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Monument de la publicité au Japon, l’agence Dentsu subit la crise de son marché intérieur. Malgré des échecs passés et un modèle très particulier difficilement exportable, elle compte bien réussir à l’étranger.

À Tokyo, dans les ascenseurs de la tour Dentsu, la montée et la descente des 47 étages sont extrêmement rapides. À tel point que les sensations auditives se rapprochent de celles d'un atterrissage et d'un décollage en avion. «La vitesse a été réduite à la demande de certains employés, qui en supportaient mal les effets», explique Shusaku Kannan, chargé de communication de l'agence de publicité japonaise. Conçu en forme de boomerang par l'architecte français Jean Nouvel, le siège de Dentsu est situé dans le quartier de Shiodome, non loin de celui de Ginza, le plus cher de Tokyo avec ses loyers à 72000 euros le m² et ses innombrables boutiques de luxe. En Occident, Dentsu est souvent connu pour sa toute-puissance en matière d'achat d'espace, en particulier en TV (lire l'encadré).

Juste après les grands réseaux de la publicité mondiale (WPP, Omnicom, Interpublic et Publicis Groupe), Dentsu, entreprise cotée à la Bourse de Tokyo, est la première agence indépendante du monde, selon le dernier classement de l'hebdomadaire américain Advertising Age.

«Les agences de publicité japonaises sont d'extraordinaires machines de médias, du type "pré-loi Sapin", qui achètent à l'avance et à l'année les meilleurs emplacements, analyse Bertrand Siguier, conseiller spécial du président de Publicis Groupe, Maurice Lévy, et chargé de l'alliance avec Dentsu. Imaginez qu'une agence française possède la dernière de couverture d'Elle à l'année!»

Spécialiste du film publicitaire, Dentsu soutient financièrement la création de nouvelles chaînes TV japonaises. À l'heure où la cession de la régie France Télévisions Publicité au consortium Publicis-Financière Lov pose question, le pays du Soleil levant se montre moins complexé en matière d'intégration.

Cloisonnement par ascenseurs

Directeur de la société Go To Japan, spécialisée dans les problématiques marketing du marché japonais, Philippe Pamart a travaillé pour Dentsu en 1992 dans le cadre d'un ambitieux projet de complexe commercial à Omiya, au nord de Tokyo. «Dentsu était impliqué très en amont, car il convoitait la gestion de la régie publicitaire de ce centre multiactivités, raconte-t-il. Dans un contexte japonais, le promoteur était redevable.»

Mais Dentsu ne se réduit pas à une centrale d'achat d'espace, comme le montrent ses innovations en téléphonie mobile (lire en page 15). Née de la séparation en 1936 de Japan Telegraphic Communication en deux sociétés (l'une de médias, l'autre de publicité), Dentsu ne renonce à rien, de l'événementiel sportif aux marketing services en passant par les relations publiques. «Quand un annonceur nous demande une prestation, nous ne refusons jamais, quel que soit le domaine de la publicité», note, dans un mélange d'anglais chantant et de japonais, Takeshi Mori, chargé des relations avec les investisseurs.

Ce dernier reçoit dans la grande salle de réunion du 44e étage, auquel on accède après une élévation éclair dans l'un des 74 ascenseurs du bâtiment. Ce nombre permet de cloisonner les équipes travaillant pour des annonceurs concurrents: impossible d'emprunter l'ascenseur Toyota lorsque l'on planche pour la prochaine campagne Nissan.

Au bout de l'immense table en bois, la salle de réunion des directeurs offre une vue imprenable sur la baie de Tokyo et le parc de la famille impériale. Aux murs sont accrochés les portraits des présidents successifs de Dentsu, dont l'emblématique Hideo Yoshida, surnommé «l'ogre de la publicité» et célébrité du Japon des années 1950.

Mais ce géant arrive à un tournant de son histoire. Il souffre de la crise économique et de perspectives incertaines dues à la baisse annoncée de la population de l'archipel (de 127,2 millions en 2009 à 101,7 en 2050, selon l'ONU), ce qui l'amène, un peu contre-nature, à se mondialiser pour compenser l'atrophie de son marché intérieur. Un mouvement déjà amorcé par un accord noué en 2002 avec Publicis. L'agence japonaise possède en effet 14,52% du capital de Publicis Groupe – ce qui en fait le deuxième actionnaire derrière Élisabeth Badinter –, mais ce partenariat décennal arrivera à son terme en 2012.

Marché mature et saturé

Ultra-dominatrice sur son île, Dentsu cherche à se créer un destin international. Sans regarder à la dépense. Ainsi, elle a racheté récemment deux enseignes américaines, Innovation Interactive en janvier 2010 et McGarry Bowen en 2008, sacrée agence américaine de l'année 2009 par Advertising Age.

L'acquisition d'Innovation Interactive peut s'interpréter en creux par l'échec du rachat du réseau Razorfish, soufflé par les amis de Publicis, malgré une offre financière supérieure (lire Stratégies n°1554). «La force commerciale de Publicis a été l'argument décisif», analyse Bertrand Siguier. Ces récentes acquisitions et cette rivalité occasionnelle font planer un doute sur la reconduction du partenariat entre Publicis et Dentsu. «Nous réfléchissons sur la suite à donner à cet accord, mais nous n'avons pris aucune décision pour l'heure», assure Takeshi Mori.

Du côté de Publicis, on indique qu'il ne se passera rien d'ici à 2012. «Nous sommes un peu frustrés par le partenariat, regrette Bertrand Siguier. Nous leur avons permis de décrocher le budget HP (l'un de nos clients) au Japon, mais nous n'avons pas obtenu de contrepartie à la mesure.»

Chez Dentsu, l'accord avec Publicis fédérerait des opposants, déjà refroidis par l'échec du rachat à prix d'or de l'agence britannique Collett Dickenson Pearce dans les années 1990. Takeshi Mori explique ces échecs par le contexte de l'époque: «Sur la vague de l'expansion sans fin du marché japonais des années 1970 et 1980, nous étions trop occupés par cette croissance intérieure pour nous intéresser aux autres pays. Désormais, le marché japonais de la publicité est mature et saturé, nous devons investir à l'étranger et continuer les acquisitions.»

Signe de ses efforts à l'international, Dentsu a franchi un pas supplémentaire avec la nomination de Jim Kelly, un ancien de l'agence londonienne RKCR, au poste de directeur européen, en juillet 2009. Auparavant, l'Europe était pilotée depuis le Japon. Jim Kelly est sous la tutelle de Tim Andree, un ancien des filiales outre-Atlantique de Toyota et Canon, à qui Dentsu a donné pleins pouvoirs aux États-Unis. Autre symbole, Tim Andree est devenu en 2008 le premier non-Japonais nommé au directoire de Dentsu.

Aptitude à l'adaptation

Le géant japonais n'a de toute façon guère le choix. L'année 2009 a été rude pour le Japon et la première agence du pays. Les dépenses totales des annonceurs ont baissé de 11,5%, tandis que Dentsu accusait une baisse de 15,1% de son chiffre d'affaires sur les neuf derniers mois. Au cours de l'exercice d'avril 2008 à mars 2009, son chiffre d'affaires a reculé de 8,3% et son bénéfice d'exploitation de 23,1%. «Les chiffres sont tous négatifs, sauf dans le numérique (mais sur de petits volumes) et la promotion, note Bertrand Siguier. Dentsu se remet en question, car elle est très en retard sur les facteurs clés de changement que sont l'émergence du numérique, la globalisation des marchés publicitaires et la crise économique.»

Pour l'heure, seul 8,8% de son chiffre d'affaires provient de l'étranger. «Pour une agence japonaise, il est très difficile de trouver sa place dans l'univers anglo-saxon des grands réseaux mondiaux de la publicité, relève Takeshi Mori. Grâce à la vision de Maurice Lévy, Publicis est une exception.» Le groupe japonais est notamment implanté en Chine, où sa filiale Beijing Dentsu Advertising est la troisième agence du pays.

Mais le temps plaide en faveur de Dentsu, selon certains spécialistes de l'archipel. «Les Japonais sont sous-estimés, car ils évoluent selon des plans à long terme, affirme Philippe Pamart. Leurs facultés d'adaptation et d'innovation leur permettront de rebondir sur le plan économique. D'ailleurs, le Japon est à la pointe de la recherche en robotique et en nanotechnologies.»

Une vision optimiste que ne démentirait pas Akira Kagami. Cheveux noirs tirés en arrière, chaussé de petites lunettes rondes et dépourvu de cravate, bien moins strict que les autres membres du directoire, le directeur de la création de Dentsu dégage une impression de sérénité. «Sur le plan créatif, nous avons commencé par des spots publicitaires pour les programmes de télévision dans les années 1950, explique-t-il. Désormais, nous réussissons aussi dans la publicité non traditionnelle, comme le montrent nos Lions récoltés dans les catégories Cyber [opération Uniqlo en 2009], Affichage et Médias.» Face aux rumeurs selon lesquelles Dentsu confierait la partie créative de ses campagnes à de petites «boutiques» créatives, Akira Kagami dément : «Nous sous-traitons peu notre création».

La patron de la création du groupe préfère parler de deux nouvelles tendances fortes: la réalité augmentée et le Web en temps réel, qui se marient très bien aux téléphones mobiles. «Nous nous dirigeons vers l'ère de l'interactivité, avec la possibilité d'envoyer des messages aux gens d'une autre manière», estime Akira Kagami. La circulation instantanée des informations du Web en temps réel l'inspire également. «À l'avenir, la vitesse sera peut-être l'un des éléments les plus importants de notre travail, note-t-il. Lors du décès de Michael Jackson, de nombreuses sources affirmaient sur Twitter qu'il était mort à 99%. Avant l'apparition de ces outils de propagation instantanée, les journalistes attendaient que l'information soit confirmée à 100% avant de la diffuser.»

Aujourd'hui, le grand récit est remplacé par une multitude de petites histoires. Pour sa part, Dentsu y mettra le temps qu'il faudra mais il compte bien prendre sa place dans ce nouveau monde de la communication. En descendant les étages de la tour Dentsu, on découvre une installation artistique de Yoko Ono, ex-compagne de John Lennon, qui représente un jeu d'échecs. La patience est une vertu japonaise.

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