Société

« Cette année, et pour la première fois depuis des années, aucun élève de la promotion d’HEC n’a souhaité réaliser un stage de fin d’année dans un grand groupe pétrolier, d’ordinaire plutôt prisé. » Cette confession, faite publiquement par un proche de la grande école lors de la conférence à laquelle nous participons, ne passe pas inaperçue. Elle offre un nouveau témoignage de cette évolution incroyable et du rapport totalement différent qu’entretient la jeune génération de diplômés aux grandes entreprises, autrefois symbole d’un horizon privilégié pour envisager une carrière.

Lorsque notre témoin rajoute que les stages de la multinationale délaissée sont rétribués pourtant via des rémunérations alléchantes, une autre dimension apparaît. Les plus jeunes ont une autre boussole et la notion de rémunération ne fixe plus le Nord. Mais comment en est-on arrivé là et si vite ? Pour tenter de répondre, j’ai demandé aux plus jeunes.

Voici trois portraits. Ils ressemblent sans doute à des milliers d’autres parmi cette nouvelle génération si peu connectée au logiciel programmateur initial, de ce qu’on appelle de façon déjà ringarde aujourd’hui, l’ancien monde. Une dernière précision s’impose autour de cette anecdote du stage chez ce grand groupe. En réalité, on ne peut pas dire qu’aucun élève ne s’est manifesté car un candidat s’est tout de même montré intéressé par l’offre de stage. Mais la pression de ses copains de promo était si forte qu’au final, il a abandonné cette piste. Cette dernière donnée va accélérer cette mutation profonde à laquelle nous assistons tous en ce moment. Le changement de paradigme fait passer l’influence collective et les enjeux collectifs au tout premier plan.



Noémie, 27 ans

Je sors d’école de commerce (Skema). J’ai fait quatre ans dans une grosse boîte agroalimentaire mais mon attachement à mes racines et mes valeurs (je viens de la campagne picarde, mon père, mon frère, mon beau-frère, mes cousins, oncles sont tous agriculteurs) a pris le dessus et m’a poussée à vouloir travailler pour une entreprise qui est pragmatique, positive, authentique. Et surtout qui met en valeur l’agriculture française. Et puis aussi le fait que ce soit une petite entreprise, pour toucher un peu à tout, pas rester cloisonnée sur « ses sujets ».

Dans mon ancienne entreprise, je trouvais qu’on ne se souciait pas assez de la rémunération, du type d’agriculture (enfin si le bio, parce-que c’est trendy le bio), de la traçabilité, de la fin de vie de leur produit (océan de plastique) … qui sont pour moi, des critères importants dans notre consommation. J’espère qu’ils prendront davantage ces critères en considération à l’avenir, et au niveau de toute leur gamme de produits, pas seulement sur deux ou trois marques. On a tous le droit de bien manger et le travail des agriculteurs doit être reconnu partout à sa juste valeur.

 

Simon, 26 ans

Pour moi, être droit dans mes bottes était le plus important. Quand je cherchais du travail, mon objectif était vraiment de rester raccord avec mes valeurs, avec une vision un peu globale du truc : chercher un juste milieu entre l’environnement, l’impact social, le respect des autres […], et surtout le bon sens. Pour un ingénieur ou quelqu’un qui sort d’une école de management, c’en est fini de déployer des trésors d’intelligence à élaborer des stratagèmes abstraits pour servir des intérêts en oubliant complètement leurs impacts concrets. Tout simplement.

On peut évoquer le possible lien entre milieu social et “conscience écologique” et l’idée que lorsqu’on est étudiant à HEC, et a priori issu d’un milieu plus aisé que la moyenne, on peut sans doute plus facilement refuser un stage dans un groupe pétrolier, et faire valoir ses idéaux, que lorsqu’on vient d’un milieu modeste et qu’on s’imagine moins faire la fine bouche. Effectivement, cela demande probablement un peu plus “d’abnégation” d’être tatillon sur le choix d’une entreprise quand on sort d’un milieu favorisé et d’une grande école. Paradoxalement, malgré une conscience écologique forte, nous avons malgré tout une empreinte écologique (beaucoup) plus élevée que la moyenne puisque nous sommes plus sujets à voyager (en avion), acheter du matériel informatique neuf, occuper des logements vastes…



Madeleine, 26 ans

J’ai fait 3 stages de 6 mois dans des plus ou moins grosses structures en marketing (assistante chef de produit) dans le secteur de l’alimentaire : Bjorg Bonneterre et Compagnie, St Hubert puis Lactalis Nestlé.

Ces différentes expériences ont été très intéressantes en stage, j’ai appris l’analyse d’un produit et d’un marché, l’argumentation de vente, le travail de nouveaux produits avec les équipes commerciales et R&D, le lancement d’une innovation et la communication ainsi que les techniques promotionnelles… C’est fascinant dans un 1er temps…

Puis il y a aussi la frustration de ne pas vraiment pouvoir faire évoluer les problématiques qu’on a : tel ou tel produit n’est pas très bon pour la santé mais si on change la recette on risque de perdre les consommateurs adeptes de la marque, de ne pas pouvoir réellement faire bouger les choses, de n’avoir qu’une vision restreinte du cheminement total du produit (et pas du producteur au consommateur).

J’ai donc recherché un projet qui m’intéressait plus, avec une dimension plus sociale et environnementale, où l’on pourrait faire changer les choses même à une plus petite échelle. J’ai recherché une plus petite entreprise où il y a davantage de communication et d’échanges tous ensemble, où mon avis serait pris en compte avant d’avoir 10 ans d’expérience au sein de la structure, une entreprise avec plus de sens.

Parcours de Nicolas Chabanne :

Ardéchois d’origine, Nicolas Chabanne crée avec sa sœur le label Le Petit Producteur en 2009. Il lance ensuite Les Gueules cassées, un concept qui favorise la vente de fruits et légumes moches qui lui vaut les éloges du New York Times dans un article intitulé « Save the planet, eat ugly ». En 2015, il lance l’idée d’une marque de lait équitable en se basant sur le prix minimal que devait percevoir le producteur pour pouvoir vivre, et reçoit le prix de l’audace marketing de HEC. En 2016 les premières briques de lait C'est qui le patron ? sont produites. 

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