ?
DDB a 70 ans cette année, depuis sa création par Maxwell Dane, Ned Doyle et Bill Bernbach, donc mon rôle est de tout faire pour que l’agence soit encore là dans 70 ans !
Diriez-vous que la publicité représente encore le cœur de métier de DDB aujourd’hui ?
En effet, même si cela repose sur ce qu’on entend par publicité. Ce concept a tellement évolué qu’aujourd’hui, avec les plateformes et les touchpoints disponibles, il faut aborder la question différemment. Le marché a créé des attentes et les marques doivent composer avec une audience qui vit dans l’immédiateté. Pour moi, la publicité, c’est aider une marque ou une société à engager les consommateurs afin de créer des résultats, que ce soit au niveau des ventes, de la croissance, du chiffre d’affaires… Les consommateurs sont plus difficiles à atteindre, plus occupés que jamais, donc nous devons penser à tout ce qui permet de retenir l’attention et de créer l’engagement. Comment capter cette attention ? La publicité traditionnelle peut être un moyen adapté, mais il n’y a pas de difficultés à envisager des solutions différentes tant que c’est couronné de succès, comme par exemple la création d’une marketplace. Il faut avoir une vision multidimensionnelle.
Adam&Eve DDB est unanimement reconnue comme l’une des agences les plus créatives en Europe et dans le monde. L’objectif est-il de renforcer encore la réputation de DDB Paris dans ce domaine ?
Adam&Eve est une agence exceptionnelle mais cela ne sert à rien de faire des comparaisons dans la mesure où DDB Paris a également remporté beaucoup de Lions ces dernières années. Il est clair que la meilleure chose qui existe pour nos équipes, c’est de gagner des prix. C’est un motif de fierté interne qu’il faut préserver pour prolonger le momentum que nous avons réussi à créer sur le marché. Cette reconnaissance nous donne des avantages indéniables vis-à-vis de la concurrence.
Le marché publicitaire, aux États-Unis mais surtout en Europe, connait une croissance modeste après un âge d’or. Quelles sont les solutions stratégiques pour composer avec un tel environnement ?
La clé est d’écouter et de comprendre le consommateur pour en faire bénéficier le client. Nous sommes fixés sur cette stratégie et même si une idée extrêmement séduisante sur le papier ne répond pas à ces attentes, elle n’a aucune chance de voir le jour. Il faut y penser constamment.
Le salut de la publicité passe-t-il par l’excellence créative ?
Le consommateur moyen est confronté à 6000 messages de marque tous les jours d’après les chiffres qui émanent d’études récentes. Je ne connais pas un consommateur à travers le monde qui veuille plus de contenus, de messages ou de publicités. Ce dont il a besoin en revanche, c’est d’une publicité qui apporte de la valeur, qui crée une émotion. La valeur ajoutée d’une marque, c’est le storytelling, l’émotion que cela véhicule et tout ça à un niveau élevé.
La notion de créativité n’est-elle pas aujourd’hui largement galvaudée, à l’image de la multitude d’awards distribués aux quatre coins du globe ?
L’industrie aime bien s’autocongratuler, certes. Mais le travail que nous faisons est jugé par nos pairs, ce qui est très important ! Je ne crois pas que la notion de créativité soit galvaudée puisque cela reste la force majeure d’une agence sur le marché. Et si la créativité était réellement surexploitée, ce serait une bonne chose pour nous, cela nous ferait plus de demande et de travail. Peut-être faudrait-il être plus critique concernant ce qui est créatif et ce qui ne l’est pas. Mais ce qui est sûr, c’est que la créativité doit devenir un standard.
La créativité, contrairement aux KPI’s, ne peut se mesurer empiriquement. Cela signifie-t-il qu’une approche axée sur les résultats et la performance est vouée à se généraliser ?
L’environnement macroéconomique est sous pression en permanence avec l’innovation et la disruption. Les clients veulent comprendre à quoi servent leurs investissements et ce qu’ils engendrent. Mais je ne pense pas que cette tendance aille nécessairement à l’encontre de la créativité. Je suis au board des Effie donc je suis bien placée pour savoir ce qu’il en est. Se fier à un deux ou indicateurs n’est en aucun cas un problème, c’est même totalement légitime. Devoir se conformer à dix ou douze est une autre histoire ! Cette obsession pour la mesure s’explique aussi par l’accès à la data dont nous bénéficions aujourd’hui et les possibilités que cela offre en temps réel.
Faut-il s’attendre à une profonde restructuration du secteur dans les années à venir ?
Je m’attends plus à une recomposition des acteurs existants qu’à leur disparition ou leur remplacement. De la même manière que des acteurs majeurs restructurent leur business – on pourrait citer le cas de McDonald’s pour qui le service Delivery est devenu en seulement quelques années une part importante du revenu –, cela modifie substantiellement notre activité, notre organisation et la façon dont nous communiquons. DDB monde, c’est 65% de millennials ou de salariés plus jeunes. Pour ces générations, les choses sont changeantes, fluides et organiques. C’est assez naturel finalement.
Quelle analyse faites-vous de la montée en puissance des acteurs du conseil sur le terrain des agences de communication ?
Si une entreprise comme Accenture connaît une réussite telle, si elle investit autant de millions de dollars dans l’acquisition d’une agence comme Droga5 par exemple, je pense que c’est un gage de confiance énorme pour l’avenir des agences créatives. Ils ont choisi d’investir dans la créativité, c’est un signal fort, le signe que notre industrie crée de la valeur.
Quel regard portez-vous sur les Gafa ?
Nous ne parlons pas de Gafa et encore moins de Gafam aux États-Unis. Nous travaillons beaucoup avec ces acteurs qui comptent énormément et qui engagent les consommateurs de manière différente. Sont-ils des concurrents ? Oui ? Sont-ils des partenaires ? Oui également. Ce qui compte, c’est de savoir où se situe la frontière entre partenariat et compétition. Mais se tenir éloigné de ces acteurs serait une hérésie.
Les marques n’ont jamais été aussi fortes. Qu’implique cette nouvelle donne ?
C’est une bonne nouvelle pour une agence comme DDB. Nous voulons travailler avec des marques fortes qui ont une vision claire et réfléchie de ce qu’elles veulent faire. Quant au risque de voir ces marques recourir à l’in-housing au détriment des agences, il faut garder à l’esprit que nous travaillons déjà étroitement avec ces structures. Que ce soit très clair, la soft skill du futur est la collaboration.
Unilever a laissé entendre que certaines marques (Magnum, Noodle…), même profitables, pourraient disparaître en raison de leur déficit éthique. Simple effet d’annonce ? Ou réalité à laquelle il va falloir s’habituer ?
Un bon management de marque, c’est comprendre le marché, le consommateur, votre portfolio et vous organiser en fonction de ces tendances. C’est ce que fait Unilever depuis toujours, d’où sa place dans le paysage ! Le meilleur exemple qui existe à mes yeux, c’est Coca-Cola qui a su être à l’écoute des tendances consommateurs et qui a vu venir la montée des boissons non-gazeuses, des eaux, des boissons à base de thé, des boissons énergisantes, des jus de fruits et même des produits à base de lait. Nous avons construit de nouvelles marques de manière organique et le business s’est déporté rapidement des boissons gazeuses vers les boissons non-gazeuses. Vous n’avez pas le choix en réalité, les goûts des consommateurs changent et cela fait partie du business. Il y a dix ans, le direct-to-consumer n’en était qu’à ses prémices. Ces canaux ont ouvert des perspectives neuves pour les entreprises de la grande distribution. Dans le même temps, la question de la responsabilité des entreprises est devenue centrale. Il existe un mouvement global et je ne connais pas une marque qui n’aille pas aujourd’hui dans cette direction.
En tant que femme et dirigeante d’un réseau mondial comme DDB, n’avez-vous pas la sensation d’être un cas à part ? Un symbole malgré vous ? Et cela implique-t-il un devoir d’exemplarité ?
On me pose très souvent cette question. Je comprends la part de responsabilité qui peut accompagner ce statut et je suis heureuse d’embrasser cette cause. Mais si ce symbole ne permet pas de faire des émules, nous aurons perdu, moi y compris. Et cela ne peut pas venir d’une seule personne, il faut un mouvement collectif. On a coutume de dire : «Vous ne pouvez pas être ce que vous ne voyez pas». C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de plus de femmes avec des fonctions à responsabilité au sein des organisations.
Pourquoi avoir changé de camp et être passée de Coca-Cola à DDB ?
C’est une bonne question. L’opportunité s’est présentée et pour être juste, au départ, j’étais loin d’être emballée. S’en est suivi un processus de recrutement qui a duré un an avec un dialogue très transparent, notamment sur les informations financières et le business model de DDB. J’ai une réelle affection pour DDB [Wendy Clark y a commencé comme réceptionniste avant de bifurquer vers d’autres horizons] et ce que Bill Bernbach a construit. Ce n’était pas nécessairement le meilleur moment lorsque je suis arrivé à la tête de DDB aux États-Unis, début 2016. Mais outre le challenge, difficile à refuser, ce n’était pas possible d’être oublié sur son marché originel. Pour quelqu’un qui aime la publicité, cette idée est choquante ! Moi, j’aime faire des puzzles. Tout ce dont avait besoin était ici, il fallait simplement l’articuler autrement. Près de 75% des équipes dirigeantes ont été changées aux États-Unis et DDB Chicago a été notre agence la plus récompensée à Cannes cette année. Lorsque j’ai pris les commandes, la première année, c’était zéro Lion ! Il fallait restaurer la réputation de l’agence sur le marché américain dans un premier temps. Vous ne pouvez pas être un réseau fort sans être un acteur majeur en Amérique du Nord. Cela bénéficie à l’ensemble du réseau et aux agences qui faisaient par ailleurs déjà du bon travail.
Quelle analyse faites-vous de l’évolution contemporaine des rapports entre les deux parties ?
Je suis bilingue, si l’on peut parler ainsi, car je pratique le langage du client et celui de l’agence. J’ai occupé des fonctions importantes [notamment présidente sparkling brands&strategic marketing de 2014 à 2016] au sein d’un groupe comme Coca-Cola, cela m’aide à comprendre la pression qui est la leur, les problématiques des entreprises cotées, les résultats financiers tous les 90 jours… La confiance est primordiale. C’est comme vous et moi, c’est la première fois qu’on se voit donc on ne peut pas se faire confiance. Mais avec le temps, la confiance se construit et peut mener à faire de grandes choses.