Le président de la République reçoit en moyenne mille lettres et mails par jour. Les réponses qui leur sont adressées peuvent se muer en outils de communication et de considération pour les scripteurs-électeurs. Interview de Julien Fretel, professeur de science politique à Paris 1-Panthéon Sorbonne et auteur, qui a pu accéder au service qui les rédige et les envoie.
Votre livre étudie la façon dont les lettres envoyées au président de la République peuvent, après analyse, constituer un outil pour sonder l’opinion publique. À l’inverse, pensez-vous aussi que les réponses aux lettres envoyées à l’Élysée peuvent être des outils de communication politique ?
Julien Fretel. Le service qui gère la correspondance, que nous avons pu observer avec Michel Offerlé, est soumis à des enjeux importants en matière de réponse. Le mot d’ordre est de répondre à tous et au plus vite. Sauf aux lettres véhémentes, insultantes. Sachant que les réponses peuvent être publiées par les destinataires sur les réseaux sociaux et que chacune est portée en moyenne à la connaissance d’une dizaine de personnes, il y a obligation de personnaliser.
Le président reçoit en moyenne mille lettres et courriels chaque jour. Avec des pics au moment de drames nationaux – c’est monté à 3 500 à 4 000 par jour au moment du Bataclan, 6 000 pendant des Gilets jaunes – ou des « petites phrases » (« il suffit de traverser la rue… »). Chaque passage télévisé augmente également le nombre de courriers et courriels reçus le lendemain ou dans les jours qui suivent. Cela représentait 800 000 lettres sous François Hollande, dont quasiment 70 % de courriels, plus d’un million sous Emmanuel Macron. L’écrit n’est donc pas une forme désuète en matière de communication politique. On écrit plus qu’avant d’ailleurs. C’est une communication de basse intensité mais quotidienne, pas négligeable d’un point de vue quantitatif et qui s’achemine au sein des familles. Un million de lettres reçues, cela peut représenter, si une réponse a lieu, 10 à 15 millions de personnes touchées indirectement.
À combien de lettres le président répond-il ?
Sur 800 000 lettres reçues, une fois sortis les courriers émanant de personnalités telles que les chefs d’État ou les élus, François Hollande a apposé environ mille fois sa signature. Le plus souvent, les réponses portent une signature électronique. Selon le degré d’importance, c’est soit le président de la République, soit le chef de cabinet qui répond et signe. Quand c’est trop véhément, on ne répond pas. C’est une façon de signifier que le président ne doit pas s’abaisser. Dans tous les cas, il faut défendre le président, protéger son image.
Plus le courrier est « social » [récit de situations de vie personnelles], moins il a de chances d’obtenir une réponse du président, sinon une réponse de l’institution présidentielle pour dire que le dossier a été transmis à la préfecture à laquelle on demande d’alerter les services idoines. Ce message indique que la présidence se mobilise pour trouver une solution ou la dénouer d’une façon ou d’une autre. Il y a aussi la réponse à un courrier socioadministratif : « a bien pris connaissance de », qui renvoie vers d’autres services de l’État. L’Élysée est aussi fréquemment contraint de rappeler qu’il est tenu de respecter la hiérarchie des normes sur le mode de : « on ne peut s’immiscer dans les affaires judiciaires en cours ».
Par ailleurs, le principe de la lettre ouverte se développe de plus en plus, par exemple en prévenant la presse qu’on a écrit au président de la République, ce qui est une façon d’interpeller l’opinion. Peut alors s’engager un dialogue public entre le scripteur et l’Élysée. C’est d’ailleurs un point commun entre le rôle perçu des médias et de la politique. Ce sont deux institutions décriées mais auxquelles on a recours quand on a tout essayé par ailleurs.
Chaque vendredi soir, le président part avec 20 à 25 courriers dits « représentatifs ». Ce paquet qu’emporte le président en week-end est fabriqué comme un sondage en quelque sorte. Il se fie aux proportions de courriers et courriels de soutien ou de critique qu’a reçus le chef de l’État. François Hollande, que nous avons interrogé, nous a assuré les lire systématiquement. Reste à savoir si ces lectures ont modifié sa conduite.
Quelles différences entre les présidents ?
Nicolas Sarkozy, ce sont surtout les drames qui l’intéressaient. Il nous a raconté comment il a noué des contacts – pas forcément médiatisés – avec le père d’un enfant atteint d’un cancer qui lui avait écrit. Pour lui, le courrier, c’était une communication intime, interpersonnelle, dans laquelle il mettait de l’empathie. Une communication plus affective que dans les plans de com stratégique validés par les conseillers. Il en parlait avec Carla… De façon plus générale, il ne faisait pas de la correspondance un usage aussi intensif que les autres présidents. Ancien élu local, il a reçu du courrier toute sa vie. Mais il souhaitait, par respect, que tout le monde ait une réponse, même si cela devait se conclure par une impossibilité de résoudre les problèmes des gens.
François Hollande, de son côté, était peu intéressé par les drames. Il était plus attentif à la lecture des courriers d’opinion. Cela pouvait compenser l’interdiction qu’a un chef d’État en France de commander des sondages. Il a également voulu rencontrer les gens mécontents qui lui écrivaient. Il a demandé à ses services de ne pas le communiquer à la presse. Le problème, c’est que les gens pas contents qui arrivaient à l’Élysée étaient tellement honorés d’être ainsi reçus qu’ils devenaient gentils. Cela ne marchait pas de comprendre dans ces conditions pourquoi il y avait des Français insatisfaits.
Et Emmanuel Macron ?
… et Brigitte Macron. Elle a vraiment investi le domaine, elle est très active dans les réponses. Elle a d’ailleurs étoffé en personnel le service « le courrier Madame » et a voulu recevoir les courriers portant sur l’éducation et le handicap adressés à Emmanuel Macron. Lorsqu’une classe écrit à l’Élysée, c’est souvent elle qui y répond. Elle se fait l’intermédiaire auprès du président des publics fragiles ou juvéniles. Elle devient son oreille. C’est une façon de dire, « par ma prise en charge, vous atteignez encore mieux le chef de l’État ».
Quant à Emmanuel Macron lui-même, il faut d’abord dire qu’il avait beaucoup signé de réponses aux acteurs économiques quand il était secrétaire général adjoint de l’Élysée, sous François Hollande. Une fois élu président de la République, il a eu un usage assez intense de ces courriers. Il a aussi davantage médiatisé son courrier que ses prédécesseurs. Inspiré par Barack Obama, il a, comme président, cité des gens qui lui avaient écrit dans certains de ses discours, par exemple autour du covid, en mentionnant des prénoms de personnes qui étaient en première ligne. Aussi a-t-il demandé à ses services de cibler certains scripteurs pour les rencontrer lors de ses déplacements par exemple. Obama faisait cela.
Qu’est-ce que ces réponses disent d’un président ?
Les réponses types sont à l’image de la représentation que la présidence de la République entend donner d’elle-même : une fonction centrale et dotée d’une capacité d’action hors norme. Cela passe par des éléments de langage indiquant que le chef de l’État agit tout le temps et dans tous les domaines de la vie sociale. Se dessine alors en creux le fait que le président serait le seul vrai responsable politique dans cette Ve République. Il y a aussi l’idée de l’attention que le chef de l’État entend apporter à chacun des cas personnels pour lequel il est sollicité.
Pour un président, recevoir du courrier, c’est recevoir certains signes d’une légitimité à tenir son rang et son rôle. Davantage de courrier, c’est davantage de consentement vis-à-vis de l’exercice de son pouvoir. Si l’on passait sous les 300 à 400 000 lettres par quinquennat, cela s’ajouterait sans doute à tous les signes qui attestent d’une crise de la représentation présidentielle.
Comment le service des correspondances est-il géré ?
Entre 70 à 80 personnes sont à la tâche chaque jour. Ce sont des fonctionnaires détachés et des contractuels qui travaillent dans un bâtiment situé à distance du palais de l’Élysée, pour des raisons de sécurité. Une lettre est lue une première fois puis classée selon sa nature pour être traitée par un rédacteur. Les agents disposent d’un cahier de réponses types pour rationaliser leur travail mais il leur est demandé de personnaliser aussi en partie, surtout quand il s’agit de répondre à des polyscripteurs, c’est-à-dire ceux qui écrivent plusieurs fois. Il faut répondre vite, montrer que le chef de l’État est sensible, qu’il agit.
Les rédacteurs sont recrutés en fonction de leur capacité à savoir lire et surtout écrire. Que dirait-on en effet d’une réponse présidentielle comportant une faute d’orthographe ? Ces agents qui assurent un travail de représentation du chef de l’État doivent savoir se mettre à la place du président. Il y a bien évidemment une part d’arbitraire chez ces agents. Ces derniers sont plus ou moins touchés par ce qu’ils lisent. Leur sensibilité les conduit à tomber ou non sur qu’ils appellent « de belles lettres », qu’ils proposeront alors à la signature du président.
Certes, ces réponses pourraient être optimisées. Tout est lu mais il y a des ratés, avec des gens qui n’obtiennent jamais de réponse. Il est des lettres types qui déçoivent. Sans doute les réponses pourraient-elles être accompagnées de documents, d’éclairages sur la politique menée par le président, de davantage de contenu. L’on pourrait aussi, par ailleurs, mieux analyser l’impact de ces lettres sur les réseaux sociaux.