Historiquement implantée en périphérie, la grande distribution à la française doit reconquérir les centres-villes et multiplier les formats pour continuer de croître. L'enjeu: enrichir l'expérience d'achat avec des extensions de gamme digitalisées et toujours plus de services.

«Il existe un discours marketing un peu convenu expliquant que les enseignes du commerce organisé multiplient les formats de magasin pour mieux accompagner leurs clients tout au long de la “shopping experience”. C'est sans doute un peu vrai, mais il faut souligner que la raison principale de ce phénomène est avant tout la nécessité d'assurer un meilleur maillage du territoire pour garantir la croissance de leurs activités et la prise de parts de marché.»

 

Pour Cédric Ducrocq, fondateur et PDG du cabinet spécialisé Dia-Mart, comme pour nombre de spécialistes du secteur, la multiplication des formats de magasin n'est pas nouvelle, mais s'accélère sous l'effet de la concurrence accrue de l'e-commerce, avec en tête Amazon, et la nécessité impérieuse pour les enseignes alimentaires et non alimentaires historiquement dotées de magasins physiques de proposer un réseau omnicanal digne de ce nom.

 

Un réseau présent un peu partout et selon des tailles de points de vente adaptées aux spécificités des zones de chalandise couvertes, de la périphérie au centre-ville, des métropoles aux petites agglomérations. Avec cette spécificité héritée de l'urbanisme commercial «à la française» qui, historiquement, s'est développé à la fin des années 1960 à la périphérie des plus grandes villes, en délaissant complètement leur centre urbain.

 

Les modes de vie et de consommation ayant beaucoup changé, le coût et les temps des transports ayant explosé, les contraintes réglementaires de l'urbanisme commercial s'étant durcies, les retailers ont opéré un retour progressif en ville en créant ou en rénovant des magasins plus petits. S'ils investissent massivement depuis une décennie dans la proximité, c'est pour combler leur retard dans ce domaine et pour se rapprocher de clients de moins en moins enclins à se déplacer loin pour faire leurs achats, et de plus en plus nombreux à fuir des linéaires jugés surdimensionnés, déshumanisés et proposant une offre toujours plus pléthorique qui, aujourd'hui, les désoriente davantage qu'elle ne les séduit.

 

Le coût de l'immobilier commercial étant beaucoup plus élevé en ville et les opportunités foncières plus rares, il est logique que ce développement des réseaux passe par des surfaces de vente inférieures que celles de périphérie. Et face à une rentabilité moindre au mètre carré, les enseignes doivent repenser leur modèle pour continuer à développer leurs ventes tout en préservant leur rentabilité. Ce qui suppose de proposer des expériences d'achat de plus en plus différenciées selon les formats de point de vente et susceptibles d'être partagées par des clients de plus en plus férus de réseaux sociaux.

 

Une promesse d'enseigne transposable?

 

La tendance au multiformat a été initiée par la distribution alimentaire, qui l'a d'ailleurs renouvelée à travers le drive (2 947 points de vente au 1er mai 2014). «Monoprix est l'enseigne pionnière et référente dans ce domaine, qui en a inspiré beaucoup d'autres depuis», note Cédric Ducrocq. C'est lié à son expérience historique dans le centre-ville, ce qui n'est pas le cas des Auchan, Carrefour, E.Leclerc et consorts.

 

La distribution spécialisée a rapidement suivi cette transformation du réseau des magasins qui, finalement, représente une formidable opportunité pour les retailers à condition qu'ils revoient leur approche. «Ils doivent pleinement assumer leur rôle de sélectionneurs d'offres de produits et de services de plus en plus pointus, tout en utilisant les nombreuses possibilités du digital en extension de gamme dans ces deux domaines. La réduction de la taille du magasin n'est pas un handicap en soi», analyse Philippe de Mareilhac, directeur général de l'agence Market Value.

 

Il ajoute: «Yves Rocher l'a prouvé. La marque a revu avec succès ses différentes typologies de magasin en France comme à l'étranger, en multipliant les formats, du point de vente de 100 m2 ou moins jusqu'aux comptoirs et corners en “travel retail” [gare, etc.]. Si elle ne peut pas y déployer une offre aussi riche que dans ses plus grands points de vente, elle a su l'adapter avec des gammes plus pointues et un sens de l'accueil et du conseil client qui font la différence, tout en occupant un territoire élargi.»

 

Dans le secteur du prêt-à-porter, Kiabi teste une offre beaucoup plus pointue issue de ses collections générales avec son magasin pour enfants et adolescents (60 000 références) dans le tout nouveau centre commercial Qwartz. Un format de 800 m2, soit 300 de moins que les plus petits points de vente de son réseau habituel. Outre un «colorwall» mettant en scène ses gammes par colorama, Kiabi propose des services connectés «Web to store» (réservation en ligne, «click and collect») pour faciliter le parcours d'achat.

 

Si la téléphonie, les produits technologiques ou encore la beauté se prêtent parfaitement à cette déclinaison de nouveaux formats, certains secteurs y sont moins propices. «La question centrale reste de savoir si la promesse de l'enseigne ou de la marque est transposable à l'identique, quel que soit le format du magasin. Il est clair que pour un secteur comme le bricolage, avec une profondeur et une largeur d'offre considérables, le pari est difficile à tenir. La stratégie privilégiée par Leroy Merlin, par exemple, est davantage tournée vers une expansion à l'international», souligne Cédric Ducrocq.

 

A noter toutefois l'expérience de Mr Bricolage dans le centre d'Orléans. Début avril, l'enseigne a ouvert un magasin de 800 m2, rue des Halles, qui ne propose «que» 13 000 références, mais qui parie sur la proximité. «Nous nous adressons d'abord à l'Orléanais qui se trouve dans un rayon de dix minutes à pied. Tout ce qu'il trouve chez nous, il doit pouvoir repartir avec sous le bras», précise Florent Philippon, le directeur du magasin. En outre, le magasin est doté de bornes interactives proposant l'ensemble du catalogue (20 000 références) que le client peut commander sur place et se faire livrer à domicile.

De même, les expériences de Darty, via la franchise lancée en mars dernier après plus de cinquante ans de développement intégré, ou de But, par le biais de ses formats Cosy et City, confirment ce potentiel attendu sur des zones de chalandise plus petites ou de centre-ville.

Extension digitale de l'offre et des services

Proposer une offre plus sélective, c'est aussi la stratégie choisie par Nocibé depuis décembre 2013, avec sa nouvelle enseigne Les Bellista dont le deuxième point de vente vient d'ouvrir au centre commercial Evry 2 (deux autres magasins sont prévus d'ici à fin 2014). On y trouve seulement 1 000 références à la marque de l'enseigne présentées dans un écrin soigné et avec de nombreux services à la clé, et à des prix très concurrentiels. «Nous innovons en proposant une gamme dont l'intégralité peut être testée sur place ou emportée de façon rapide et accessible. Nous facilitons le choix de clientes qui n'osent pas toujours entrer dans une parfumerie», explique Cécilia Pouliquen, chef du projet Bellista chez Nocibé.

 

Quant aux magasins éphémères, il ne faut sans doute pas leur donner plus d'importance qu'une opération marketing pour orchestrer le buzz ou exploiter avec opportunité le terrain de façon temporaire, comme le fait Décathlon dans les gares ou les stations-service au moment des vacances d'hiver et d'été. «Il s'agit d'un outil supplémentaire dans la stratégie de communication des marques ou des enseignes, et en aucun cas du cœur de leur promesse ou de leur identité», estime Cédric Ducrocq, de Dia-Mart.

 

«Ils peuvent néanmoins permettre de tester de nouveaux outils et supports du commerce de demain, notamment dans les équipements digitaux. Car pour les enseignes non alimentaires, la réduction du format de magasin doit forcément être couplée à une extension digitale de l'offre et des services et un enrichissement de l'expérience d'achat, sinon elle est vouée à l'échec, estime Jérôme Gayet, PDG du cabinet Business Development Consultants. Toutes les enseignes sont obnubilées par Amazon, mais elles conservent un avantage de taille par rapport au géant américain, leur réseau de magasins dans lequel elles doivent continuer d'investir tant au niveau immobilier que des services pour faire la différence dans la proximité.»

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