Derrière le consensus sur la nécessité de définir de bonnes pratiques subsistent de profondes divergences entre les acteurs du marché publicitaire.

Aménager plutôt que remettre à plat, se concerter plutôt que faire appel à la loi. C'est l'approche dorénavant privilégiée par les acteurs du marché publicitaire concernant la loi Sapin, un texte de 1993 qui impose de la transparence dans l'achat et la vente d'espace publicitaire, mais qui poserait un souci d'application dans la vente aux enchères en temps réel («Real Time Bidding» ou RTB).

Au point que certains n'hésitent pas justement à qualifier cette loi de «ligne Maginot», pour mieux souligner son côté caduque. Tandis que d'autres, notamment les annonceurs, soutiennent son maintien, qu'ils jugent plus que jamais nécessaire.

Un communiqué de l'Union des annonceurs (UDA) dénonçait le 25 mars dernier «dans de nombreux pays, une mise en coupe réglée des médias en général, et des médias digitaux en particulier, et donc des annonceurs, par un petit groupe d'acteurs de l'intermédiation qui tentent d'accaparer la rente sous le prétexte fallacieux de la modernité». Cette déclaration tombait le jour même où l'Union des entreprises de conseil et achat média (Udecam) avait convié les parties concernées à débattre des révolutions de l'achat programmatique. Il en est ressorti une volonté de se mettre autour d'une table pour arrêter de bonnes pratiques dans le secteur, une formule semblant satisfaire Bercy, qui préfère une autorégulation à une nouvelle législation.

Autre motif de satisfaction: personne ne remet plus en cause la loi, ce qui constituait un préalable de l'UDA pour participer à toute concertation. D'autant que «la loi Sapin a eu des effets positifs, comme le montre l'étude internationale sur la transparence des marchés publicitaires», insiste Pierre-Jean Bozo, directeur général de l'UDA. En effet, l'enquête d'Ebiquity-Telemetry réalisée pour la Fédération mondiale des annonceurs (WFA) classe la France au premier rang sur le sujet, devant la Scandinavie et le Canada. Pour Pierre-Jean Bozo, «seule la circulaire d'application doit être révisée».

Le «trading desk», principal écueil

Car toutes les parties reconnaissent que la situation a changé depuis 1993, avec l'émergence de nouvelles technologies et de nouveaux acteurs. Des intermédiaires «qui font de l'achat et de la revente, mais pas seulement, explique Hélène Chartier, directrice générale du Syndicat des régies Internet (SRI). A l'instar de Criteo, ils transforment les espaces publicitaires en apportant une technologie, davantage de qualification.»

Les agences médias souhaiteraient donc pouvoir «donner une définition à ce statut de transformateur d'espaces, revendique Bertrand Beaudichon, président de l'Udecam. Cette activité existe depuis longtemps, avec des “sous-régies” de régie d'éditeur. Et des “trading desks” de groupes de communication s'y sont récemment mis.» C'est sur cette activité que réside le principal écueil. L'UDA «redoute que l'appellation transformateur d'espaces se résume à de l'achat vente, activité proscrite par la loi Sapin», rappelle Pierre-Jean Bozo. Certains adhérents de l'UDA ont pu constater que «des agences trading desk facturent 30% et parfois jusqu'à 60% plus cher à leur maison mère, et prestataire de l'annonceur, les espaces qu'elles achètent. Pour les six agences médias qui réalisent 80% du marché, une moitié est irréprochable, l'autre plus pragmatique.»

Derrière ces divergences et pratiques, «le vrai problème n'est-il pas celui de la rémunération des agences?», s'interroge la directrice générale du SRI, qui aimerait voir la transparence concerner tout le monde, «des petits aux géants du Net. Pourtant, des régies travaillant en dehors du territoire affichent encore des publicités sur des sites illégaux. Et que fait Google avec ses 55 à 60% de part de marché sur les 2,79 milliards d'euros de recettes publicitaires?»

Côté agences médias, Olivier Mazeron, vice-président de Group M Interaction, souligne que «le sujet représente seulement 1 à 3% d'un marché sur lequel interviennent également des prestataires internationaux, comme App Nexus, très éloigné de la loi Sapin». De quoi réactiver l'exception culturelle française.

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