L'«ultra haut débit mobile» est l'enjeu majeur de cette année dans les télécoms. Opérateurs et constructeurs, vieille garde et jeunes ambitieux, comptent dessus pour recréer de la valeur ou s'imposer.

Toujours plus de débit, toujours plus vite… Très peu l'ont testée, mais elle promet un véritable saut technologique pour les «mobinautes» qui ont pris l'habitude de surfer sur Internet ou de regarder des vidéos sur leur smartphone. La 4G, cette nouvelle génération de téléphonie mobile, permettra aux utilisateurs dotés d'un téléphone compatible et d'un abonnement ad hoc, de se connecter sur leur mobile à un débit équivalent à celle d'une ligne fixe Internet très haut débit.

Sujet phare du Mobile World Congress (MWC), la grand-messe du secteur des «telcos» qui se tient du 25 au 28 février à Barcelone, elle ne sera «massivement» disponible qu'à la fin de l'année,mais fait déjà vibrionner les acteurs du secteur, opérateurs comme constructeurs. L'enjeu: la rendre désirable auprès du grand public. A cet égard, les usages sont prometteurs.

Avec la 4G, «on va voir se développer l'entertainment: vidéo, jeux, téléchargements, mais aussi médias sociaux couplés à de la vidéo. On peut imaginer l'avènement d'un Instagram version vidéo», prévoit Thomas Husson, analyste à l'institut Forrester. Avec pour promesse une vitesse cinq fois supérieure en réception et dix fois supérieure en émission par rapport à la 3G+, le standard actuel. Soit 10 secondes pour télécharger un album MP3, contre actuellement une trentaine de minutes en 3G.

Habitué avec la 3G, lancée en 2004, à se connecter à Internet sur son téléphone et à y lire ses mails, le public, lui, est prêt à ce «grand bond en avant». Les publicitaires ne s'y trompent pas. Une campagne de Skoda pour son 4x4 Yeti (agence La Chose) surfe déjà sur la rapidité de la 4G avec pour slogan: «Il va là où la 4G n'ira jamais.»

D'ici dix ans, tous les «mobinautes» basculeront sur la 4G. A la fin 2016, 912 millions de personnes l'utiliseront dans le monde, prédit l'Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate) dans un rapport publié lors du salon MWC. Fin 2012, 65 millions de personnes l'utilisaient déjà, contre 26,5 millions six mois avant. Actuellement, 305 opérateurs mobiles, répartis dans 104 pays, investissent dans le déploiement des réseaux de 4e génération.

Pourtant, la 4G reste encore abstraite pour le public. Il est vrai que le calendrier de son déploiement sera très étalé dans le temps, sans compter que ces derniers mois, la bataille de communication entre opérateurs a encore brouillé le tableau. SFR a ouvert au grand public un réseau 4G dès le 29 janvier, avec une vingtaine d'antennes à La Défense et aux alentours dans les Hauts-de-Seine, sur les communes de Courbevoie, Puteaux et Nanterre. Le même jour, Orange annonçait aussi l'ouverture de son réseau 4G, mais à Paris. En réalité, dans le quartier de l'Opéra et pour les seuls clients professionnels. Le grand public ne sera concerné qu'à partir d'avril. L'ensemble de la capitale ne devrait être couverte par Orange et SFR que d'ici fin 2013.

Depuis fin 2012, les opérateurs ont lancé des débuts d'offres ou testé la 4G sur Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Montpellier… Dans ce contexte d'annonces à répétition, mais géographiquement limitées, comment convaincre le consommateur de changer de mobile et d'abonnement?

Tirer profit de l'innovation technologique

Quelles que soient les contraintes, les opérateurs se sont lancés dans la bataille. D'autant que tous ont consenti d'énormes investissements pour déployer de nouvelles infrastructures. «SFR et Orange sont dans une logique industrielle de déploiement et communiquent dessus. Déploiement qu'ils veulent rentabiliser, après avoir beaucoup dépensé dans l'achat de leurs licences 4G», observe Sylvain Chevallier, «senior manager» en télécoms au cabinet Bearing Point. Dans la foulée, Orange se fera fort d'évoquer son ancestrale mission de service public à propos du déploiement de ses infrastructures 4G…

Bouygues Telecom, discret sur son calendrier, mène quant à lui une intense bataille de lobbying pour obtenir de l'Autorité des régulation des télécoms (Arcep) l'autorisation d'utiliser ses fréquences 1 800 MHz (actuellement affectées à la 2G) pour la 4G. Mais rien n'a filtré sur la réunion organisée le 7 février par l'Arcep avec l'ensemble des opérateurs et portant sur leurs réseaux 4G.

La bataille se livre aussi sur le terrain des prix. Car après avoir vu leurs marges laminées face aux nouvelles règles imposées par Free Mobile, les opérateurs comptent sur la 4G pour renflouer leurs caisses. En somme, profiter de l'innovation technologique qui «redonne de la valeur aux télécoms», comme l'affirmait en décembre 2012 Stéphane Richard, PDG de France Télécom.

«On pourrait en venir à une logique complémentaire, avec la 4G réservée aux clients premium et des offres qui seront bâties autour de la “data” [données] et non plus de la voix», décrypte Sylvain Chevallier. Outre-Atlantique, AT&T et Verizon proposent ainsi des abonnements pour 40 à 50 dollars par mois pour les seules data, plus l'abonnement mensuel de 20 à 30 dollars. Bien au-delà des 20 euros d'abonnement des divers opérateurs «low cost»… Et pourtant, ça marche. «La question est de savoir comment packager ses offres et les adapter à des consommateurs possédant plusieurs terminaux, très connectés. Verizon a ainsi lancé une offre pour dix terminaux connectés», ajoute Thomas Husson, de Forrester.

Reste donc à séduire le consommateur sur les vertus de la 4G, ce qu'ont commencé à faire certains opérateurs dans leurs campagnes publicitaires. Avant de présenter la 4G en «version fun»en décembre dernier avec un Gad Elmaleh à cheval, dès février 2012, SFR (agence Leg) avait dégainé une première campagne censée montrer un exemple d'usage concret de la 4G, via un couple s'envoyant des vidéos par smartphones. Orange, pour sa part, détaille les usages induits par la 4G dans un spot consacré à sa nouvelle Livebox Play (Publicis Conseil).

L'intérêt des constructeurs en difficulté

Autres acteurs directement concernés, les constructeurs entendent s'imposer sur ce marché très convoité. Les géants comme Samsung ont déjà affûté leurs armes. Le groupe coréen dégainait ainsi, dès janvier, une campagne publicitaire directement axée sur la 4G, avec un spot mettant en scène Frédéric Beigbeder et Ariel Wizman en bobos désabusés face à «ces jeunes qui veulent aller toujours plus vite». Avec humour et légèreté donc. Mais aussi avec un objectif clair: «Que le grand public identifie Samsung à la 4G», précisait récemment le directeur général de Samsung France. Pour autant, la marque n'a pas dévoilé de nouveaux modèles compatibles 4G à Barcelone.

D'autres constructeurs entendent avancer leurs pions. Tel l'autre coréen, LG, qui a connu une renaissance de sa division mobile en 2012. Dès l'automne, le groupe a lancé son smartphone haut de gamme compatible 4G, l'Optimus G, sur les marchés où la 4G existe déjà. Et en a écoulé un million d'exemplaires. «Miser très tôt sur la 4G nous a permis de gagner des parts de marché outre-Atlantique», précise Philippe Lasne, directeur marketing de LG France. La filiale française lancera l'Optimus G mi-mars, ainsi qu'un modèle milieu de gamme, l'Optimus F5, fin avril. Des accords avec des opérateurs sont en cours.

Là encore, LG prévoit une importante campagne publicitaire en affichage, à la télévision et sur Internet, avec Mindshare et Publicis Modem. Le slogan: «LG intensément 4G.» «Nous allons aussi lancer un “roadshow” en avril-mai dans les villes équipées en 4G, pour que les consommateurs puissent tester la 4G», précise Philippe Lasne.

Les marques en difficulté, telles HTC, Blackberry et Nokia, espèrent rebondir pour l'occasion. Chez cette dernière, les deux premiers smartphones de la gamme Lumia, les 820 et 920, lancés en novembre 2012, sont compatibles 4G. «Nous allons lancer en avril une nouvelle campagne de communication [orchestrée par JWT et Carat] centrée sur les usages de la 4G par nos fans. La signalétique de nos points de vente est aussi centrée sur la 4G depuis février», précise Thierry Amarger, directeur général de Nokia France. Le nouveau Blackberry Z10, lancé fin janvier, est aussi compatible avec les fréquences 4G européennes. De même que le nouveau HTC One, attendu en mars. Sony, lui, a dévoilé à Barcelone une nouvelle tablette et un smartphone de la gamme Xperia Z compatibles 4G.

Les «tigres» chinois à l'assaut

Autres acteurs à ne pas sous-estimer, les jeunes «tigres» chinois, qui entendent se faire connaître avec la 4G. Tels Huawei et ZTE. Initialement développeurs d'infrastructures réseau, ils passent à l'offensive. Explication: «La 4G est une opportunité pour des marques comme Huawei, qui maîtrise l'ensemble de la chaîne et de l'infrastructure réseau jusqu'aux produits», résume Denis Morel, responsable de la «business unit devices» de Huawei France. A Barcelone, leurs stands immenses étaient presque de la même taille que ceux de Nokia et Samsung. Tout un symbole.

ZTE a, de son côté, affirmé sa présence dans les pays convertis à la 4G, comme la Suède ou la Corée du Sud. En France et en Europe, «nous croyons dans le développement de smartphones à écrans de 4,5 pouces en haute définition», explique William Chhao, directeur commercial des terminaux mobiles. «Avec la 4G et ses usages vidéos, on va s'habituer à des écrans de plus en plus grands», poursuit-il.

Dans la lignée des «phablets», popularisées par Samung et sa Galaxy Note, les Chinois comptent donc imposer des smartphones à grands écrans, au design léché et aux prix agressifs. ZTE va ainsi lancer courant 2013 une tablette (V98) compatible 4G, et d'ici cet été, le smartphone Grand S LTE à écran 5 pouces. Huawei, pour sa part, prépare la sortie en mai de son Ascend P2, lui aussi compatible 4G, à écran géant de 4,7 pouces. «Nous le lançons avec des opérateurs, dont Orange. A prix nu à 399 euros, le prix juste», souligne Denis Morel. En tout cas, ils veulent se faire connaître. Via les réseaux sociaux pour ZTE, qui a juste effectué quelques campagnes d'affichage à Paris, et à travers une première campagne de publicité mondiale pour Huawei, qui accompagnera le lancement de son Ascend P2 en mai. Son slogan: «Make it possible», que l'on peut lire sur les affiches visibles dans l'aéroport de Barcelone. La campagne sera «déployée au cinéma, sur les réseaux sociaux et sur le Net en France, ainsi qu'au travers d'opérations de cobranding avec des opérateurs», précise Denis Morel.

Selon nos informations, l'agence McCann a été retenue pour monter cette campagne mondiale. «Ils ont des tarifs très compétitifs, mais pour rentrer sur les marchés les plus développés, ils vont devoir mettre les bouchées doubles pour se faire connaître», estime Thomas Husson, de Forrester.

 

Encadré

La 4G dans le monde

Dans une poignée de pays précurseurs, les «mobinautes» peuvent déjà surfer sur Internet à grande vitesse ou télécharger des vidéos presque en temps réel. Mais l'enjeu est mondial: actuellement, 305 opérateurs mobiles, répartis dans 104 pays, investissent dans le déploiement de réseaux 4G, d'après un rapport de l'Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate), publié à l'occasion du Salon mobile de Barcelone. La Norvège et la Suède ont bénéficié de la 4G dès fin 2009, lorsque l'opérateur Telia Sonera y a lancé un réseau commercial 4G. Mais d'autres pays européens s'y sont mis. Au Portugal, la commercialisation d'offres 4G était annoncée en mars 2012 par les opérateurs télécoms locaux. En Belgique, en novembre 2012, l'opérateur Proximus (Belgacom) a lancé officiellement la 4G dans cinq grandes villes: Namur, Liège, Anvers, Gand et Louvain. La Grande-Bretagne, elle, a organisé sa vente de fréquences 4G fin février.
En Asie, Singapour, le Japon et la Corée du Sud font figure de précurseurs: la 4G y est largement développée. Aux Etats-Unis, Verizon Wireless a lancé une offre commerciale 4G LTE fin 2010. Elle comptait à la fin de l'année dernière plus de 16 millions d'abonnés LTE. Le deuxième opérateur américain AT&T a lui aussi lancé une offre LTE mi-2011. Fin 2012, les Etats-Unis comptaient 13 millions d'abonnés à la 4G, la Corée du Sud 7,5 millions et le Japon 3,4 millions, d'après l'Idate.

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